LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. André Y..., ancien notaire, demeurant à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), place Jeanne d'Arc,
en cassation d'un arrêt rendu le 1er mars 1989 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre civile), au profit de la Société continentale de distribution d'automobiles (SOCODIA), société anonyme, dont le siège social est à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), route des Milles,
défenderesse à la cassation ; Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ; LA COUR, en l'audience publique du 28 janvier 1992, où étaient présents :
M. Jouhaud, président, M. Kuhnmunch, conseiller rapporteur, MM. Viennois, Lesec, Fouret, Pinochet, Mmes Lescure, Delaroche, conseillers, Mme X..., M. Charruault, conseillers référendaires, Mme Flipo, avocat général, Mlle Ydrac, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Kuhnmunch, les observations de Me Foussard, avocat de M. Y..., de la SCP Rouvière, Lepître et Boutet, avocat de la Société continentale de distribution d'automobiles, les conclusions de Mme Flipo, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que la société Rome Garage, propriétaire de locaux dépendant d'immeubles en copropriété, y avait créé un fonds de commerce de vente, d'achat et de réparation d'automobiles ; que, par deux actes du 21 septembre 1965, dressés par M. Y..., notaire, elle a vendu à la société Continentale de distribution d'automobiles (Socodia) le fonds de commerce et lui a consenti un bail commercial ; qu'ayant décidé d'exproprier ces locaux, la commune a porté à la connaissance de la Socodia, le 2 août 1973, qu'aux termes de deux actes notariés publiés des 24 mai 1963 et 17 juin 1964, dressés par un autre notaire, la société Rome Garage s'était engagée, comme condition de délivrance d'un permis de construire malgré l'existence d'une servitude non aedificandi, à abandonner, au cas d'expropriation, le montant de toute plus-value pouvant être apportée à l'immeuble en raison des travaux que cette société se proposait d'effectuer ou de la création de tout fonds de commerce ; qu'un arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 13 janvier 1982 a décidé que cette convention de renonciation était opposable à la Socodia à qui n'avaient été transmis que des droits limités ; que la société Rome Garage étant insolvable, la Socodia a assigné en responsabilité, en 1982, M. Y... à qui elle reprochait d'avoir négligé de s'informer auprès de son confrère ayant redigé les actes d'acquisition de la société Rome Garage ainsi que le réglement de
copropriété ; que la Socodia a fait valoir que la connaissance de ces actes lui aurait permis d'être informée de la renonciation faite par la société Rome Garage ; que la cour d'appel (Aix-en-Provence, 1er mars 1989) a confirmé le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de M. Y... et a condamné cet officier public à verser une indemnité provisionnelle en ordonnant une expertise avant de se prononcer sur le préjudice ; Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que le notaire fait grief à l'arrêt d'avoir retenu sa responsabilité alors que, selon le moyen, d'une part, les indemnités d'expropriation devant couvrir l'éventualité du préjudice direct,
matériel et certain causé par l'expropriation, la non-révélation de l'information contenue dans le règlement de copropriété, selon laquelle les biens étaient susceptibles d'être expropriés, n'était de nature à causer aucun préjudice dont le notaire fût tenu à réparation et que, par suite, la cour d'appel a violé les articles 1137 et 1147 du Code civil ; et alors que, d'autre part, faute d'avoir constaté que la Socodia aurait inévitablement entrepris des démarches auprès de l'administration, qui l'auraient nécessairement conduite à déceler l'existence d'une renonciation de son auteur à percevoir une indemnité de plus-value, la cour d'appel, qui n'a pas fait apparaître l'existence d'un lien de causalité entre la faute et le dommage, a privé sa décision de base légale ; Mais attendu que les juges du second degré ont relevé que M. Y..., rédacteur des actes de vente du fonds de commerce et du bail, dans lesquels il a mentionné l'existence d'un réglement de copropriété publié, avait l'obligation de prendre connaissance de ce document et d'informer de son contenu son client, ce qui lui aurait permis de le conseiller et de contracter en toute connaissance de cause ; qu'ils ont encore retenu que cette carence du notaire était directement à l'origine du préjudice subi par la Socodia qui n'a appris qu'après plusieurs années d'exploitation l'existence d'une procédure d'expropriation et la renonciation de la société Rome Garage et qui, dûment informée, aurait été dissuadée d'acquérir et de louer ou aurait été invitée à rechercher auprès de l'autorité administrative de plus amples renseignements ; que la
cour d'appel a pu déduire de ces énonciations que le notaire avait commis une faute qui était en relation causale avec le préjudice invoqué ; que le moyen ne peut donc être accueilli en aucune de ses deux branches ; Et sur le second moyen :
Attendu que M. Y... reproche encore à la cour d'appel d'avoir retenu sa responsabilité alors que, selon le moyen, faute de s'être expliquée, comme il lui était demandé, sur le caractère purement éventuel, et partant non réparable, du dommage, tenant à ce que l'expropriation, seulement envisagée, ne s'était pas réalisée, les juges du second degré ont privé leur décision de base légale ; Mais attendu que la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que la carence du notaire, ayant empêché la Socodia de contracter en toute connaissance de cause, le préjudice subi par celle-ci est certain dés lors qu'elle a acheté un fonds déprécié comme étant "susceptible d'expropriation" et, par suite, devenu "invendable" ; que le moyen n'est donc pas fondé ; PAR CES MOTIFS ; REJETTE le pourvoi ;