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15/07/1992 | FRANCE | N°89-20334

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 15 juillet 1992, 89-20334


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Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 28 septembre 1989), que la société Pluri-Publi, qui a pour objet principal l'édition de presse publicitaire spécialisée dans la transaction immobilière entre particuliers, exerce, notamment par un réseau de franchisés à l'enseigne Hestia, une activité de diffusion par abonnements d'offres de location et de fourniture de services aux propriétaires d'immeubles locatifs ; que M. X..., en qualité de franchisé, exploite un bureau à Nice, pour la publicité duquel, depuis le mois de décembre 1981, il fait i

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Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 28 septembre 1989), que la société Pluri-Publi, qui a pour objet principal l'édition de presse publicitaire spécialisée dans la transaction immobilière entre particuliers, exerce, notamment par un réseau de franchisés à l'enseigne Hestia, une activité de diffusion par abonnements d'offres de location et de fourniture de services aux propriétaires d'immeubles locatifs ; que M. X..., en qualité de franchisé, exploite un bureau à Nice, pour la publicité duquel, depuis le mois de décembre 1981, il fait insérer des petites annonces dans le journal Nice-Matin par l'intermédiaire du régisseur de publicité de celui-ci, la société Havas Média Région (la société Havas) ; que la société Pluri-Publi et M. X... reprochent à la société Nice-Matin d'avoir, à partir du mois d'octobre 1984 transféré les annonces émanant de l'agence Hestia de Nice de la rubrique " transactions immobilières " à celle nouvellement créée sous le titre " informations immobilières ", soumise à un tarif plus élevé en dépit d'un emplacement moins favorable, les contraignant ainsi à publier leurs annonces sous la forme plus onéreuse des " pavés ", tandis que des agents immobiliers continuaient à faire paraître leur publicité dans les " transactions immobilières " ainsi que certains autres " vendeurs de listes " de logements offerts à la location ; qu'ils estiment que ces pratiques faussent le jeu de la concurrence par l'effet d'une concertation entre la Fédération nationale des agents immobiliers (FNAIM) et les sociétés Havas et Nice-Matin en vue de les écarter, sur les pressions de la dite fédération et de professionnels et que les mesures discriminatoires prises à leur encontre constituent l'exploitation abusive de la position dominante détenue par Nice-Matin sur le marché des petites annonces immobilières ainsi que de l'état de dépendance économique dans lequel M. X... se trouve à l'égard de ce journal ; que le Conseil de la Concurrence a considéré que le journal Nice-Matin occupait une position dominante sur le marché de la publication par voie de presse des annonces immobilières dans le département des Alpes-Maritimes et que l'agence Hestia de Nice, faute de pouvoir recourir à des supports équivalents se trouvait dans un état de dépendance économique, sans toutefois que les pratiques dénoncées soient constitutives d'abus ou le résultat d'une entente entre les sociétés et organismes désignés ; que cette décision ayant été déférée devant la cour d'appel de Paris, celle-ci après avoir déclaré irrecevable les mises en cause de la FNAIM et de la société Havas, et reçu la société Havas en son intervention volontaire accessoire a rejeté le recours ; que la société Pluri-Publi et M. X... ont formé un pourvoi principal contre cet arrêt et le ministre chargé de l'Economie un pourvoi incident ;

Sur la recevabilité du pourvoi incident du ministre chargé de l'Economie, après avertissement donné aux parties :

Attendu que le pourvoi en cassation n'est ouvert qu'aux parties à l'instance devant le juge du second degré ;

Attendu que si le ministre chargé de l'Economie a le droit d'exercer un recours devant la cour d'appel contre la décision du Conseil de la Concurrence, même s'il n'a pas été partie à la décision, cette décision ne déroge pas à la règle précitée ;

