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02/04/1992 | FRANCE | N°90-87579

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 02 avril 1992, 90-87579


CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Bernard,
agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'administrateur légal des biens de sa fille mineure Sandrine, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, en date du 15 novembre 1990, qui, après condamnation de Jean-Marc Y... pour non-assistance à personnes en péril, s'est déclarée incompétente pour connaître de la demande en réparation présentée par la partie civile.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en intervention ;
Sur le moyen unique

de cassation pris de la violation des règles de la séparation des pouvoirs (dé...

CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Bernard,
agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'administrateur légal des biens de sa fille mineure Sandrine, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, en date du 15 novembre 1990, qui, après condamnation de Jean-Marc Y... pour non-assistance à personnes en péril, s'est déclarée incompétente pour connaître de la demande en réparation présentée par la partie civile.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en intervention ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des règles de la séparation des pouvoirs (décrets du 22 décembre 1789 et du 16 fructidor an III, loi des 16 et 24 août 1790) des articles 1382 du Code civil, 2 et 591 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour statuer sur la réparation civile de la faute commise par le docteur Y... ;
" aux motifs que cette faute doit être examinée dans son contexte ; qu'une erreur semble avoir été commise dans la fixation du terme et que le prévenu affirme que si on lui avait précisé par téléphone que la grossesse était à terme, il n'aurait pas prescrit un traitement destiné à retarder les contractions mais se serait au contraire déplacé pour pratiquer la césarienne nécessaire ; que la sage-femme aurait dû déceler cette erreur dans la fixation du terme, remarquer la souffrance foetale dès 0 heure le 15 août et rappeler le docteur Y... ; que le nombre de médecins était insuffisant à la maternité et que le tableau de service démontre que durant ce mois d'août 1984, le docteur Y... a assuré, en plus de ses heures de service, un nombre de gardes à domicile supérieur à la norme ; que durant la soirée du 14 août, il a été appelé à trois reprises par l'hôpital et que, la fatigue humaine ayant des limites, il ne peut lui être reproché de ne pas s'être déplacé jusqu'au centre hospitalier à chaque appel ; qu'eu égard à ces considérations, la faute qu'il a commise l'a été dans l'accomplissement de sa mission de service public et n'est pas détachable de ses fonctions ;
" alors, d'une part, que les constatations qui sont la cause nécessaire de la décision pénale s'imposent au juge civil ; que les observations de la cour d'appel, au demeurant hypothétiques, selon lesquelles, en premier lieu, l'appréciation du médecin aurait été faussée par une inexacte évaluation du terme, et en second lieu, il incombait à la sage-femme de déceler la souffrance foetale et de rappeler le médecin, sont inconciliables avec les constatations du juge pénal énonçant au contraire que les seules informations données au docteur Y... par la sage-femme au téléphone ne laissaient aucun doute sur la situation de danger imminent dans laquelle se trouvaient la mère et l'enfant et suffisaient à rendre le médecin conscient de la nécessité de pratiquer une césarienne ; qu'en se fondant sur les éléments précités pour déclarer que la faute commise par le docteur Y... n'était pas détachable de sa fonction, la cour d'appel a violé l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ;
" alors, d'autre part, que le caractère détachable ou non des fonctions, attribué à la faute commise par un agent hospitalier, dépend exclusivement de la nature de cette faute ; que lorsqu'elle constitue un manquement caractérisé du praticien à ses obligations d'ordre professionnel et déontologique, sa faute est détachable de ses fonctions ; qu'il est établi que M. Y..., médecin de garde sous astreinte à domicile, ne s'est pas déplacé lorsqu'il a reçu l'appel de la sage-femme et s'est borné à prescrire par téléphone un traitement destiné à retarder l'accouchement, cependant que les symptômes décrits par la sage-femme, qui n'était pas apte à traiter une telle pathologie, ne laissaient aucun doute sur la situation de danger imminent dans laquelle se trouvaient la mère et l'enfant et sur la nécessité au contraire de pratiquer au plus tôt une césarienne ; qu'en retenant que le docteur Y... n'avait pas commis de faute lourde personnelle, détachable de ses fonctions, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les textes précités ;
" alors, enfin, qu'à supposer même que l'insuffisance de personnel dans la maternité de l'hôpital de Castres et le surmenage du docteur Y... qui en est résulté puissent expliquer que celui-ci ait manqué à une obligation professionnelle, ces circonstances ne sauraient en tout état de cause atténuer la gravité du manquement de l'intéressé à son obligation déontologique, manquement ayant consisté à différer un accouchement dont il ne pouvait ignorer que tout retard compromettait l'intégrité de l'enfant ; que ce comportement constitue une faute lourde personnelle, détachée de tout lien avec le service ; qu'en justifiant l'attitude de l'intéressé par le surmenage pour conclure à sa propre incompétence, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que la juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur la réparation des conséquences dommageables de la faute commise par un agent public et revêtant le caractère d'une faute personnelle, détachable de la fonction ; que constitue une telle faute celle qui révèle un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ;
Attendu, en outre, que le juge de l'action civile ne peut méconnaître ce qui a été nécessairement et définitivement jugé sur l'action publique ;
Attendu que Robiah X..., en état de grossesse " à risques ", a été admise, à la suite d'une hémorragie, à la maternité d'un hôpital public ; que la sage-femme qui l'a examinée, après avoir constaté l'existence d'un " placenta praevia recouvrant ", la position transversale du foetus, une hémorragie abondante et des contractions anarchiques, a appelé par téléphone Jean-Marc Y..., gynécologue, qui assurait le service de garde par astreinte à domicile ; que ce médecin, omettant de se déplacer, s'est borné à prescrire un traitement destiné à différer l'accouchement, alors qu'une césarienne aurait dû être pratiquée immédiatement ; que l'enfant, né après avoir subi une souffrance foetale aiguë pendant les heures précédant l'accouchement, demeure atteint de troubles graves et irréversibles du système nerveux ; que par une décision définitive Jean-Marc Y... a été pénalement condamné pour non-assistance à personnes en péril ;
Attendu que pour écarter, comme étant portée devant une juridiction incompétente, la demande indemnitaire formée par Bernard X..., partie civile, en son nom personnel et au nom de l'enfant, les juges d'appel retiennent qu'une erreur a pu être commise sur le terme de la grossesse, que la responsabilité du prévenu n'exclut pas celle d'autres praticiens exerçant à la maternité, que le service auquel appartenait Jean-Marc Y... était surchargé et que lui-même avait assuré un nombre de gardes supérieur à celui légalement exigible ; qu'ils en déduisent que la faute commise par le prévenu revêt le caractère d'une faute de service, dont il appartient à la juridiction administrative de réparer les conséquences dommageables ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'intéressé avait été définitivement condamné pour s'être volontairement abstenu de porter à la mère et à l'enfant, qui étaient en péril, l'assistance que, sans risque pour lui ni pour les tiers, il pouvait leur prêter-ce dont il résultait qu'il s'était rendu coupable d'un manquement inexcusable à ses obligations d'ordre professionnel et déontologique-, la cour d'appel a méconnu les principes ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse en date du 15 novembre 1990, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 90-87579
Date de la décision : 02/04/1992
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS - Agent d'un service public - Délit commis dans l'exercice des fonctions - Faute personnelle détachable - Définition

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - Médecin chirurgien - Délit commis dans l'exercice de ses fonctions - Faute personnelle détachable du service - Définition

La juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur la réparation des conséquences dommageables de la faute commise par un agent public et revêtant le caractère d'une faute personnelle, détachable de la fonction. Encourt dès lors la cassation l'arrêt par lequel une cour d'appel se déclare incompétente pour statuer sur la responsabilité civile d'un médecin attaché à un service public hospitalier, définitivement condamné pour non-assistance à personnes en péril, alors que la faute commise par celui-ci révélait un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique (1).


Références :

Code civil 1382
Décret 16 Fructidor AN III
Décret du 22 décembre 1789
Loi du 16 août 1790 Loi 1790-08-24

Décision attaquée : Cour d'appel de Toulouse (chambre correctionnelle), 15 novembre 1990

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1982-05-25 , Bulletin criminel 1982, n° 134, p. 368 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 02 avr. 1992, pourvoi n°90-87579, Bull. crim. criminel 1992 N° 140 p. 366
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1992 N° 140 p. 366

Composition du Tribunal
Président : Président :M. de Bouillane de Lacoste, conseiller le plus ancien faisant fonction. -
Avocat général : Avocat général :M. Galand
Rapporteur ?: Rapporteur :Mme Batut
Avocat(s) : Avocats :la SCP Lemaitre et Monod, la SCP Boré et Xavier, la SCP Célice et Blancpain

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1992:90.87579
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