LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt-quatre octobre mil neuf cent quatre vingt huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BREGEON, les observations de la société civile professionnelle RICHE, BLONDEL et THOMAS-RAQUIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général RABUT ; Statuant sur le pourvoi formé par :
- Y... Hélène épouse X...,
- X... Louis,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de MONTPELLIER, en date du 31 mai 1988, qui les a renvoyés devant la cour d'assises des PYRENEES-ORIENTALES des chefs d'abus de confiance simple et commis par un officier public ministériel, recel simple et aggravé ; Vu le mémoire produit commun aux deux demandeurs ; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 7, 202, 206, 215, 593 du Code de procédure pénale, 8, 408 du Code pénal, défaut de motif et manque de base légale ; " en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Mme Y...
X... devant la cour d'assises sous l'accusation d'abus de confiance qualifié et de délit d'abus de confiance connexe, pour avoir de 1980 au 19 mai 1983, dissipé ou détourné au préjudice du compte-client de la SCP titulaire de l'office d'huissier de justice dont elle était associée un montant total de 1 397 345, 36 francs qui ne lui avaient été remis qu'à titre de dépôt ou de mandat, avec cette circonstance que du 3 avril 1981 au 19 mai 1983, ces détournements ont été commis en sa qualité d'huissier de justice ; " alors d'une part que Mme Y...
X... n'ayant été inculpée que d'abus de confiance qualifié commis par un officier public ou ministériel et n'ayant été renvoyée devant elle que du chef d'abus de confiance qualifié qui avait été commis du 3 avril 1981 au 19 mai 1983, la Cour ne pouvait renvoyer Mme Y...
X... devant la cour d'assises du chef de délit connexe d'abus de confiance pour des faits qui auraient été commis de 1980 au 3 avril 1981, ce qui constituait un nouveau chef de poursuites, sans ordonner une nouvelle information ;
" alors d'autre part que Mme Y...
X... n'ayant été nommée huissier de justice associé que le 3 avril 1981, date de la création de la SCP constituée avec son mari, aucune somme n'a pu lui être remise antérieurement au 3 avril 1981 à titre de dépôt ou de mandat et aucune somme n'avait pu non plus être dissipée ou détournée antérieurement à cette date au préjudice du compte client de la SCP ; qu'en retenant néanmoins qu'il existait à l'encontre de Mme Y...
X... charges suffisantes de ce que de 1980 au 3 avril 1981 elle s'était rendue coupable du délit d'abus de confiance et en la renvoyant pour de tels faits devant la cour d'assises en raison de leur connexité avec le crime d'abus de confiance qui lui était également reproché pour la période allant du 3 avril 1981 au 19 mai 1983, la Cour a violé les textes précités ; " alors enfin que le premier acte interruptif de prescription ayant été l'enquête préliminaire en date du 10 juin 1983, la chambre d'accusation ne pouvait renvoyer Mme X... pour des faits commis de 1980 à 1983, faits dont elle constatait par ailleurs que de 1980 au 3 avril 1981 ils avaient une nature délictuelle, sans rechercher ni préciser si pour les faits délictueux qui étaient reprochés à Mme Y...-X... antérieurement au 10 juin 1980, l'action publique n'était pas prescrite " ; Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 7, 202, 206, 215, 593 du Code de procédure pénale ; 8, 408, et 461 du Code pénal, défaut de motifs et manque de base légale ; " en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé X... devant la cour d'assises, sous l'accusation de recel d'abus de confiance qualifié et de délit connexe de recel d'abus de confiance, pour avoir de 1980 au 19 mai 1983, sciemment recelé en partie des détournements opérés, par son épouse Hélène Y... pour un montant de 1 397, 345, 36 francs, sur le compte client de la SCP titulaire de l'office d'huissier de justice dont il était associé avec son épouse, alors qu'il avait connaissance de la circonstance que ces détournements avaient été commis par cette dernière du 3 avril 1981 au 19 mai 1983, en sa qualité d'huissier de justice ; " alors d'une part que X... n'ayant été inculpé que de recel d'abus de confiance qualifié, commis par un officier public et ministériel et n'ayant été renvoyé devant elle que du chef de recel d'abus de confiance qualifié, la Cour ne pouvait renvoyer X... devant la cour d'assises du chef de délit connexe de recel d'abus de confiance, ce qui constituait un nouveau chef de poursuites, sans ordonner une nouvelle information ;
