Joint les pourvois n° 86-18.701 et n° 86-18.797 formés contre le même arrêt, le premier par la République islamique d'Iran et par l'Organisation pour les investissements et pour les aides économiques et technique de l'Iran (OIAETI) et le second par l'Organisation de l'énergie atomique de l'Iran (OEAI), et qui invoquent les mêmes moyens ;
Déclare irrecevable l'intervention des sociétés Framatome, Alsthom, Spie Batignolles et Framateg, qui ne justifient pas d'un intérêt personnel à défendre l'arrêt attaqué ;
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, qu'en exécution d'un accord international passé en 1974 entre le Gouvernement impérial iranien et le Gouvernement français, posant le principe d'une coopération scientifique, technique et industrielle entre les deux Etats, sont intervenues des conventions du 23 février 1975 aux termes desquelles, d'une part, l'Etat iranien a consenti au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) un prêt d'un milliard de dollars dont le remboursement était garanti par l'Etat français et, d'autre part, l'OEAI, établissement public iranien, sous le couvert d'une société créée à cette fin, la Sofidif, participait aux activités de la société Eurodif, ayant pour objet la construction et l'exploitation d'une usine d'enrichissement d'uranium à Tricastin, société dont elle devait posséder 10 % du capital et se voir conférer en contrepartie, dans la même proportion, un droit d'enlèvement d'uranium enrichi ; qu'en juin 1979, le nouveau gouvernement iranien, qui avait déjà cessé depuis quelques mois de notifier ses commandes de service d'uranium enrichi et suspendu le paiement des avances d'actionnaires et des acomptes qu'il devait en qualité de client, a fait connaître sa décision d'abandonner son programme nucléaire et de cesser d'acquérir de l'uranium enrichi ; que les sociétés Eurodif et Sofidif, invoquant le préjudice que leur causait la rupture des accords, ont mis en oeuvre la procédure d'arbitrage prévue aux conventions et ont présenté requête au président du tribunal de commerce en vue d'être autorisées, pour garantie de leur créance, à saisir conservatoirement, entre les mains du CEA et de l'Etat français, les sommes dues par ceux-ci à l'Etat iranien ; que l'arrêt confirmatif attaqué (Versailles, 9 juillet 1986), statuant sur renvoi après cassation, a débouté la République islamique d'Iran, l'OEAI et l'Organisation pour les investissements et les aides économiques et techniques de l'Iran (OIAETI), substituée à la précédente, de leur demande tendant à la rétractation de l'ordonnance du président du tribunal de commerce qui avait autorisé la saisie conservatoire ;
Attendu qu'en aucun de leurs moyens les demandeurs ne critiquent le motif liminaire de l'arrêt de la cour d'appel, emprunté à l'arrêt de cassation qui la saisissait, et aux termes duquel l'immunité d'exécution dont jouit l'Etat étranger est de principe, que toutefois elle peut être exceptionnellement écartée et qu'il en est ainsi lorsque le bien saisi a été affecté à l'activité économique ou commerciale relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu qu'il est soutenu que le président du tribunal de commerce aurait été incompétent pour statuer sur la demande, le seul fait par les parties d'avoir prévu un arbitrage soumis à la Chambre de commerce internationale n'établissant pas le caractère commercial du contrat dans lequel cette clause est insérée ;
Mais attendu que, même si la cour d'appel avait infirmé la décision du chef de la compétence, elle aurait dû statuer dès lors qu'elle était également juridiction d'appel des décisions du président du tribunal de grande instance qui aurait été compétent ; que le grief est donc inopérant et que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que, sous couvert de griefs de violation de l'article 48 du Code de procédure civile et de dénaturation de la convention d'arbitrage, le pourvoi soutient que les seules mesures conservatoires pouvant être ordonnées en cours d'arbitrage sont celles qui ne nécessitent en aucune manière une appréciation du fond du litige par l'autorité judiciaire saisie, ce qui ne serait pas le cas de la saisie conservatoire prévue par l'article 48 précité, laquelle suppose que le juge a estimé que la créance paraissait fondée en son principe ;
Mais attendu que cette appréciation de l'apparence n'implique pas un examen du fond, qui est réservé aux arbitres ; qu'il en résulte que la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé la convention, a pu estimer que cette saisie conservatoire était possible en cours d'arbitrage ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses six branches :
Attendu que les parties iraniennes soutiennent, d'abord, que l'affectation du bien saisi à l'activité économique ou commerciale de droit privé qui donne lieu à la demande en justice ne peut tenir en échec l'immunité d'exécution que si elle résulte expressément des conventions des parties et que, notamment, en l'absence d'une clause expresse, cette affectation est exclue en présence d'un prêt de consommation, qui confère à l'emprunteur la propriété des choses prêtées ; qu'il est, ensuite, prétendu que la cour d'appel aurait dénaturé l'accord industriel du 23 février 1975 en le donnant comme intervenu entre l'Etat français et l'Etat iranien, alors qu'aucun de ces Etats n'y est partie, et dénaturé l'accord de la même date concernant la garantie accordée par le Gouvernement français au prêt consenti par le Gouvernement iranien, qui ne fait aucune référence à l'accord industriel passé le même jour ; que les deux pourvois reprochent encore à la cour d'appel d'avoir inversé la charge de la preuve en fondant l'affectation sur une simple allusion contenue dans les conclusions des sociétés Eurodif et Sofidif et d'avoir entaché
son arrêt d'un défaut de motifs en se fondant sur un rapport présenté par un ministre iranien au Parlement sans répondre aux conclusions des parties iraniennes qui soutenaient que ce ministre n'avait pas compétence pour modifier les termes du contrat ;
Mais attendu que l'affectation du bien saisi à l'activité économique ou commerciale, relevant du droit privé, qui donne lieu à la demande en justice tient en échec l'immunité de juridiction, alors même que cette affectation n'a pas été prévue par une clause expresse du contrat ; que la cour d'appel pouvait rechercher, par tous moyens, si cette affectation existait ; que, dans cette recherche, il ne lui était pas interdit de faire état d'un contrat auquel les Etats français et iranien n'étaient pas formellement parties et que la dénaturation alléguée par la troisième branche, à supposer que la rédaction critiquée ne soit pas due à une erreur de plume, a été sans effet sur l'appréciation faite par l'arrêt ; que l'accord de prêt du 23 février 1975 contient bien la référence à l'accord industriel de même date dont fait état l'arrêt, de sorte que la dénaturation alléguée par la quatrième branche, qui invoque l'accord, différent, comportant garantie du prêt par le Gouvernement français, n'existe pas ; qu'enfin la cour d'appel, qui a fait une appréciation d'ensemble de la situation et qui n'était pas tenue de répondre à un simple détail de l'argumentation des parties, n'a ni inversé la charge de la preuve, ni entaché sa décision du défaut de motifs qui lui est reproché ; d'où il suit qu'en aucune de ses branches le moyen n'est fondé ;
Et, sur les quatrième et cinquième moyens, réunis, pris en leurs quatre branches :
Attendu que le quatrième moyen critique le motif par lequel la cour d'appel a admis les sociétés Eurodif et Sofidif, se prétendant créancières de l'OIAETI et de l'OEAI, à saisir, entre les mains du CEA, les sommes dues par celui-ci à la République d'Iran, sans avoir recherché si c'était bien cet Etat qui était débiteur des sommes qui justifiaient la saisie et sans avoir même, à tout le moins, recherché s'il existait une apparence de créance de ces sociétés contre cet Etat ;
Attendu qu'en un cinquième moyen il est reproché à la cour d'appel d'avoir déclaré que le principe de créance des sociétés Eurodif et Sofidif était suffisamment démontré par la dénonciation unilatérale des contrats par les parties iraniennes, non déniée par la République islamique, alors que, sous couvert d'un double grief de violation de la loi et de méconnaissance des termes du litige, le moyen soutient que l'OEAI, établissement public iranien, était le seul contractant des sociétés Eurodif et Sofidif ;
Mais attendu que la cour d'appel relève, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que l'OIAETI et l'OEAI sont des " départements d'un ministère de la République d'Iran " ; que dès lors, son arrêt échappe aux critiques de ces deux moyens ;
Et attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des sociétés Eurodif et Sofidif et du CEA les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi