LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le dix-huit juillet mil neuf cent quatre vingt neuf, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller HEBRARD, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et LIARD et de la société civile professionnelle LESOURD et BAUDIN, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général PRADAIN ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SNC BUTAGAZ, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 20 octobre 1988, qui, dans la procédure suivie sur sa plainte, du chef d'abus de confiance, contre Jean-Claude X..., après relaxe, a déclaré sa constitution de partie civile irrecevable ;
Vu les mémoires produits tant en demande qu'en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la demanderesse irrecevable en sa constitution de partie civile ;
" aux motifs que la société Butagaz a été indemnisée des pertes de recettes qu'elle impute à l'abus de confiance de X... ; qu'elle ne peut se prévaloir d'un préjudice actuel, personnel et direct, d'autant que ses prétentions à un préjudice moral ne sont intervenues que postérieurement à la citation directe qu'elle a diligentée ;
" alors qu'il était soutenu par la demanderesse que l'incrimination d'abus de confiance ne protégeait pas seulement la propriété mais aussi la confiance entre les contractants et qu'un préjudice moral avait résulté pour elle de la trahison de la confiance qu'elle avait mise dans son mandataire ; que la cour d'appel ne pouvait, dès lors et sans s'expliquer davantage, affirmer que le préjudice moral serait intervenu postérieurement à la citation, sauf à priver sa décision de base légale ;
" alors surtout que la demanderesse soutenait qu'en dehors des détournements proprement dits remboursés par la caution et l'assureur, un préjudice avait résulté pour elle du trouble apporté à son fonctionnement par les délais de remboursement et les démarches qui avaient dû être entreprises par elle à cet effet, et que la Cour d'appel ne pouvait s'abstenir de répondre à ce moyen sans priver sa décision de motifs ;
" alors enfin que la demanderesse faisait valoir que son intervention pouvait n'être motivée que par le souci d'obtenir que soit établie la culpabilité de la personne poursuivie pour se prémunir contre l'action en révocation abusive du mandat exercée à son encontre et que la cour d'appel ne pouvait s'abstenir d'examiner ce moyen sans priver encore sa décision de motifs " ;
Vu les articles précités, ensemble l'article 418 du Code de procédure pénale ; Attendu que la constitution de partie civile de la victime de l'infraction est recevable, alors même qu'elle a pour seul objet la mise en mouvement de l'action publique en vue d'établir la culpabilité du prévenu ;
Attendu que la société Butagaz a cité directement devant le tribunal correctionnel Jean-Claude X..., dirigeant de la société Semur, en raison des détournements qu'il aurait commis à son préjudice en qualité de mandataire ; que les premiers juges ont relaxé le prévenu et débouté la partie civile de ses demandes ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable ladite constitution de partie civile sur le seul appel de la société Butagaz, les juges du second degré énoncent que l'action civile de cette société, indemnisée de son préjudice par son propre assureur et par une banque s'étant portée caution, n'est pas comparable à celle de la victime d'un accident du travail en quête d'une indemnisation sur laquelle l'issue de l'action publique est de nature à avoir une incidence déterminante ; que les juges ajoutent que ses prétentions à un préjudice moral ne sont intervenues que postérieurement à la citation ;
Mais attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations dont il résulte qu'aucune transaction faisant échec à l'action introduite par la victime contre l'auteur du délit n'était intervenue entre eux, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
Que la cassation est ainsi encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, en date du 20 octobre 1988, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.