" alors d'autre part que la SCP d'huissier de justice n'ayant été constituée entre X... et son épouse que le 3 avril 1981, antérieurement à cette date, aucune somme n'avait pu être remise à titre de dépôt ou de mandat à son épouse qui n'avait pas la qualité d'huissier de justice, et qui n'avait donc pas pu commettre d'abus de confiance, en outre aucune somme n'avait pu non plus être dissipée ou détournée antérieurement au 3 avril 1981, au préjudice du compte client de la SCP ; " en retenant néanmoins qu'il existait à l'encontre de X... des charges suffisances de ce que de 1980 au 3 avril 1981, il s'était rendu coupable du délit de recel d'abus de confiance, la cour d'appel a violé les textes précités ; " alors enfin que le premier acte interruptif de prescription ayant été l'enquête préliminaire en date du 10 juin 1983, la chambre d'accusation ne pouvait renvoyer X... pour des faits commis de 1980 à 1983, faits dont elle constatait par ailleurs que de 1980 au 3 avril 1981, ils avaient une nature délictuelle, sans rechercher ni préciser si pour les faits délictueux qui étaient ainsi reprochés à X..., antérieurement au 10 juin 1980, l'action publique n'était pas prescrite " ; Les moyens étant réunis ; Vu lesdits articles ; Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé, que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; Attendu qu'il ressort de la procédure qu'Hélène Y... a été inculpée le 7 octobre 1983 d'abus de confiance commis par un officier public ou ministériel, que Louis X... a été inculpé le 11 mai 1987 de recel d'abus de confiance commis par un officier public ou ministériel, que le 29 février 1988 le juge d'instruction a ordonné la transmission du dossier au procureur général après avoir énoncé qu'il en résultait charges suffisantes contre Hélène Y... d'avoir du 3 avril 1981 au 19 mai 1983 détourné ou dissipé différentes sommes et contre Louis X... d'avoir de 1980 au 19 mai 1983 sciemment recelé en partie celles-ci ; Attendu qu'après avoir exposé qu'huissier de justice depuis plus de 20 ans Louis X... était devenu huissier associé avec Hélène Y... au sein d'une société civile professionnelle en 1981, la chambre d'accusation en renvoyant les inculpés devant la cour d'assises a apporté une modification à la qualification en retenant d'une part contre Hélène Y... des détournements commis depuis 1980 jusqu'au 19 mai 1983 au préjudice du " compte client " de la société civile professionnelle dont elle était associée avec cette circonstance qu'à partir du 3 avril 1981 ces détournements ont été commis en sa qualité d'huissier de justice, d'autre part contre Louis X... un recel simple pour les détournements commis avant le 3 avril 1981 et un recel aggravé pour les faits postérieurs ;
Mais attendu qu'en renvoyant ainsi les demandeurs devant la juridiction de jugement pour des délits connexes aux crimes sans rechercher, dans les limites de la saisine initiale, en vertu de quel contrat Hélène Y..., avant de posséder la qualité d'huissier associé, aurait recueilli les fonds dont le détournement lui est imputé et dont le recel est retenu contre Louis X..., seul huissier à l'époque des faits, la chambre d'accusation a méconnu les principes ci-dessus rappelés ; D'où il suit que la cassation est encourue ; Par ces motifs,
CASSE et ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Montpellier du 31 mai 1988 et pour qu'il soit statué à nouveau conformément à la loi, RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Et pour le cas où la chambre d'accusation déclarerait qu'il existe des charges suffisantes et qu'il y a lieu à accusation contre les demandeurs à l'égard des chefs de la poursuite qui font l'objet de la présente annulation ; Vu l'article 611 du Code de procédure pénale ; Réglant de juges par avance ;