AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le cinq décembre mil neuf cent quatre vingt neuf, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller de BOUILLANE de LACOSTE, les observations de la société civile professionnelle ROUVIERE, LEPITRE et BOUTET et de la société civile professionnelle BORE et XAVIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général RABUT ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
X... Maria veuve Y..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 19 décembre 1988 qui, dans la procédure suivie contre Bernard Z... du chef d'homicide involontaire, s'est prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que la cour d'appel, infirmant le jugement, a ramené le préjudice patrimonial de veuve Y... de 345 000 francs à 142 000 francs ;
"aux motifs qu'en ce qui concerne l'indemnisation du préjudice patrimonial ou économique de Marie X... veuve Y..., née le 20 mai 1932, sans profession, il convient d'observer que les revenus annuels de Gaston Y..., âgé de 57 ans, coiffeur, s'élevaient à la somme de 72 000 frans par an ; que, déduction faite de sa part de consommation personnelle évaluée à 25% (18 000 francs par an), le préjudice indemnisable s'élève à la somme de 54 000 francs par an ; que, compte tenu de la pension de réversion du mari servie à la veuve et de la propre pension de retraite de celle-ci, l'évaluation du préjudice patrimonial ou économique doit être réduite à la somme de 160 305 francs et déduction faite du capital-décès versé par la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche, s'élevant à la somme de 19 076,40 francs à 141 228,60 francs arrondie à 142 000 francs ;
"alors que la cour d'appel ne pouvait réduire de façon substantielle le préjudice patrimonial de Mme veuve Y... sans préciser davantage les éléments sur lesquels elle se fondait, notamment le montant des pensions de réversion et retraite personnelle dont bénéficierait l'intéressée la somme allouée par les juges du fond étant manifestement inférieure à celle résultant du calcul effectué par la MACIF, assureur du tiers responsable ; qu'ainsi l'arrêt est entaché d'une insuffisance de motifs" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, statuant sur la réparation du dommage patrimonial causé à Maria Y... par le décès accidentel de son mari, les juges du second degré, après avoir relevé que Gaston Y..., âgé de 57 ans lors de l'accident, tirait de sa profession d'ouvrier coiffeur un revenu annuel de 72 000 francs dont les trois quarts, soit 54 000 francs, étaient affectés aux besoins de son épouse, ajoutent "que, compte tenu de la pension de réversion du mari servie à la veuve et de la propre pension de retraite de celle-ci, l'évaluation du préjudice patrimonial ou économique doit être réduite à la somme de 160 305 francs" ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi sans préciser le montant desdites pensions ni les dates auxquelles elles avaient été ou devaient être liquidées, et sans rechercher, pour chacune d'elles, si elle revêtait un caractère indemnitaire, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de s'assurer de la légalité de la décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Caen, en date du 19 décembre 1988, mais seulement en sa disposition afférente à la réparation du préjudice patrimonial de Maria Y..., et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi dans la limite de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : MM. Le Gunehec président, de Bouillane de Lacoste conseiller rapporteur, Morelli, Jean Simon, Blin, Alphand conseillers de la chambre, Louise, Mme RactMadoux, M. Maron conseillers référendaires, M. Rabut avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.