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31/05/1988 | FRANCE | N°85-17155

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 31 mai 1988, 85-17155


Attendu, selon les énonciations des juges du fond, qu'en 1977 a été constituée la société civile professionnelle d'avocats B..., A... et associés (la SCP) entre MM. B..., A... et Armand, déjà associés antérieurement, et d'autres confrères, MM. X..., Z..., C... et D...
Y... ; que les trois premiers étaient respectivement titulaires de 55 %, de 35 % et de 10 % des parts sociales, les autres associés n'étant titulaires, chacun, que d'une part sociale ; qu'en outre, chaque associé, à l'exception de M. Z..., était titulaire de parts d'intérêt représentant son apport en indus

trie ; que la mésentente s'étant instaurée en 1982 entre M. B... et ses...

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, qu'en 1977 a été constituée la société civile professionnelle d'avocats B..., A... et associés (la SCP) entre MM. B..., A... et Armand, déjà associés antérieurement, et d'autres confrères, MM. X..., Z..., C... et D...
Y... ; que les trois premiers étaient respectivement titulaires de 55 %, de 35 % et de 10 % des parts sociales, les autres associés n'étant titulaires, chacun, que d'une part sociale ; qu'en outre, chaque associé, à l'exception de M. Z..., était titulaire de parts d'intérêt représentant son apport en industrie ; que la mésentente s'étant instaurée en 1982 entre M. B... et ses confrères, M. X... a saisi le tribunal de grande instance d'une demande en dissolution de la société civile professionnelle à laquelle se sont joints les autres associés, à l'exception de M. B... ; que les demandeurs invoquaient, notamment, le résultat inadmissible auquel aboutirait l'application de l'article 32 (b) des statuts relatifs aux conditions de fixation du prix de cession des parts sociales, en cas de retrait d'un associé, et qui créerait une "situation de profit particulièrement injuste et inadmissible" au profit de M. B... ; que cette disposition est ainsi rédigée ; "... (b) Toutefois, le prix de cession sera réduit du montant de la valeur de toute clientèle qui, dans le délai de trois ans à compter de la date de la cession, prendrait le parti de quitter la société pour suivre - directement ou indirectement - l'associé cédant, soit que celui-ci, seul ou avec d'autres, fonde ou acquière un autre cabinet qu'il s'agisse d'un cabinet d'avocats ou de membres d'autres professions libérales quelconques ou un office ministériel, soit qu'il se joigne à un tel cabinet ou office ministériel déjà existant ou lui amène cette clientèle. A l'effet de cette disposition : L'associé cédant et ses coassociés s'efforceront de déterminer ensemble la liste des clients qui, selon une probabilité raisonnable, suivront l'associé cédant comme dit ci-dessus. Faute d'un commun accord, cette liste sera établie par les coassociés de l'associé cédant statuant à la majorité des trois quarts des voix. La valeur de ladite clientèle sera fixée forfaitairement au montant brut des honoraires versés par elle au cours des cinq derniers exercices et de la partie de l'exercice en cours écoulée jusqu'à la date de la cession, lesdits honoraires augmentés de la valeur estimée des clients pour l'avenir. Faute d'un commun accord entre l'associé cédant et ses coassociés, cette dernière valeur sera fixée par lesdits associés à la majorité des trois quarts des voix. Lors de la cession des parts, c'est le prix ainsi réduit qui sera payé à l'associé cédant. Il sera ajustable par la suite en plus ou en moins pour tenir compte de la clientèle qui, dans les trois années suivant la cession, aurait ou n'aurait pas suivi l'associé cédant contrairement aux prévisions" ; que M. B... et la SCP ont présenté différentes demandes en paiement à l'égard des autres associés, concernant, en particulier des "occultations d'honoraires" qui auraient été pratiquées par eux ;

Sur les premier et deuxième moyens, pris chacun en ses trois branches, réunis :

Attendu que M. B... et la SCP reprochent à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré nulles les dispositions de l'article 3é (b) des statuts, alors, selon le moyen, d'une part, que si la clientèle d'une personne exerçant une profession libérale constitue un bien à caractère personnel non susceptible de cession, il n'en demeure pas moins que le droit de présenter un successeur à sa clientèle constitue pour l'avocat un droit incorporel, évaluable en argent et susceptible d'un apport à une société civile professionnelle, que celle-ci, une fois constituée, devient titulaire du droit de présentation d'un successeur à la clientèle, tant de celle qui a fait l'objet d'un apport que de celle développée par la société après sa création ; qu'aucun principe d'ordre public n'interdit d'insérer dans les statuts d'une telle société une clause prévoyant qu'en cas de retrait d'un associé qui continue à exercer la profession d'avocat et entraîne avec lui une partie de la clientèle, une compensation aura lieu entre les droits sociaux de l'avocat qui se retire et la valeur du droit de présentation d'un successeur à la clientèle de la société qui suit cet associé ; qu'aucun principe de droit n'interdit non plus que la somme due par l'associé démissionnaire à la société soit supérieure à la valeur des droits sociaux que celle-ci est tenue de lui racheter ou de lui faire racheter, de sorte qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel la violé les articles 9 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1979, 14, 43 et 44 du décret n° 72-669 du 13 juillet 1972 ; alors, d'autre part, que l'article 32 (b) ne fait pas obligation à l'associé qui se retir d'"acheter" une partie quelconque de la clientèle à la société, de sorte que la cour d'appel a dénaturé les statuts ; et alors, enfin, qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que les sommes dues par l'associé qui se retire trouvent leur cause dans la part de clientèle qui le suit ; que la cause du paiement ne résulte donc pas de la volonté de la société de céder une clientèle de sorte qu'en qualifiant de vente l'opération prévue par l'article 32 (b), l'arrêt a violé l'article 1582 du Code civil ;

Attendu qu'il est encore soutenu, en une deuxième moyen, d'une part, que l'opération prévue par l'article 32 (b) n'est pas une vente, à défaut de livraison d'un bien quelconque, de sorte qu'en annulant ces dispositions en vertu de l'article 1591 du Code civil, la cour d'appel la violé ce texte ; alors, d'autre part, que la clause fixant l'abattement à pratiquer sur la valeur des parts sociales en fonction des honoraires bruts versés pendant les cinq dernières années par une clientèle prenant le parti de quitter la société pour suivre l'associé cédant et en fixant la liste de ces clients "en fonction d'une probabilité raisonnable", le prix de vente doit être considéré comme déterminé au sens de l'article 1591 du Code civil ; et alors, enfin, qu'il appartenait à la cour d'appel de rechercher si les dispositions permettant à la société de fixer la liste de ces clients ou de déterminer la valeur estimée des clientèles pour l'avenir, en cas de désaccord avec l'associé qui se retire, ne pouvaient être annulés séparément du reste de l'article 32 (b), faute de quoi elle a violé les articles 1217 et 1108 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que les paragraphes a) et b) de l'article 32 des statuts tendent à la détermination du prix des parts sociales cédées, évalué par référence à la "valeur du cabinet", la cour d'appel, appréciant souverainement le sens et la portée du paragraphe b), énonce que l'opération prévue par celui-ci ne constitue pas à soustraire purement et simplement de la valeur due au cédant par la société celle qu'il retire de l'actif social, mais a pour objet la détermination du "prix de la clientèle" qu'il va devoir "acheter" à la société par référence à "un certain nombre de personnes individualisées", susceptibles de "prendre le parti de quitter la société pour suivre l'avocat qui s'en retire" ; que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que les dispositions litigieuses, en conférant une valeur patrimoniale à une clientèle déterminée, insusceptible de faire l'objet d'opérations juridiques, sont illicites et que leur nullité doit être prononcée ; que, par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux critiqués par le deuxième moyen qui peuvent être tenus pour pour surabondants, les juges du second degré ont légalement justifié leur décision ; d'où il suit qu'en aucune de leurs branches, les premier et deuxième moyens ne sont fondés ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu qu'il est encore fait grief à la cour d'appel d'avoir renvoyé les parties devant le bâtonnier de l'Ordre des avocats pour l'évaluation des parts sociales, alors, selon le moyen, d'une part, qu'il résulte de l'article 27, alinéa 3, du décret n° 72-669 du 13 juillet 1972 que le bâtonnier n'est compétent que dans le cas où une société civile professionnelle ayant refusé de consentir à la cession des parts d'un associé à un tiers et se trouvant dans l'obligation de racheter ou de faire racheter les parts, les parties n'ont pu se mettre d'accord sur un prix ; et alors, d'autre part, qu'en toute hypothèse, la cour d'appel, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, ne pouvait renvoyer l'affaire à la décision du bâtonnier dès lors qu'elle était à la fois juge d'appel du tribunal de grande instance et juge d'appel en ce qui concerne les pouvoirs attribués au bâtonnier par l'article précité, de sorte qu'ont été violés les articles 561 et 562 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, que c'est à bon droit que la cour d'appel énonce que le prix de cession des parts sociales est fixé par le bâtonnier, après avis du conseil de l'Ordre, et que l'article 27, alinéa 3, du décret du 13 jullet 1972 constitue une disposition d'ordre général, qui en ce qui concerne les sociétés civiles professionnelles d'avocats, se substitue à l'article 1843-4 du Code civil ;

