CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Christophe,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 30 mai 1990, qui a déclaré irrecevable sa demande en exclusion de la mention, au bulletin n° 2 du casier judiciaire, d'une condamnation prononcée antérieurement contre lui.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 55-1 du Code pénal, 593, 703 et 775-1 du Code de procédure pénale, ensemble méconnaissance des règles et principes qui gouvernent l'autorité qui s'attache à la chose jugée et violation des articles 18 de la Déclaration des droits de l'homme et 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que des règles et principes que génère le droit à une réinsertion :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable une demande en exclusion d'une condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire ;
" aux motifs que par jugement du 31 août 1988, le tribunal correctionnel de Chambéry a déclaré Christophe X... coupable d'avoir à Barby, le 4 août 1988, étant militaire, refusé d'obéir à son chef de corps, le lieutenant-colonel Edmond Y..., qui lui donnait l'ordre relatif au service de revêtir l'uniforme, délit prévu et réprimé par l'article 447, alinéa 1er, du Code de justice militaire et l'a condamné, en répression, à 1 an d'emprisonnement, lui accordant la dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire ; qu'il a été interjeté appel de cette décision le 2 septembre 1988 par le ministère public, uniquement sur la dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire ; que, par arrêt contradictoire et définitif du 7 décembre 1988, la Cour a noté que la position du prévenu qui refuse de servir la République française dans le cadre de l'administration militaire rendait impossible de lui permettre d'occuper une fonction dans l'administration de l'Education nationale comme il le sollicitait en lui accordant la dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire et qu'il y avait lieu de rejeter sa demande en réformant la décision entreprise ; que, par lettre du 14 novembre 1989, Christophe X... présente une requête en exclusion du bulletin n° 2 de la mention de la condamnation précitée que la Cour déclare irrecevable en vertu de l'autorité de la chose jugée ;
" alors que, d'une part, tout condamné, tant qu'il n'a pas usé lui-même de ce droit, dispose de la prérogative fondamentale qui lui est personnelle de saisir la juridiction compétente d'une requête tendant spécialement à exclure la mention d'une condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire, et ce nonobstant la circonstance que, sur appel du ministère public s'agissant du jugement de condamnation à une peine privative de liberté avec exclusion de la mention de la condamnation au bulletin n° 2, la Cour se soit prononcée par un précédent arrêt en décidant que la condamnation devait figurer sur ledit bulletin ;
" alors, que, d'autre part, en matière de relèvement, fût-ce de l'inscription d'une condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire et ce, à la requête du condamné usant d'un droit fondamental qui lui est personnel, les juges jouissent de la plus grande latitude dont ils ne doivent aucun compte ; qu'en refusant d'user de ce pouvoir selon les prévisions de la loi, sur le fondement de motifs inopérants, la Cour méconnaît encore les règles et principes cités au moyen ;
" alors que, de troisième part, la demande de relèvement, comme en l'espèce, concerne la réinsertion du condamné dans la vie civile eu égard à son attitude depuis sa condamnation ; qu'en opposant à ce dernier la chose jugée au moment de la condamnation à une peine privative de liberté, la Cour viole par refus d'application les articles 55-1 du Code pénal, 703 et 715-1 du Code de procédure pénale, ensemble méconnaît le principe fondamental selon lequel tout condamné ayant purgé sa peine et étant finalement en règle au regard de ses obligations militaires, d'user de prérogatives que lui réserve la loi pour se réinsérer dans la vie civile eu égard à ses aptitudes et à ses choix ;
" et alors aussi que le condamné avait fait valoir dans sa requête qu'il avait purgé sa peine de 1 an de prison, qu'il a été libéré en août 1989, qu'à compter de sa libération il accomplit son service national pendant 2 années selon les modalités des articles L. 51 et suivants du Code du service national en se soumettant au contrôle du juge de l'application des peines ; que le retrait de la condamnation du casier judiciaire était de nature à favoriser son insertion professionnelle ; qu'il serait spécialement inéquitable de pénaliser un objecteur de conscience en maintenant la mention de sa condamnation au casier judiciaire, cependant qu'aux termes de l'article L. 65 du Code du service national, il est réputé avoir satisfait à ses obligations du service national ; que le maintien de sa condamnation au casier judiciaire (bulletin n°2) revient à lui infliger une sanction supplémentaire d'une extrême gravité, puisqu'il se verrait ainsi priver du bénéfice de toutes ses études supérieures, à défaut de pouvoir intégrer l'Education nationale ; qu'il y avait là autant de circonstances de fait et de droit nouvelles par rapport à ce qu'a eu à juger la cour d'appel de Chambéry le 7 décembre 1988, si bien qu'en opposant au requérant l'autorité qui s'attache à la chose précédemment décidée, la Cour méconnaît les règles et principes qui s'évincent des dispositions de l'article 1351 du Code civil ;
" et alors enfin que la liberté de conscience de tout citoyen lui permettant aujourd'hui d'obtenir le statut d'objecteur de conscience, celui qui a refusé de revêtir l'uniforme et qui a été condamné pour cette circonstance, tire des dispositions du Code de procédure pénale, du Code pénal et des principes qui s'évincent du droit positif la possibilité de demander à la juridiction compétente de lui accorder la dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire de la condamnation qui l'a frappé et qu'il a exécutée ; étant observé que le prévenu qui s'est soumis à 24 mois de contrôle judiciaire par décision de la commission juridictionnelle selon les prévisions des articles L. 51 et suivants du Code du service national, se trouve ainsi en règle par rapport aux exigences dudit Code ; qu'en refusant a priori d'examiner sa requête au motif qu'elle se heurterait à la chose précédemment jugée, cependant que celle-ci prenait appui sur la liberté de conscience, ensemble le droit fondamental d'être en situation de se réinsérer dans la vie sociale, la Cour viole derechef les règles et principes visés au moyen " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que le rejet d'une demande d'exclusion de la mention d'une condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire ne fait pas obstacle à ce que, la situation du condamné s'étant modifiée, les juges soient saisis d'une nouvelle demande aux mêmes fins ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, se fondant sur les dispositions de l'article 775-1 du Code de procédure pénale, Christophe X... a, le 14 novembre 1989, saisi la cour d'appel d'une requête tendant à ce que soit exclue du bulletin n° 2 du casier judiciaire, la mention d'une condamnation à 1 an d'emprisonnement prononcée antérieurement contre lui par ladite Cour ;
Attendu que, par l'arrêt attaqué, les juges ont déclaré cette requête irrecevable " en vertu de l'autorité de la chose jugée ", au motif qu'une même demande leur avait déjà été soumise et que, par arrêt du 7 décembre 1988, devenu définitif, elle avait été rejetée ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Chambéry, en date du 30 mai 1990, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble.