LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt neuf novembre mil neuf cent quatre vingt huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller ZAMBEAUX, les observations de société civile professionnelle LESOURD et BAUDIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général RABUT ; Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Bréda épouse Y..., partie civile,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la d'appel de PARIS du 7 janvier 1987 qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant qu'il n'y avait lieu à informer sur sa plainte du chef de crime contre l'humanité, déposée contre x... ; Vu le mémoire produit ; Vu l'article 575 alinéa 2, 1° du Code de procédure pénale ; Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation du décret 62-328 du 14 avril 1962, de l'article 3 de la loi du 17 juin 1966, de l'article premier de la loi 68-687 du 17 juin 1968, des préambules des Constitutions du 27 octobre 1946 et du 4 octobre 1958, de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, de la déclaration de Moscou du 30 octobre 1943, de l'article 6c de la Charte du tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945, de l'interprétation donnée le 19 juin 1979 par le ministre des Affaires Etrangères de la Résolution des Nations-Unies du 13 février 1946, de la Résolution des Nations-Unies du 11 décembre 1946, de l'article unique de la loi française du 26 décembre 1964 constatant l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité, de l'article 15 § 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l'article 7 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 6, 85, 86, 188 à 190, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à mémoire régulièrement déposé ; " en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance de refus d'informer du magistrat-instructeur pour des faits intervenus à PARIS en septembre 1958 et qualifiés par la plainte de dame Y... de crime contre l'humanité sur la personne de Abdelkader Y... ;
" aux motifs de première part qu'il résulte des pièces de la procédure soumises à l'examen de la Cour, ce qui n'est pas contesté par la partie civile que les faits dont a été saisi le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris à la suite de la plainte avec constitution de partie civile de dame Bréda X..., épouse Abdelkader Y..., sont identiques à ceux sur lesquels il a été instruit par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris saisi par le réquisitoire introductif daté du 10 septembre 1958 et qui ont motivé l'ordonnance de non-lieu du 21 avril 1963 confirmée par l'arrêt de la chambre d'accusation du 22 janvier 1964 ; " aux motifs de seconde part que l'ordonnance de non-lieu du 21 avril 1963 et l'arrêt confirmatif du 22 janvier 1964 sont motivés en droit, étant fondés sur l'amnistie des faits poursuivis par les dispositions de l'ordonnance n° 62-248 du 14 avril 1962 rendant applicable sur l'ensemble du territoire de la République le décret n° 62-328 du 22 mars 1962 portant amnistie des faits commis dans le cadre des opérations du maintien de l'ordre dirigé contre l'insurrection algérienne ; que ces textes, ainsi que l'article 3 de la loi du 17 juin 1966 portant amnistie des infractions commises en relation avec les " évènements d'Algérie " et l'article premier de la loi du 31 juillet 1968 portant amnistie générale de toutes infractions commises en relation avec les évènements d'Algérie, s'appliquent notamment aux infractions dénoncées comme crime contre l'humanité qui sont des crimes de droit commun commis dans certaines circonstances pour certains motifs précisés dans le texte qui les définit ; que l'arrêt de la chambre d'accusation du 22 janvier 1964 qui est définitif et motivé en droit a acquis l'autorité de la chose jugée et que cet arrêt constitue un obstacle à la reprise de nouvelles poursuites sous une nouvelle qualification, la juridiction d'instruction ayant dû examiner les faits sous tous leurs rapports avec l'application de la loi pénale ; " au motif de troisième part que cet arrêt précise que si les blessures portées à Y..., la nature des soins, les circonstances de sa sortie de l'hopital restent imprécises, un supplément d'information plus de cinq ans après les faits et alors que l'instruction ouverte au moment où ils se sont produits n'a pas permis d'aboutir à aucune inculpation, resterait inopérant en l'absence de tous faits nouveaux invoqués par la partie civile ; " au motif enfin qu'aux termes de l'article 190 du Code de procédure pénale, une information terminée par une ordonnance de non-lieu ne peut être reprise que sur réquisitions du ministère public ;
