LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le cinq octobre mil neuf cent quatre vingt neuf, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller GUTH, les observations de Me CHOUCROY et de COSSA, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ; Statuant sur le pourvoi formé par :
1°/ A... Jacques,
2°/ LA SOCIETE RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 13ème chambre, en date du 4 mars 1988, qui a déclaré constitué le délit de publicité illicite en faveur du tabac et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 3 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976, relative à la lutte contre le tabagisme, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que la publicité des briquets Camel, effectuée fin 1984, constituait une publicité indirecte en faveur des produits du tabac, et a condamné A... et la société Reynolds Tabacco France prise en qualité de civilement responsable à verser au Comité national contre le tabagisme la somme de 25 000 francs ; "aux motifs qu'il résulte des constatations faites par l'huissier que l'affiche ne faisait pas le même sort au mot Briquet et au mot Camel, écrit dans des caractères au moins deux fois plus grands et d'abord visibles au premier coup d'oeil ; qu'en outre apparaissaient, dans le coin inférieur droit de l'affiche, deux objets, l'un montré de profil, ouvert et allumé, ne pouvant être confondu avec autre chose qu'un briquet, le second, de face et d'une présentation identique à celle d'un paquet de cigarettes, la mention "Filters" et "Cigarettes", bien que floue, étant parfaitement lisible ; "alors, d'une part, que les juges d'appel ont dénaturé le constat d'huissier établi le 7 novembre 1984, en relevant que le mot Camel était écrit dans des caractères plus grands que le mot briquet et, de ce fait, d'abord visible au premier coup d'oeil, puisque le libellé exact du procès-verbal indiquait seulement que l'inscription "Briquets Camel", en haut de l'affiche, était réalisée en grosses lettres jaunes, et que celle mentionnant "Briquet Tempête Rechargeable fabriqué par Zippo USA", en bas de l'affiche, était réalisée en lettres blanches ; "alors, d'autre part, que la cour d'appel a dénaturé le constat d'huissier susindiqué, en énonçant qu'apparaissait dans le coin inférieur droit de l'affiche un objet de face, et d'une présentation identique à celle d'un paquet de cigarettes, la mention "Filters et Cigarettes", bien que floue, étant parfaitement lisible, alors que les observations du procès-verbal font état de représentation de deux briquets, identifiés comme tels, l'un étant ouvert et l'autre étant fermé ; "alors, enfin, que la cour d'appel, en affirmant que, dans ces conditions, un observateur moyen ne pouvait percevoir cette affiche que comme une publicité faite en faveur des cigarettes Camel, n'a pu, sans se contredire, énoncer que le délit de publicité indirecte en faveur du tabac était constitué ; qu'ainsi, en se prononçant par des motifs contradictoires, l'arrêt attaqué n'a pas légalement justifié la décision adoptée" ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué qu'a été établie par constat d'huissier la présence de deux affiches de grande dimension dont celle du bas représentait une publicité pour les briquets Camel ; que cet affichage était l'oeuvre de Jacques A..., directeur général de la société RJ Reynolds Tobacco France ;
Attendu que pour déclarer ces faits constitutifs du délit prévu et réprimé par l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 et allouer des dommages-intérêts au Comité de lutte contre le tabagisme, partie civile poursuivante, les juges du fond relèvent qu'il résulte des constatations faites par l'huissier, "et qui ne sont d'ailleurs pas contestées, que l'affiche, si elle portait bien en titre "Briquet Camel" ne faisait pas le même sort au mot Briquet et au mot Camel écrit dans des caractères au moins deux fois plus grands et d'abord visibles au premier coup d'oeil" ; qu'ils ajoutent qu'en outre apparaissaient dans le coin inférieur droit de l'affiche, deux objets, l'un montré de profil, ouvert et allumé, ne pouvant être confondu avec autre chose qu'un briquet, le second de face et d'une présentation identique à celle d'un paquet de cigarettes, "la mention Filters et Cigarettes bien que floue étant parfaitement lisible" ; qu'ils en ont déduit que, dans ces conditions, l'affiche litigieuse ne pouvait manquer d'être perçue par un observateur normalement attentif comme une publicité en faveur des cigarettes Camel, par là même incitatrice à la consommation de tabac et non à l'achat des produits, qui en étaient l'objet apparent ;
Attendu que ces motifs, fondés sur des constatations et des appréciations de fait souveraines, caractérisent sans insuffisance ni contradiction le délit, lequel est constitué aux termes de l'article 3 précité dès lors qu'une publicité même déguisée est effectuée en faveur du tabac ou des produits du tabac, sous quelque forme qu'elle se présente ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents :
MM. Angevin conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Guth conseiller rapporteur, Diémer, Malibert, Guilloux, Massé conseillers de la chambre, Pelletier, de Mordant de Massiac conseillers référendaires, M. Galand avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.