AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Paul Véran, dont le siège est Port de Carole, à Croix Sainte, Martigues (Bouches-du-Rhône), en cassation d'un arrêt rendu le 22 janvier 1991 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (2ème chambre civile), au profit :
1 ) de la société des Etablissements Daher et Cie, dont le siège est ... (Bouches-du-Rhône),
2 ) de la compagnie d'assurances La Concorde, dont le siège est ... (9ème),
3 ) de la compagnie d'assurances Colonia, dont le siège est ... (9ème),
4 ) de la compagnie d'assurances GAN, dont le siège est ... (9ème),
5 ) de la compagnie d'assurances La Baloise France, dont le siège est ... (9ème),
6 ) de la compagnie d'assurances CIAM, dont le siège est ... (9ème),
7 ) de la compagnie d'assurances Cigna (Groupe), dont le siège est ... (8ème),
8 ) de la compagnie d'assurances AICA, dont le siège est ... (9ème),
9 ) de la compagnie d'assurances Réunion européenne, dont le siège est ... (9ème),
10 ) de la compagnie d'assurances Général accident, dont le siège est ... (2ème),
11 ) de la société d'assurances La Métropole, dont le siège est ... (9ème),
12 ) de la compagnie d'assurances Orion, dont le siège est ... (2ème),
13 ) de la compagnie d'assurances CAMAT, dont le siège est ... (2ème), défenderesses à la cassation ;
La compagnie d'assurances La Concorde et les onze autres compagnies, défenderesses au pourvoi principal ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La société des Etablissements Daher, défenderesse au pourvoi principal a formé un pourvoi provoqué éventuel contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi provoqué éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 8 juin 1993, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Nicot, conseiller rapporteur, M. Vigneron, conseiller, Mme Piniot, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Nicot, les observations de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la société Paul Véran, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de la société des Etablissements Daher et Cie, de la SCP Mattei-Dawance, avocat de la compagnie d'assurances La Concorde et de onze autres compagnies, les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant tant sur le pourvoi incident, formé par la compagnie La Concorde et onze autres compagnies d'assurances, et sur le pourvoi provoqué éventuel formé par la société Daher que sur le pourvoi principal formé par la société Véran ;
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 janvier 1991), que des lots de nickel, logés dans des conteneurs chargés, pesés et plombés "sur site", ont été transportés par voie maritime de Nouvelle-Calédonie à Marseille ;
que la société Métallurgique Le Nickel, expéditeur, a confié à la société Daher le soin, notamment, de réceptionner et d'entreposer la marchandise jusqu'au chargement sur les camions des transporteurs devant les acheminer en vue de son traitement ; que la société Daher s'est substituée la société Véran, comme elle le faisait habituellement et à la connaissance de l'expéditeur ; que lors de l'arrivée à Marseille de la cargaison, le transporteur maritime a livré les conteneurs "sur parc" à la société Véran ; que ceux-ci ont été déchargés en vrac sans autre contrôle que celui du nombre des conteneurs, "comme à l'accoutumée" ; qu'ultérieurement, le poids du nickel sorti des entrepôts de la société Véran a révélé une quantité manquante ; que des réserves et des réclamations ont été émises par l'expéditeur, tandis que la société Véran a porté plainte pour vol, ne précisant pas l'endroit où celui-ci avait pu se produire ; que, subrogées dans les droits de l'expéditeur qu'elles ont indemnisé, la société La Concorde et onze autres sociétés d'assurances ont assigné en dommages et intérêts la société Daher, laquelle a appelé en garantie la société Véran ; que les assureurs ont assigné en outre la société Véran en dommages et intérêts ; que les appels formés contre chacun des jugements rendus sur ces assignations ont été joints par la cour d'appel qui a statué par l'arrêt attaqué ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Véran reproche à l'arrêt d'avoir accueilli la demande des assureurs à son encontre, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en lui reconnaissant la qualité de transitaire mandataire, substitué à la société Daher, sans relever aucun acte accompli par celle-ci qui soit caractéristique d'une telle activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que si le dépositaire doit restituer la marchandise qu'il a reçue, c'est sur le déposant que pèse la charge de prouver qu'il lui a remis la marchandise dont la restitution est demandée ; qu'elle a soutenu sans être contredite, "qu'aucune preuve n'établit que le vol a eu lieu dans ses entrepôts, rien ne démontrant que les conteneurs, restés à quai pendant deux ou trois jours à Marseille, aient été plombés lorsqu'ils ont été remis, et l'arrêt énonçant lui-même qu'aucun pesage de la marchandise n'avait été effectué avant le transport du nickel sur ses parcs, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en présumant que la totalité de la marchandise lui avait été remise ; qu'ainsi la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1932 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt constate que la société Véran, agissant en tant que substituée de la société Daher, elle-même transitaire, a effectué, outre l'entreposage, des opérations de réception de la marchandise, lesquelles sont caractéristiques de l'activité d'un transitaire mandataire ;
qu'ainsi la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt retient que la société Véran, en tant qu'entrepositaire substitué, aurait dû contrôler les conteneurs et leur contenu, et n'a pas assumé cette vérification, mais qu'elle a facturé ses prestations sur la base de 1 104,26 tonnes ; qu'à partir de la constatation que la société Véran avait ainsi indiqué elle-même être dépositaire de cette quantité de marchandises, c'est sans inverser la charge de la preuve que la cour d'appel a retenu qu'elle était "présumée" l'avoir reçue ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur le second moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société Véran fait en outre grief à l'arrêt ne pas avoir retenu la responsabilité de la société Daher, alors, selon le pourvoi, qu'elle avait fait valoir dans ses conclusions, sans être contredite, qu'il n'était pas établi que la totalité de la marchandise ait été livrée sur ses parcs ; que la cour d'appel ne pouvait imputer au seul dépositaire la responsabilité de cette disparition, la faute de la société Daher étant précisément la cause de l'ignorance du moment de la disparition ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1147 et 1932 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que la société Véran, qui n'avait pas effectué la vérification de la marchandise dans les conteneurs, comme elle aurait dû le faire en qualité de réceptionnaire et d'entrepositaire substitués, mais qu'elle avait facturé ses prestations sur la base d'un poids de minerai égal à celui qui avait été expédié ; qu'ayant aussi retenu que l'absence de contrôle antérieur imputable à la société Daher était sans relation de cause à effet avec la disparition des marchandises puisqu'il n'était pas allégué que celle-ci fût consécutive au transport maritime, la cour d'appel a pu décider que les "conditions de la mise en oeuvre de la responsabilité" de cette société n'étaient pas réunies ; qu'il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que la compagnie La Concorde et les onze autres compagnies sollicitent sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de 6 000 francs ;
Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel formé par la compagnie La Concorde et par onze autres compagnies d'assurances, ni sur le pourvoi éventuel formé par la société Daher :
REJETTE le pourvoi principal formé par la société Paul Véran ;
Rejette également la demande présentée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société Paul Véran, envers les défenderesses, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du douze octobre mil neuf cent quatre vingt treize.