Attendu, ensuite, qu'en recourant à cette procédure spéciale, qui s'exerce sous réserve d'un recours devant la cour d'appel, les juges du second degré n'ont pas méconnu le principe de l'effet dévolutif de l'appel, dès lors que le bâtonnier n'avait pas été saisi jusqu'alors ; d'où il suit qu'en aucune de ses deux branches, le moyen n'est fondé ;

Sur le quatrième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu qu'il est enfin reproché à la cour d'appel d'avoir sursis à statuer sur les créances invoquées par M. B... et la SCP concernant la perception d'honoraires par les anciens associés ou collaborateurs et d'avoir décidé que l'instance serait éventuellement reprise de ce chef après la décision du bâtonnier sur les contestations qui lui sont actuellement soumises, alors, selon le moyen, d'une part, que le bâtonnier n'ayant aucune compétence pour statuer sur une contestation d'honoraires entre les avocats associés d'une SCP ou entre ces avocats et la SCP et n'ayant qu'une mission de conciliation ou la possibilité de saisir le Conseil de l'Ordre d'une action disciplinaire, la cour d'appel n'a pu surseoir à statuer sans violer les articles 21 et 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, 4 du Code civil et 377 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, que le fait que, dans un litige opposant plusieurs avocats sur un problème d'honoraires, l'un d'eux ait saisi le bâtonnier, ne peut empêcher l'affaire d'être en état si, par ailleurs, les parties ont, sous le contrôle du juge de la mise en état, signifié leurs conclusions et se sont communiqué leurs pièces, de sorte qu'en décidant le contraire, les juges du second degré ont violé les articles 763 et suivants du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 21, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, le bâtonnier prévient ou concilie les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau ; que la cour d'appel, ayant constaté que la partie du litige concernant les "occultations d'honoraires" alléguées par une des parties avait été soumise au bâtonnier, n'a fait qu'user du pouvoir discrétionnaire dont elle dispose pour décider qu'il convenait de surseoir à statuer sur cette demande, la procédure ordinale engagée pouvant aboutir à l'extinction de l'instance de ce chef, sans qu'il y ait lieu de s'arrêter aux termes relatifs à l'"état de la procédure" utilisés par les juges du second degré pour justifier leur décision ; d'où il suit qu'en aucune de ses deux branches, le moyen n'est fondé ; PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 85-17155
Date de la décision : 31/05/1988
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° AVOCAT - Société civile professionnelle - Statuts - Retrait d'un associé - Parts sociales - Cession - Prix - Déduction - Valeur de la clientèle susceptible de suivre le cédant - Clause illicite.

