La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/03/1988 | FRANCE | N°86-11144

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 08 mars 1988, 86-11144


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 10 décembre 1985), que M. Siro X..., fondateur avec ses trois frères de la société à responsabilité limitée X. Frères, constituée le 28 février 1936 pour une durée de 50 ans à compter du 1er janvier 1936, a fait donation à ses enfants, Patrick et Corinne, épouse Y..., le 3 mars 1978, de divers biens immobiliers et, le 22 octobre 1980, de la nue-propriété de 162 parts de la société X..., s'en réservant l'usufruit, étant en outre précisé que par un acte sous seing privé du 20 mars 1980, il avait cédé à chacun de ses deux enfa

nts une part de ladite société moyennant le prix de 1 600 francs ; qu'à la f...

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 10 décembre 1985), que M. Siro X..., fondateur avec ses trois frères de la société à responsabilité limitée X. Frères, constituée le 28 février 1936 pour une durée de 50 ans à compter du 1er janvier 1936, a fait donation à ses enfants, Patrick et Corinne, épouse Y..., le 3 mars 1978, de divers biens immobiliers et, le 22 octobre 1980, de la nue-propriété de 162 parts de la société X..., s'en réservant l'usufruit, étant en outre précisé que par un acte sous seing privé du 20 mars 1980, il avait cédé à chacun de ses deux enfants une part de ladite société moyennant le prix de 1 600 francs ; qu'à la fin de 1984, époque à laquelle s'est posée la question d'une prorogation de la durée de la société, transformée entre temps en société anonyme, M. Siro X... a, par acte des 18 et 19 décembre 1984, fait signifier à ses enfants, titulaires du droit de vote en leur qualité de nu-propriétaires des parts, une sommation leur faisant défense de refuser la prorogation au motif qu'une telle décision lui ferait perdre la jouissance à laquelle il avait droit jusqu'à son décès, et constituerait une violation de ses droits d'usufruitier ; qu'il les avisait, par le même acte, de son intention de révoquer la donation au cas où ils refuseraient la prorogation ; que, lors de l'assemblée générale extraordinaire de la société X..., tenue le 21 décembre 1984, M. Patrick X... et Mme Corinne Y... se sont opposés à la proposition de prorogation, laquelle, n'ayant recueilli que 508 voix contre 500, n'a pu être adoptée faute d'avoir obtenu la majorité des 2/3 nécessaire ; que M. Siro X... a, alors, assigné ses enfants aux fins de révocation, pour cause d'ingratitude, des donations des 3 mars 1978 et 22 octobre 1980, demandant en outre que la cession du 20 mars 1980 soit reconnue comme étant une donation déguisée et que cette donation soit également révoquée ; que le comité d'entreprise et 213 salariés, dont neuf se sont ensuite désistés, sont intervenus à l'instance ; que M. Patrick X... et Mme Corinne Y... ont demandé, de leur côté, qu'il soit sursis à statuer jusqu'à la décision sur les plaintes avec constitution de partie civile déposées par eux, notamment celle déposée le 28 juin 1985 contre leur père du chef d'infraction à l'article 440 de la loi du 24 juillet 1966 ; qu'ils ont aussi contesté la recevabilité des interventions du comité d'entreprise et des salariés et ont enfin opposé que leur comportement n'avait jamais présenté le caractère d'une injure grave ; que leurs prétentions ont été écartées ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevables les interventions à titre accessoire du comité d'entreprise de la société X... et de 204 salariés, alors que, d'une part, l'action en révocation de donation pour cause d'ingratitude présente un caractère strictement personnel au donateur et que, selon le moyen, la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de l'intervenant rend celui-ci irrecevable à agir fût-ce à titre accessoire ; et alors que, d'autre part, l'intérêt à agir même par voie d'intervention accessoire doit être né et actuel, que l'arrêt constate que l'intérêt du comité d'entreprise et des salariés à agir par cette voie résulterait du vote favorable des actionnaires à la prorogation de la société, vote qui ne serait que futur et incertain, même si l'action principale devait aboutir ;

