LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Jules X..., demeurant à Pietranera-Bastia (Corse), résidence "Les Anémones",
en cassation d'un arrêt rendu le 25 janvier 1988 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile), au profit de la société Comptoir Corse de l'Automatique (CCA), dont le siège social est sis à Lumio (Corse), lieudit Marine de San Ambrogio,
défendeur à la cassation ; Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ; LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 23 octobre 1990, où étaient présents :
M. Defontaine, président, M. Edin, rapporteur, M. Hatoux, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Edin, les observations de Me Choucroy, avocat de M. X..., de la SCP Coutard et Mayer, avocat de la société Comptoir Corse Automatique (CCA), les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Bastia, 25 janvier 1988) que la société Comptoir Corse de l'Automatique (la société CCA) a accepté, par la signature de son gérant M. Y... et de son directeur, quatorze lettres de change ne portant ni la mention du tireur, ni la signature de celui-ci ; qu'après le décès de M. Y..., Mme Z..., sa fille, a remis les effets à M. X... ; que celui-ci y a porté son nom et sa signature en qualité de tireur, puis a assigné la société CCA en paiement de leur montant ; que la société CCA a porté plainte avec constitution de partie civile contre M. X... ; que celui-ci a été relaxé par une décision définitive ; Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande en paiement, alors, selon le pourvoi, qu'une lettre de change incomplète lors de son émission peut être régularisée ultérieurement en exécution d'un accord préalable entre le preneur et le tiré, qu'en l'espèce cet accord était constaté par l'arrêt qui relève que les juridictions répressives relaxant le preneur d'une poursuite du chef de faux en écritures, avaient admis l'existence d'un accord entre le preneur et l'héritière du tiré prédécédé pour qu'il gère ses affaires contre remise des traites, d'où il suit qu'en déclarant nulles en la forme les lettres de change, la cour d'appel a violé l'article 110 du Code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt, loin de constater l'existence d'un accord préalable entre la société CCA, tiré accepteur, et M. X..., permettant à ce dernier d'apposer son nom et sa signature en qualité de tireur, relève seulement que Mme Z..., fille de M. Y..., a chargé M. X... de percevoir le montant des lettres de change et de le partager par moitié avec elle-même ; qu'ainsi la cour d'appel, en l'absence, au moment de l'acceptation par le tiré, de la signature du
tireur, mention obligatoire en vertu de l'article 110 du Code de commerce, a exactement décidé que les effets ne valaient pas comme lettres de change ; que le moyen n'est pas fondé ; Sur le second moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... reproche encore à l'arrêt d'avoir déclaré qu'il n'existait pas de provision à la date d'échéance des effets, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la chose jugée au pénal a autorité sur les juges civils, qu'en l'espèce un arrêt de la cour d'appel de Bastia "confirmé" par un arrêt de la Cour de Cassation avait relaxé le porteur des poursuites des chefs d'abus de blanc-seing et de faux en écriture après avoir constaté que les effets remis, tirés sur une société, portaient la signature du gérant et celle du directeur, que cette double signature, inexplicable pour une affaire commerciale qui exigeait seulement la signature du gérant, ne s'expliquait que par le règlement d'une affaire personnelle, que la provision était donc bien constituée dès la signature et que son existence n'était plus contestable, d'où il suit que l'arrêt à violé l'article 1351 du Code civil ; alors, d'autre part, l'arrêt n'explique pas en quoi la remise des lettres au bénéficiaire par le tireur, la convention d'en partager le produit par moitié et le désir du tireur d'éviter des pénalités fiscales, tous éléments concernant les rapports entre le tireur et le bénéficiaire, démontraient l'absence de provision entre le tireur et le tiré, d'où il suit que l'arrêt a violé l'article 116 du Code de commerce ; Mais attendu qu'il ne se déduit d'aucune des énonciations de la décision pénale invoquée, que celle-ci ait retenu l'existence d'une dette de la société CCA envers M. X... ; qu'ayant relevé les circonstances dans lesquelles les effets avaient été remis, non par le tireur à un bénéficiaire, mais par Mme Z... à M. X..., c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve que la cour d'appel a estimé que M. X... n'avait pas de créance sur la société CCA ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X... à une amende civile de cinq mille francs, envers
le Trésor public ; le condamne, envers la société Comptoir Corse Automatique (CCA), aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience du vingt six novembre mil neuf cent quatre vingt dix.