CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- la SA Le Casino de Trouville, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 8 juin 1990, qui dans la procédure suivie contre Guy X... du chef d'émission de chèques sans provision, après relaxe partielle, l'a déboutée de toutes ses demandes.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1 et 2 de la loi du 15 juillet 1907, 34 et 35 de l'arrêté du 23 décembre 1959, 1965 du Code civil, 66 du décret du 30 octobre 1935, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté la société Le Casino de Trouville de la constitution de partie civile qu'elle formait contre Guy X... pour avoir émis, à son détriment, deux chèques bancaires sans provision ;
" aux motifs que, si le chèque est un moyen de paiement, sa remise ne constitue pas un paiement, lequel n'a lieu que lors de son encaissement ; qu'aux termes de l'article 7 du décret n° 59-1489 du 22 décembre 1958, les jeux ne peuvent être pratiqués qu'argent comptant ; tout enjeu sur parole est interdit ; qu'en remettant des plaques à X... en échange de chèques, Le Casino de Trouville n'avait aucune assurance que le compte sur lequel ils étaient tirés était suffisamment provisionné, et que ceux-ci allaient être payés, ce qui n'aurait pas été le cas s'il s'était agi de chèques de banque ou certifiés ; qu'ils furent, d'ailleurs, rejetés faute de provision ; que X... avait ainsi été amené à jouer sur parole, ce que la réglementation des jeux ne permet pas ; que la remise de plaques dans de telles conditions ne peut s'analyser autrement que comme une avance d'argent consentie avant le jeu pour l'alimenter et, par là même, y inciter ; que X... est, par conséquent, fondé à se prévaloir des dispositions de l'article 1965 du Code civil ; que, dès lors, il convient de débouter, sur ce point, Le Casino de Trouville de ses demandes ;
" alors que, par application des articles 1 et 2 de la loi du 15 juillet 1907 et des articles 34 et 35 de l'arrêté du 23 décembre 1959, autorisant la tenue de jeux de hasard dans les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques, et habilitant ceux-ci à accepter des chèques et à les faire négocier au guichet d'une banque dans lesdits locaux, l'exception de dette de jeu ne saurait être opposée à la demande d'un de ces établissements tendant au remboursement d'un chèque sans provision " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, par application des articles 1 et 2 de la loi du 15 juillet 1907 et des articles 34 et 35 de l'arrêté du 23 décembre 1959 autorisant la tenue de jeux de hasard dans les casinos et habilitant ceux-ci à accepter des chèques, l'exception prévue à l'article 1965 du Code civil ne saurait être opposée à la demande d'un tel établissement tendant au remboursement d'un chèque sans provision ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Guy X... a émis à l'ordre du Casino de Trouville, le 31 janvier 1988, deux chèques tirés sur sa banque, en échange desquels il a obtenu des plaques de jeu ; que, constatant qu'au moment de la remise, le casino ignorait l'absence ou l'insuffisance de la provision, les juges du second degré ont estimé que le prévenu avait eu l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui et l'ont pénalement condamné pour émission de chèques sans provision ;
Attendu que, pour débouter la partie civile de son action en paiement des chèques, les juges énoncent que, la remise d'un chèque autre que " de banque " ou certifié ne constituant pas un paiement, le prévenu avait joué sur parole en contravention à l'article 7 du décret du 22 décembre 1959 ;
Mais attendu qu'en prononçant par de tels motifs, et alors que tout chèque est un instrument de paiement qui rend exigible la somme qui y figure dès la date de son émission, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des principes susrappelés ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
Et sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 1 et 2 de la loi du 15 juillet 1907, 34 et 35 de l'arrêté du 23 décembre 1959, 1965 du Code civil, 66 du décret du 30 octobre 1935, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté la société Le Casino de Trouville de la constitution de partie civile qu'elle formait contre Guy X... pour avoir émis, à son détriment, cinq chèques de casino sans provision ;
" aux motifs que les formules en cause, au moment où elles ont été signées par X..., ne constituaient, en fait, que de simples titres de créance, correspondant à un crédit alloué par le casino, et ne pouvaient alors être considérées comme des instruments de paiement au comptant ; que, si, ayant gagné, il avait restitué les plaques ainsi obtenues, les formules auraient, bien entendu, été détruites, et il aurait encaissé ses gains ; que, dès lors, il y a lieu, là encore, d'infirmer partiellement le jugement attaqué et de relaxer X... du chef d'émission de chèque sans provision en ce qui concerne ces cinq formules ;
" alors que le client d'un casino dont l'activité est autorisée par la loi et réglementée par les pouvoirs publics, ne peut se prévaloir de l'article 1965 du Code civil, sauf s'il est établi que la dette se rapporte à des prêts consentis par cet établissement pour alimenter le jeu ; que, si toute remise de plaques contre un chèque ne constitue pas une avance et ne caractérise pas une opération de crédit, il peut en être autrement lorsque les circonstances de l'opération démontrent qu'elle n'a eu pour but que de couvrir un prêt consenti par le casino en vue d'alimenter le jeu ; qu'en s'abstenant de justifier que, des circonstances particulières de l'espèce, il ressort que les cinq chèques de casino tirés par Guy X... ont eu pour seul objet de couvrir un prêt consenti par la société Le Casino de Trouville en vue d'alimenter le jeu, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Vu les articles précités ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que, le 4 février 1988, Guy X... a inscrit sur cinq formules de chèque fournies par le Casino de Trouville le prix de plaques de jeu achetées par lui et qu'il y a apposé sa signature ; que le caissier de l'établissement a complété ensuite ces pièces sur les indications qui lui ont été fournies, notamment le nom du tiré et le numéro du compte ouvert au nom du tireur ;
Attendu que, pour relaxer X..., poursuivi du chef d'émission de chèques sans provision, et pour débouter la partie civile par voie de conséquence, les juges du second degré se bornent à énoncer que lesdits documents ne faisaient, au moment où ce dernier avait reçu les plaques, que consacrer l'octroi d'un crédit ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, les juges du second degré ne pouvaient, sans se contredire ou mieux s'en expliquer, constater que les documents en question répondaient à la définition que l'article 1er du décret du 30 octobre 1935 donne des chèques et énoncer ensuite qu'ils constitueraient des reconnaissances de dettes ;
Que la cassation est derechef encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 8 juin 1990, mais seulement en ce qui concerne les intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Amiens.