Mais attendu que, s'il est exact que l'action en révocation de donation pour cause d'ingratitude est strictement personnelle au donateur et si la cour d'appel en a déduit à bon droit que le comité d'entreprise et les salariés étaient irrecevables à intervenir à titre principal, pour demander réparation du préjudice qu'ils invoquaient, dans une instance en révocation pour cause d'ingratitude, cela n'excluait pas, de leur part, une intervention accessoire dans cette instance, dès lors qu'ils avaient intérêt à soutenir les prétentions de M. Siro X... ; que l'arrêt attaqué a constaté que le succès des prétentions du demandeur, qui permettrait éventuellement aux associés partisans de la prorogation de disposer de la majorité des 2/3 exigée en cette matière, donnerait au comité d'entreprise et aux salariés une chance de voir la société poursuivre sa pleine activité au-delà du 31 décembre 1985 ; qu'il a ainsi justifié l'existence d'un intérêt leur permettant d'intervenir, à titre accessoire, pour appuyer lesdites prétentions ; d'où il suit qu'en aucune de ses deux branches, le deuxième moyen n'est fondé ;

Le rejette ;

Mais, sur le premier moyen et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, réunis :

Vu l'article 4, alinéa 2, du Code de procédure pénale, et l'article 440, 3°, de la loi du 24 juillet 1966 ;

Attendu que, pour rejeter la demande de sursis à statuer formée par M. Patrick X... et Mme Corinne Y..., qui avaient déposé une plainte avec constitution de partie civile, le 28 juin 1985, contre M. Siro X... du chef de violation de l'article 440, 3°, de la loi du 24 juillet 1966, en ce que celui-ci aurait, par la sommation des 18 et 19 décembre 1984, subordonné le maintien de la donation à eux faite, et donc la garantie d'un avantage, à un vote dans un sens déterminé à l'assemblée générale du 21 décembre, la cour d'appel a retenu que l'action en révocation se fondait sur un fait différent, à savoir l'ingratitude reprochée à ses enfants par M. Siro X... et le préjudice qu'ils avaient porté à ses droits d'usufruitier ;

Attendu cependant qu'il suffit, pour que le juge civil soit tenu de surseoir à statuer, que la décision à intervenir sur l'action publique soit de nature à influer sur celle qui sera rendue par la juridiction civile ; que l'arrêt attaqué constate que l'un des faits d'ingratitude invoqués à l'appui de l'action en révocation est le vote émis par M. Patrick X... et Mme Corinne Y... à l'assemblée du 21 décembre 1984 contre la prorogation de la société et retient ce vote comme l'un des faits d'ingratitude imputés aux donataires ;

D'où il suit qu'en statuant par les motifs sus-énoncés, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le moyen, relevé d'office dans les conditions prévues par l'article 1015 du nouveau Code de procédure civile :

Vu l'article 599, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, le propriétaire ne peut, par son fait, ni de quelque manière que ce soit, nuire aux droits de l'usufruitier ;

Attendu que la cour d'appel a retenu qu'en refusant de voter la prorogation de la société, M. Patrick X... et Mme Corinne Y... " ont précipité le terme de l'usufruit du vivant de leur père, ce qui... portait incontestablement atteinte aux droits de l'usufruitier " ;

Attendu, cependant, que l'usufruit de M. Siro X... portait sur des parts, puis sur des actions, d'une société qui devait prendre fin le 31 décembre 1985, d'où il suivait qu'à partir de cette date, l'usufruit ne pourrait s'exercer que selon des modes différents ; qu'en refusant de voter la prorogation de la société, les enfants de M. Siro X... n'ont porté aucune atteinte aux droits de ce dernier ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé par fausse application le texte susvisé ;

Et attendu que les violations ainsi relevées des articles 4 du Code de procédure pénale, 440 de la loi du 24 juillet 1966 et 599 du Code civil, ont faussé l'appréciation faite par la cour d'appel de l'ingratitude au regard de l'ensemble des faits qui lui étaient soumis ; qu'elles doivent donc entraîner la cassation de toute la partie de l'arrêt attaqué, qui statue sur la révocation pour cause d'ingratitude ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du troisième moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer et en ce qu'il a prononcé la révocation pour cause d'ingratitude des donations consenties à M. Patrick X... et à Mme Corinne X..., épouse Y..., l'arrêt rendu le 10 décembre 1985, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 86-11144
Date de la décision : 08/03/1988
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° DONATION - Révocation - Ingratitude - Action en révocation - Action personnelle au donateur.

1° DONATION - Révocation - Ingratitude - Action en révocation - Intervention d'un tiers - Intervention accessoire 1° PROCEDURE CIVILE - Intervention - Intervention volontaire - Intervention principale - Donation - Ingratitude - Action en révocation - Irrecevabilité.

1° L'action en révocation de donation pour cause d'ingratitude est strictement personnelle au donateur . Par suite, seule est recevable l'intervention d'un tiers à l'instance à titre accessoire, à l'exclusion d'une intervention principale .

2° DONATION - Révocation - Ingratitude - Action en révocation - Donation de la nue-propriété de parts sociales - Refus des donataires de voter dans le sens voulu par le donateur - Plainte pénale contre le donateur du chef de violation de l'article ° de la loi du 24 juillet 1966 - Sursis à statuer.

2° PROCEDURE CIVILE - Le criminel tient le civil en l'état - Affaire pénale de nature à exercer une influence sur la solution du litige 2° SOCIETE (règles générales) - Parts sociales - Donation - Donation grevée d'un usufruit - Société constituée pour une durée déterminée - Prorogation - Sommation du donateur aux donataires de la voter - Violation de l'article ° de la loi du 24 juillet 1966.

2° Il suffit, pour que le juge civil soit tenu de surseoir à statuer, que la décision à intervenir sur l'action publique soit de nature à influer sur celle qui sera rendue par la juridiction civile . Par suite, la demande de sursis est justifiée lorsqu'à l'appui d'une demande en révocation, pour ingratitude, d'une donation de la nue-propriété de parts sociales, le donateur invoque comme fait d'ingratitude le refus des donataires de voter, lors d'une assemblée générale de la société, la prorogation de celle-ci, et que les donataires opposent la plainte qu'ils ont déposée contre le donateur, du chef de violation de l'article 440-3° de la loi du 24 juillet 1966, pour avoir, en les sommant de voter cette prorogation, subordonné le maintien de la donation et donc la garantie d'un avantage particulier à un vote dans un sens déterminé

3° USUFRUIT - Droits de l'usufruitier - Usufruit portant sur des parts sociales - Société constituée pour une durée déterminée - Refus des nus-propriétaires de voter la prorogation de la société - Effet.

3° SOCIETE (règles générales) - Parts sociales - Donation - Donation grevée d'un usufruit - Société constituée pour une durée déterminée - Prorogation - Sommation du donateur de la voter - Refus des donataires - Atteinte aux droits de l'usufruitier (non).

3° Encourt la cassation pour fausse application de l'article 599, alinéa 1er, du Code civil, selon lequel le propriétaire ne peut, par son fait, ni de quelque manière que ce soit, nuire aux droits de l'usufruitier, l'arrêt qui retient que les donataires de la nue-propriété de parts d'une société constituée pour une durée limitée ont, en refusant de voter la prorogation de la société, porté atteinte aux droits de l'usufruitier en précipitant le terme de l'usufruit, alors que, l'usufruit portant sur des parts d'une société qui devait prendre fin à une date déterminée, il s'ensuivait qu'à partir de cette date, l'usufruit ne pourrait s'exercer que selon des modes différents


Références :

Code civil 599 al. 1
Loi du 24 juillet 1966 art. 440-3

Décision attaquée : Cour d'appel de Chambéry, 10 décembre 1985


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 08 mar. 1988, pourvoi n°86-11144, Bull. civ. 1988 I N° 67 p. 44
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1988 I N° 67 p. 44

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Ponsard
Avocat général : Avocat général :Mme Flipo
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Ponsard
Avocat(s) : Avocats :la SCP Boré et Xavier, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard .

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1988:86.11144
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award