1° AVOCAT - Clientèle - Caractère personnel et incessible - 1° SOCIETE CIVILE PROFESSIONNELLE - Avocats - Statuts - Retrait d'un associé - Parts sociales - Cession - Prix - Déduction - Valeur de la clientèle susceptible de suivre le cédant - Clause illicite.

1° Les dispositions des statuts d'une société civile professionnelle d'avocats qui stipulent qu'en cas de retrait d'un associé le prix de cession de ses parts sociales sera réduit du montant de la valeur de la clientèle qui, dans un délai de 3 ans, prendrait le parti de quitter la société pour suivre l'associé cédant, directement ou indirectement, et qui précisent à cet effet, et les modalités selon lesquelles sera établie la liste des clients qui, selon une probabilité raisonnable, suivront l'associé cédant, et le mode de rémunération de la valeur de cette clientèle fixée forfaitairement au montant brut des honoraires versés par elle au cours des cinq derniers exercices et augmentés de la valeur estimée des clients pour l'avenir, sont illicites comme conférant une valeur patrimoniale à une clientèle déterminée, insusceptible de faire l'objet d'opérations juridiques, et doivent, dès lors être annulées.

2° AVOCAT - Société civile professionnelle - Parts sociales - Cession - Prix - Fixation - Fixation par le bâtonnier - Portée.

2° SOCIETE CIVILE PROFESSIONNELLE - Avocats - Parts sociales - Cession - Prix - Fixation - Fixation par le bâtonnier.

2° L'article 27, alinéa 3, du décret n° 72-669 du 13 juillet 1972 qui confère au bâtonnier, après avis du conseil de l'Ordre, la fixation du prix de cession des parts sociales des sociétés civiles professionnelles d'avocats, constitue une disposition d'ordre général qui se substitue, en ce qui concerne ces sociétés, à l'article 1843 4 du Code civil prévoyant pour la fixation du prix de cession des droits sociaux d'un associé, la désignation d'un expert.

3° AVOCAT - Bâtonnier - Pouvoirs - Différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau - Conciliation.

3° AVOCAT - Société civile professionnelle - Litige entre associés - Action judiciaire - Saisie simultanée du bâtonnier - Sursis à statuer - Pouvoir discrétionnaire 3° POUVOIRS DES JUGES - Pouvoir discrétionnaire - Sursis à statuer 3° PROCEDURE CIVILE - Sursis à statuer - Pouvoirs des juges - Pouvoir discrétionnaire.

3° Aux termes de l'article 21, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, le bâtonnier prévient ou concilie les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau. Par suite, lorsque dans un litige opposant les membres d'une société civile professionnelle, une des parties a saisi le bâtonnier d'une contestation concernant des "occultations d'honoraires", la cour d'appel ne fait qu'user du pouvoir discrétionnaire dont elle dispose pour décider qu'il convenait de surseoir à statuer, la procédure ordinale engagée pouvant aboutir à l'extinction de l'instance de ce chef.


Références :

Code civil 1843-4
Décret 72-669 du 13 juillet 1972 art. 27 al. 3
Loi du 31 décembre 1971 art. 21 al. 2

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, ., 18 juin 1985

A RAPPROCHER : (3°). Chambre civile 1, 1987-06-16 Bulletin 1987, I, n° 196 (2), p. 145 (cassation).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 31 mai. 1988, pourvoi n°85-17155, Bull. civ. 1988 I N° 160 p. 110
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1988 I N° 160 p. 110

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Ponsard
Avocat général : Avocat général :M. Dontenwille
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Viennois
Avocat(s) : Avocat :M. Ryziger, la SCP Waquet et Farge, la SCP Nicolas, Masse-Dessen et Georges

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1988:85.17155
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