" alors de première part que la plainte avec constitution de partie civile de dame Y... avait nécessairement pour objet de soumettre à la juridiction d'instruction des faits qui, en raison de leur nature, comportaient un élément intentionnel spécifique entraînant la qualification de crime contre l'humanité et en faisant par-là même des faits distincts de ceux qui avaient motivé l'arrêt de la chambre d'accusation du 22 janvier 1964 survenu au terme d'une information ouverte pour coups et blessures volontaires et pouvant par conséquent comporter légalement une nouvelle poursuite ; " alors de seconde part qu'en refusant d'informer sur la plainte de la partie civile, l'arrêt attaqué a violé par fausse application le décret n° 62-328 portant amnistie de faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre dirigées contre l'insurrection algérienne et l'ordonnance n° 62-428 rendant cette amnistie applicable sur l'ensemble du territoire de la République ; que l'amnistie constatée par l'arrêt de la chambre d'accusation du 22 janvier 1964- en tant qu'elle était fondée sur ces textes et en raison tout à la fois du contenu de ceux-ci et du contexte politique dans lequel il avait été pris-était nécessairement limitée à deux catégories d'infraction :
celles dont les éléments constitutifs sont définis par le droit pénal interne, à condition qu'elles aient une relation avec les évènements d'Algérie, et les crimes de guerre tels que définis par l'article 6 (b) du statut du tribunal international, c'est-à-dire ls violations des lois et coutumes de la guerre à l'exclusion des crimes contre l'humanité définis par l'article 6 (c) du statut du même tribunal international dénoncés par la plainte avec constitution de partie civile du 26 juillet 1985 ; " alors de troisième part qu'aucune disposition du droit interne et plus particulièrement aucune loi d'amnistie n'est susceptible de porter atteinte au jugement et à la punition des personnes coupables d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées puisque les crimes contre l'humanité, imprescriptibles par nature, et donc insusceptibles d'oubli, ne relèvent pas seulement du droit interne français mais encore d'un ordre répressif international auquel adhère le peuple français ; que toute loi d'amnistie comprenant dans son champ d'application des crimes contre l'humanité aurait, en pratique, les mêmes effets qu'une loi déclarant de tels crimes prescrits, en sorte qu'une telle loi serait inapte à fonder en droit français une ordonnance de refus d'informer ; qu'en conséquence, en décidant que l'amnistie édictée par le décret n° 62-328 du 22 mars 1962, l'ordonnance n° 62-428 du 14 avril 1962, la loi n° 64-1326 du 17 juin 1966 et la loi n° 68-697 du 31 juillet 1968, s'appliquait à toutes les infractions, y compris celles dénoncées comme crime contre l'humanité, l'arrêt attaqué a violé les principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées ;
" alors enfin qu'en raison du caractère spécifique des crimes contre l'humanité, les dispositions de l'article 190 du Code de procédure pénale ne peuvent être opposées à la partie civile invoquant comme en l'espèce l'existence de nouveaux éléments de preuve au soutien de sa plainte " ; Attendu que pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré qu'il n'y avait lieu à informer sur la plainte avec constitution de partie civile portée contre personne non dénommée le 18 juillet 1985 par Bréda X..., épouse Y... en raison des violences qui auraient été exercées sur son mari, Y... Abdelkader, au cours de son interpellation par la police le 8 septembre 1958 et ensuite de la disparition de ce dernier, faits qualifiés par la plaignante crime contre l'humanité, la chambre d'accusation énonce que lesdits faits ont été l'objet d'une information ouverte le 10 septembre 1958 sur la plainte de la même partie civile ; que cette information a été close par une ordonnance de non-lieu du 21 avril 1963, confirmée par arrêt de la chambre d'accusation du 22 janvier 1964, les infractions dont Y... avait pu être victime étant expressément visées par les dispositions de l'ordonnance n° 62-248 du 14 août 1962 rendant applicable sur l'ensemble du territoire de la République le décret n° 62. 328 du 22 mars 1962 portant amnistie des faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre dirigées contre l'insurrection algérienne ; Que les juges constatent que l'arrêt du 22 janvier 1964 précité, qui est définitif, constitue un obstacle à la reprise de nouvelles poursuites sous une nouvelle qualification cette juridiction " ayant dû examiner les faits sous tous leurs rapports avec la loi pénale " et en déduit que, pour des causes affectant l'action publique elle-même les faits dénoncés ne pouvaient comporter une poursuite pénale ; Attendu qu'en cet état, abstraction faite de motifs surabondants, c'est à bon droit que la chambre d'accusation a confirmé l'ordonnance entreprise ; Qu'en effet les crimes contre l'humanité sont des crimes de droit commun commis dans certaines circonstances et pour certains motifs précisés dans le texte qui les définit ; que dès lors la juridiction d'instruction saisie par la même partie civile des faits dénoncés dans la seconde plainte les avait nécessairement à l'époque examinés sous toutes les qualifications possibles ; Qu'il s'ensuit que la demanderesse ne saurait, au motif que les faits allégués constitueraient un crime contre l'humanité, mettre à nouveau en mouvement l'action publique à laquelle il a été mis fin par l'arrêt définitif de non-lieu du 22 janvier 1964 ; Qu'ainsi le moyen doit être écarté ; Rejette le pourvoi ;