D'où il suit qu'en l'espèce, le pourvoi formé par le ministre chargé de l'Economie qui n'a pas exercé un recours contre la décision du Conseil de la Concurrence et n'était donc pas partie à l'instance devant la cour d'appel, est irrecevable ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir indiqué que le ministère public avait déposé des conclusions écrites sans préciser si ces conclusions avaient été mises à la disposition des parties ou leur avaient été communiquées, alors selon le pourvoi, que si le ministère public veut faire connaître son avis à la juridiction en lui adressant des conclusions écrites, ces conclusions doivent être mises à la disposition des parties, pour que le respect des droits de la défense soit assuré ; que, dès lors qu'il ne résulte pas de la décision attaquée que les parties aient été avisées du dépôt des conclusions du ministère public, et que celle-ci aient été mises à leur disposition, la Cour de Cassation n'est pas à même de s'assurer que les droits de la défense ont été respectés, de telle sorte que l'arrêt est dépourvu de base légale au vu de l'article 431 du nouveau Code de procédure civile, de l'article 16 du même Code et du principe général du respect des droits de la défense ;

Mais attendu que l'arrêt a non seulement relevé que le ministère public avait déposé des conclusions écrites sur chaque question soulevée par les parties mais également qu'il avait été entendu en ses observations à l'audience publique ; qu'il résulte de ces mentions que le principe du débat contradictoire et les droits de la défense ont été respectés ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir refusé d'ordonner le renvoi de la FNAIM et de la société Havas devant le Conseil de la Concurrence aux fins de notification de griefs fondés sur l'article 7 du l'ordonnance du 1er décembre 1986 alors, selon le pourvoi que le recours formé devant la cour d'appel de Paris contre une décision du Conseil de la Concurrence, n'est pas constitutif d'un appel ; qu'aucune règle de procédure ne permet aux parties de mettre en cause directement devant la cour d'appel de Paris, une personne qui n'aurait pas été partie devant le Conseil de la Concurrence ; qu'il incombe au premier président, ou à son délégué dans le cours de l'instruction et ensuite dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de l'article 7 du décret du 19 octobre 1987, et à la cour d'appel d'ordonner la mise en cause d'une partie afin de présenter ses observations ; que la société Pluri-Publi et M. X... qui n'avaient pas la possibilité d'appeler de leur propre chef la FNAIM et la société Havas Média devant la cour d'appel en intervention forcée, étaient donc recevables contrairement a ce qu'a décidé la décision attaquée, à demander à la Cour d'ordonner le renvoi de la

FNAIM et de la société Havas devant le Conseil de la Concurrence aux fins de la notification des griefs, quitte à la Cour à ordonner leur mise en cause devant la cour d'appel afin de leur permettre de présenter des observations en défense ; qu'en déclarant la société Pluri-Publi et M. X... irrecevables en leurs demandes, la cour d'appel a violé l'article 15 modifié de l'ordonnance n° 86-1249 du 1er décembre 1986 et l'article 7 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 ;

Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel après avoir relevé que la FNAIM et la société Havas n'avaient " ni été parties devant le Conseil de la Concurrence ni appelées par les requérants dans la présente instance pour faire valoir leur défense " a décidé que dès lors " la mise en cause de ces fédération et société ne saurait être reçue " ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les troisième et quatrième moyens du pourvoi principal :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'il n'y avait ni abus de puissance dominante, ni abus de puissance économique dans le fait d'avoir placé les annonces de M. X... dans la rubrique informations immobilières et non pas transactions immobilières, en lui faisant payer de ce chef ces annonces à un taux supérieur à celui des annonces publiées dans la rubrique transactions immobilières, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les juges du fond ne peuvent se fonder sur les éléments de fait ou de droit qui n'ont pas été contradictoirement débattus entre les parties ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait se fonder sur le fait que les tarifs des annonces varient selon la nature des rubriques où elles figurent, le coût d'exploitation de celles-ci et leur utilité directe pour le lecteur, l'annonce ou la diffusion du journal et que fondés sur de tels critères objectifs, les écarts tarifaires observés entre les rubriques transactions et informations immobilières ne sont pas constitutifs d'abus au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors qu'il n'avait jamais été soutenu par Nice-Matin, non plus que par la société Havas, que les différences du coût entre les rubriques étaient fondées sur des critères objectifs ; que, dès lors, en se fondant sur un moyen non contradictoirement débattu entre les parties, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors d'autre part qu'à supposer que les tarifs des annonces aient été fondés sur des critères objectifs notamment le coût d'exploitation des rubriques, leur utilité directe pour le lecteur, l'annonceur ou la diffusion du journal, la cour d'appel n'a pas indiqué d'où résulterait qu'en l'espèce la rubrique informations immobilières soit d'un coût plus élevé que la rubrique transactions, n'a pas indiqué non plus pourquoi la rubrique informations immobilières serait de moindre utilité pour le lecteur ou pour l'annonceur ou la diffusion du journal que la rubrique transactions immobilières, et que la cour d'appel n'a, dès lors, pas légalement justifié sa décision au regard des critères énoncés par elle, de telle sorte qu'elle a donc privé son arrêt de base légale, au regard de l'article 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; alors, en outre, que l'abus de puissance dominante ou l'abus de dépendance économique tombent sous le coût de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors qu'ils ont pour effet d'empêcher, de restreindre, ou de fausser le jeu de la

concurrence sans qu'il soit nécessaire que les pratiques discriminatoires aient cet objet et soient donc commises avec intention ; qu'en refusant de retenir une infraction à la charge de la société Nice-Matin par le motif qu'il n'est nullement établi que le fait que certaines annonces émanant de vendeurs de listes concurrentes directes du bureau Hestia aient été placées dans la rubrique transactions immobilières résulte d'une volonté de discrimination, la cour d'appel a violé l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, enfin, que la société Nice-Matin n'a nullement soutenu que les pratiques consistant à publier dans la rubrique transactions immobilières des annonces de certains concurrents directs de l'exposante aient été marginales ; que bien au contraire, le ministre chargé de l'Economie avait, dans ses observations, fait observer que certaines annonces émanant de vendeurs de listes concurrentes (location 35, BEP Centrale des locataires, Locapart) ont été publiées dans la rubrique locations immobilières, au cours des années 1987, 1988 et même 1989 (quoique de façon moins systématique), alors que celles de l'entreprise de M.
X...
étaient dans le même terme publiées dans la rubrique informations immobilières ; qu'il avait donc noté que durant les années 1987, 1988, les annonces de certains concurrents étaient publiées de façon systématique dans la rubrique locations immobilières ; qu'en affirmant que les imperfections du système de gestion des annonces sont restées marginales et n'ont pu avoir d'effet sensible sur le jeu de la concurrence, sans préciser d'où résultait cette affirmation, contraire aux conclusions des parties, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision et, par là même violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt a relevé que les annonces publicitaires émanant des officines dites " vendeurs de liste ", comme les bureaux Hestia, se différenciaient de celle de particuliers ou de leurs mandataires offrant à la location un immeuble déterminé ce qui avait permis à la société Nice-Matin, dans le but d'assurer une meilleure information de ses lecteurs, de faire figurer cette publicité dans une rubrique et un emplacement spécifique et distinct de ceux consacrés aux transactions immobilières ; qu'il a estimé que si des écarts tarifaires avaient été observés entre les rubriques " transactions " et " informations immobilières " ils n'avaient jamais excédé 12 % et reposaient sur des critères objectifs notamment la nature des rubriques, le coût d'exploitation de celles-ci et leur utilité directe pour le lecteur, l'annonceur ou la diffusion du journal ; qu'il a retenu que la décision de faire paraître certains encarts sous forme de " pavés " plus onéreux, mais pouvant se trouver dans les colonnes des transactions immobilières, procédait du libre choix de l'annonceur de recourir à une prestation publicitaire spécifique, soumise à une tarification propre, traitée selon des règles de mise en page différentes et ayant sur le public un impact visuel supérieur à celui des petites annonces ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations la cour d'appel qui s'est fondée sur des éléments qui ont été contradictoirement débattus, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel appréciant souverainement les éléments qui lui étaient soumis a relevé que s'il était exact qu'au début de l'année 1989 certaines annonces émanant de " vendeurs de listes ", avaient été placées dans la rubrique " transactions immobilières ", ces imperfections du système de gestion des annonces qui restaient marginales et auxquelles on avait essayé de remédier n'avaient pu avoir d'effets sensibles sur le jeu de la concurrence entre les entreprises concernées et que le comportement des sociétés en cause ne révélait aucune faute ou négligence ayant pu créer à l'égard des requérants des conditions commerciales discriminatoires ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi incident formé par le ministre chargé de l'Economie ;

REJETTE le pourvoi principal


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 89-20334
Date de la décision : 15/07/1992
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

1° REGLEMENTATION ECONOMIQUE - Concurrence - Ordonnance du 1er décembre 1986 - Pratique anticoncurrentielle - Procédure - Conseil de la Concurrence - Décisions - Recours - Recours du ministre de l'Economie - Absence - Portée - Pourvoi en cassation - Irrecevabilité.

1° Le pourvoi formé par le ministre de l'Economie, qui n'a pas exercé de recours contre la décision du Conseil de la Concurrence et n'était donc pas partie à l'instance devant la cour d'appel, est irrecevable.

2° PROCEDURE CIVILE - Droits de la défense - Conclusions - Dépôt - Ministère public - Observations à l'audience - Constatations suffisantes.

2° Le principe du débat contradictoire et les droits de la défense sont respectés par la cour d'appel dès lors qu'il résulte des mentions de l'arrêt que le ministère public a déposé ses conclusions écrites sur chaque question soulevée par les parties et qu'il a été entendu en ses observations à l'audience publique.

3° REGLEMENTATION ECONOMIQUE - Concurrence - Ordonnance du 1er décembre 1986 - Pratique anticoncurrentielle - Procédure - Cour d'appel - Mise en cause d'une personne - Condition.

3° Dès lors qu'elle a relevé qu'une personne n'a été ni partie devant le Conseil de la Concurrence ni appelée par le requérant dans l'instance pendante devant elle pour faire valoir sa défense, c'est à bon droit que la cour d'appel décide que la mise en cause de cette personne ne saurait être reçue et refuse d'ordonner son renvoi devant le Conseil de la Concurrence aux fins de notification de griefs fondés sur l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

4° REGLEMENTATION ECONOMIQUE - Concurrence - Ordonnance du 1er décembre 1986 - Pratique anticoncurrentielle - Abus de position dominante - Conditions - Exploitation abusive de la situation - Appréciation - Pratique licite - Pratique en matière de prix - Discrimination - Agissements sans effets sensibles - Comportement ni fautif ni négligent.

4° REGLEMENTATION ECONOMIQUE - Concurrence - Ordonnance du 1er décembre 1986 - Pratique anticoncurrentielle - Exploitation abusive de la dépendance économique d'autrui - Conditions - Exploitation abusive de la situation - Appréciation - Pratique licite - Pratique en matière de prix - Discrimination - Agissements sans effets sensibles - Comportement ni fautif ni négligent.

4° Justifie légalement sa décision de rejeter le recours d'une entreprise s'estimant victime d'abus de puissance dominante et d'abus de puissance économique, la cour d'appel qui, appréciant souverainement les éléments qui lui étaient soumis, retient que les agissements constatés n'avaient pu avoir d'effets sensibles sur le jeu de la concurrence entre les entreprises concernées et que le comportement des sociétés en cause ne révélait aucune faute ou négligence ayant pu créer à l'égard des requérants des conditions commerciales discriminatoires.


Références :

Ordonnance 86-1243 du 01 décembre 1986 art. 7, art. 8

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 28 septembre 1989


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 15 jui. 1992, pourvoi n°89-20334, Bull. civ. 1992 IV N° 274 p. 189
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1992 IV N° 274 p. 189

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Bézard
Avocat général : Avocat général :M. Jéol
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Bézard
Avocat(s) : Avocats :M. Ryziger, la SCP Boré et Xavier, la SCP Rouvière, Lepître et Boutet, M. Ricard.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1992:89.20334
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