CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Enver,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, chambre correctionnelle, en date du 24 janvier 1991, qui, pour infraction à la législation sur les étrangers, l'a condamné à 1 an d'emprisonnement.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 630-1 du Code de la santé publique, 27 et 28 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de séjour en France en infraction à une interdiction du territoire, et l'a condamné à 1 an d'emprisonnement ;
" aux motifs que la présentation des décisions administratives, inopposables à l'autorité de chose jugée le 9 mai 1983, est sans aucun fait sur la culpabilité, et que le délit poursuivi impliquait seulement une désobéissance à la décision de justice dont le caractère exécutoire ne lui avait pas échappé ; qu'il ne démontrait pas à la Cour l'état de nécessité qu'il invoque ;
" alors, d'une part, que ne commet aucune infraction à l'interdiction définitive du territoire français, susceptible d'être sanctionnée pénalement, l'étranger qui, postérieurement à sa condamnation à l'interdiction définitive du territoire, a fait l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence du ministre de l'Intérieur ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que le prévenu avait fait l'objet, après sa condamnation à l'interdiction définitive du territoire français et sa mise en liberté sous contrôle, d'un arrêté d'assignation à résidence ; que, dès lors, la sanction prononcée contre lui du chef d'infraction à l'interdiction définitive du territoire français est illégale ;
" alors, d'autre part, que l'impossibilité de quitter le territoire français pour un individu frappé d'une interdiction définitive du territoire français ne ressortit à l'appréciation du juge correctionnel que si le contrevenant n'a pas fait l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence fondé sur l'impossibilité de quitter le territoire français, pris par le ministre de l'Intérieur ; qu'en l'espèce, où le prévenu avait produit un arrêté d'assignation à résidence pour impossibilité de quitter le territoire français, les juges d'appel ne disposaient d'aucun pouvoir d'appréciation de la réalité de l'impossibilité hors la question de l'illégalité de l'arrêté qu'aucune des parties n'avait soulevée en l'espèce et qu'il ne leur appartenait pas de soulever d'office ; qu'en substituant leur propre appréciation à celle de l'autorité administrative, les juges d'appel ont méconnu leur pouvoir ;
" alors, de troisième part, que contrairement aux énonciations de l'arrêt attaqué, les dispositions de l'article 27 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction applicable aux faits, excluaient, en leur alinéa 2, qu'il fût fait application, à l'étranger qui, même en l'absence d'arrêté d'assignation à résidence, pouvait se trouver dans l'impossibilité de quitter le territoire français, des sanctions prévues par l'alinéa 1er pour infractions à arrêté d'expulsion ou à interdiction définitive dudit territoire ; que ce texte, moins sévère que celui modifié par la loi du 9 septembre 1986, continuait à régir les situations qui s'étaient créées avant son entrée en vigueur, et qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé à la fois l'article 27 ancien de l'ordonnance précitée et le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ;
" alors, enfin, qu'à supposer que les dispositions de l'article 27 issues de la loi du 9 septembre 1986 fussent applicables à un étranger frappé d'une interdiction définitive du territoire français, l'application de ce texte est tempérée par les dispositions de l'article 28 issues de la même loi, qui excluent que l'étranger qui, postérieurement à sa condamnation, a fait l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence puisse être poursuivi pour infraction à l'interdiction définitive du territoire " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu, d'une part, que l'article L. 630-1 du Code de la santé publique, qui prévoit la possibilité pour les tribunaux de prononcer l'interdiction du territoire français contre tout étranger condamné pour les délits prévus par les articles L. 626, L. 627-2, L. 628, L. 628-4 et L. 630 dudit Code, dispose que le condamné sera dans tous les cas soumis aux dispositions des articles 27 et 28 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;
Attendu, d'autre part, que la loi du 9 septembre 1986 modifiant l'article 28 précité, a étendu à l'étranger " qui doit être reconduit à la frontière " les dispositions relatives à l'assignation à résidence initialement prévues par la loi au seul bénéfice de celui ayant fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Enver X... a, par arrêté ministériel en date du 21 mars 1985, été assigné à résidence sur le territoire du département des Hauts-de-Seine au motif " qu'il est établi que l'intéressé n'est pas en mesure présentement de quitter le territoire français " ; que cette décision administrative vise l'article 28 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers, l'article L. 630-1 du Code de la santé publique, ainsi que le jugement du tribunal de Paris, en date du 9 mai 1983 condamnant l'intéressé à 15 mois d'emprisonnement et à la peine complémentaire d'interdiction définitive du territoire français ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'infraction à cette mesure d'interdiction du territoire français et rejeter le moyen tiré de la portée de l'arrêté d'assignation à résidence, la cour d'appel se borne à énoncer que la " présentation des décisions administratives, inopposables à l'autorité de chose jugée du 9 mai 1983, est sans effet sur la culpabilité " ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'existence de l'arrêté d'assignation à résidence, à le supposer toujours valable, pouvait être de nature à rendre impossible la commission de l'infraction poursuivie, les juges n'ont pas légalement justifié leur décision ; que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 24 janvier 1991 ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.