LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le quatre janvier mil neuf cent quatre vingt huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller GONDRE, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et LIARD et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ORTOLLAND ; Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Louis -
contre un arrêt de la ccour d'appel de RENNES, chambre correctionnelle, en date du 27 mars 1986, qui, pour fraude fiscale, omission de passation d'écritures et abus de biens sociaux, l'a condamné à la peine de 5 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d'amende, a dit que cette condamnation ne serait pas inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire, et a prononcé sur les demandes de l'administration des Impôts partie civile ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 75, 105, 114, 118, 802, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure d'enquête préliminaire suivie à l'encontre de Louis X... ; "aux motifs que les plaintes de l'Administration fiscale adressées au procureur de la République pour lui demander de requérir l'ouverture d'une information ne pouvant être considérées comme des plaintes avec constitution de partie civile au sens de l'article 85 du Code de procédure pénale et mettant à ce titre en mouvement l'action publique, il s'ensuit que saisi d'une simple plainte, le procureur de la République avait la possibilité soit d'accéder à la demande de l'Administration, soit, comme il l'a fait, de saisir le service de police judiciaire de son choix aux fins d'enquête préliminaire ; que dès lors, la violation des dispositions des articles du Code de procédure pénale relatives à l'information et en particulier celles des articles 105, 114 et 118 ne peuvent valablement être invoquées ;
"alors que l'enquête préliminaire, procédure simple destinée uniquement à permettre au procureur de la République ou à l'officier de police judiciaire saisi afin d'en apprécier le caractère fondé ou non et n'étant de ce fait même assortie d'aucune garantie légale au profit de la personne mise en cause dans cette plainte, ne saurait sans détournement de procédure et violation des droits de la défense être utilisée aux lieu et place d'une information dès lors qu'il existe à l'encontre de la personne visée des présomptions suffisamment sérieuses de culpabilité, ce qui est précisément le cas des plaintes de l'Administration fiscale fondées sur les articles 1741 et 1743 du Code général des impôts qui, ne pouvant être déposées aux termes de l'article L. 228 du Livre des procédures fiscales qu'après avis conforme de la commission des infractions fiscales, supposent nécessairement l'existence de charges sérieuses à l'encontre du redevable ainsi mis en cause par l'Administration ; que, par conséquent, le recours en l'espèce par le Parquet à une enquête préliminaire sur les faits exposés par l'Administration fiscale dans ses plaintes contre Louis X... et plus précisément son audition dans le cadre de cette enquête constituait nécessairement une grave atteinte aux droits de la défense de celui-ci qui, privé des garanties prévues par les articles 105, 114 et 118 du Code de procédure pénale, a été amené à s'expliquer sur les griefs de l'Administration sans l'assistance d'un conseil et sans avoir accès à son dossier" ; Attendu que pour rejeter l'exception de nullité reprise au moyen, l'arrêt attaqué et le jugement dont il adopte les motifs observent que, saisi, après avis de la Commission des infractions fiscales, d'une plainte de l'administration des Impôts tendant à l'ouverture d'une information contre Louis X..., le procureur de la République avait la possibilité soit d'accéder à cette demande, soit, comme il l'a fait, de prescrire une enquête préliminaire ; Que les juges en déduisent qu'aucune violation des dispositions relatives à l'information, et en particulier des articles 105, 114 et 118 du Code de procédure pénale ne peut être valablement invoquée ; Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel a fait l'exacte application de la loi ; Qu'en effet, d'une part, l'avis de la Commission des infractions fiscales, prévu par l'article L. 228 du Livre des procédures fiscales, laisse entier le pouvoir du procureur de la République d'apprécier la suite à donner à une plainte de l'administration des Impôts ; que celui-ci peut notamment soit ouvrir une information, soit, après enquête complémentaire, s'il y a lieu, déférer à la juridiction correctionnelle les personnes contre lesquelles il estime devoir exercer l'action publique à raison du ou des délits dénoncés ; Que, d'autre part, les auditions qui, comme en l'espèce, interviennent au cours d'une enquête préliminaire n'entrent pas dans la catégorie de celles prévues par l'article 105 du Code de procédure pénale lequel suppose pour son application qu'une procédure d'instruction judiciaire a été déjà ouverte ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ; Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 425 alinéa 4 de la loi du 24 juillet 1966, 1741 et 1743 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Louis X... pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant de la société X... coupable d'abus de biens sociaux et de fraude fiscale à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur les sociétés pour avoir perçu des remises de la société Lorans et ne les avoir déclarées ni au titre des bénéfices de la société ni au titre de ses propres revenus ; "aux motifs propres que, s'agissant des ristournes Lorans, Louis X... ne saurait tirer argument du caractère nominatif des chèques remis tant à lui-même qu'à ses frères pour affirmer que ces sommes versées à l'occasion de contrats passés par la SARL revêtaient le caractère de libéralité alors qu'il reconnaît lui-même qu'il ne s'agit que de la perpétration d'une pratique née à une époque où "elles ne pouvaient qu'être versées à titre personnel puisqu'il n'existait pas de personne morale" ; qu'il ne pouvait pas plus considérer ces ristournes comme des libéralités faites à titre personnel, même si elles ont été versées sans dissimulation sur son compte bancaire ; que par conséquent, leur non déclaration au titre de ses revenus constitue le délit de fraude fiscale ; "et aux motifs repris des premiers juges qu'il n'est pas contesté par Louis X... pris en sa qualité de gérant que les recettes Lorans n'ont pas été comptabilisées dans les écritures de la SARL X... ; que l'intention délibérée de Louis X... de soustraire ces sommes à l'imposition au titre de l'impôt sur les sociétés pour les exercices concernés, se déduit à la fois du comportement répétitif de ses agissements irréguliers par rapport à la Société et de sa constance à éluder de ses propres bénéfices les sommes par lui perçues du fournisseur Lorans, dans ses déclarations au titre de l'impôt sur le revenu ; "alors que d'une part, le versement de ces sommes par la société Lorans étant destiné à remercier Louis X... personnellement et ce bien avant la création de la SARL X... pour les bons rapports commerciaux qu'il avait instaurés avec elle, ne peut s'analyser selon une pratique courante et au demeurant reconnue du droit fiscal qu'en un cadeau d'entreprise fait aux dirigeants d'une société cliente sans par conséquent que sa réception par ce dernier puisse être retenue à son encontre comme caractérisant un usage abusif des biens de la Société et qui à raison de leur caractère de libéralité ne constituaient pas un revenu soumis à déclaration ni a fortiori un bénéfice pour la société X... contrairement à ce qu'a décidé la Cour qui, faute d'avoir caractérisé l'élément matériel tant du délit d'abus de biens sociaux que de celui de fraude fiscale, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
"alors que d'autre part en l'état de ces énonciations, dont il ressort que cette pratique instaurée par la société Lorans bien avant la création de la SARL X... s'effectuait sous forme de chèques libellés personnellement au nom de chacun des trois associés dont Louis X..., toutes circonstances de nature à caractériser l'erreur légitime commise par ce dernier sur la qualification juridique devant être donnée à ces sommes, la Cour ne pouvait en l'absence de tout autre élément de fait considérer comme établie l'intention frauduleuse requise tant en matière d'abus de biens sociaux qu'en matière de fraude fiscale, la simple constatation du caractère répétitif de ces faits au demeurant en partie couverts par la prescription étant en tout état de cause inopérante à caractériser une telle intention" ; Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 425 alinéa 4 de la loi du 24 juillet 1966, 1741 et 1743 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Louis X... coupable d'abus de biens sociaux et de fraude fiscale pour avoir fait supporter par la SARL X... le montant de livraisons de fuel domestique sans par ailleurs déclarer cet avantage en nature au titre de ses revenus ainsi que de fraude fiscale à l'impôt sur les sociétés pour ne pas avoir comptabilisé dans les bénéfices des indemnités d'assurance encaissées en réalité par les SCI du groupe ; "aux motifs que les conditions dans lesquelles ont été effectuées les livraisons de fuel au domicile personnel de Louis X... pendant plusieurs années, sans que son compte courant n'ait été débité et sans que celui-ci ne fasse vérifier la prétendue erreur consistant en cette omission, démontrent qu'il s'agissait bien d'un avantage occulte ; que "l'erreur d'imputation" de ces livraisons ne résiste pas à l'examen ; que s'agissant d'un impôt sur les sociétés, il sera relevé que le caractère volontaire de la dissimulation résulte d'une part de l'absence de trace dans la comptabilité de la SARL des chèques correspondant au remboursement de sinistres lors de leur endossement au profit des SCI et tout remboursement ultérieur par ces dernières ; "alors que la Cour qui s'est ainsi refusée à prendre en considération les erreurs de comptabilité invoquées par Louis X... concernant les imputations des livraisons de fuel domestique et l'absence de comptabilisation des contreparties des indemnités d'assurance destinées à la SARL X... et encaissées par les SCI pour financer des acquisitions immobilières de la SARL X..., sans donner le moindre motif justifiant un tel rejet si ce n'est la constatation parfaitement inopérante du caractère répétitif de ces erreurs, n'a pas dès lors caractérisé l'élément intentionnel de l'abus de bien social et des fraudes fiscales reprochés à Louis X..." ; Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il est reproché à Louis X..., pris en sa qualité de gérant de la SARL X..., d'avoir encaissé pour lui-même des ristournes consenties par la société Lorans sur des achats de pneumatiques et fait régler par la trésorerie sociale des factures correspondant à des livraisons de fuel à son domicile, d'avoir soustrait la personne morale au paiement partiel de l'impôt sur les sociétés et tenu une comptabilité inexacte en dissimulant l'existence de ristournes et le versement d'indemnités d'assurance ; de s'être enfin, à titre personnel, soustrait au paiement partiel de l'impôt sur le revenu en dissimulant les sommes dont il a illégalement bénéficié ; Attendu, d'une part, que pour écarter les conclusions dont elle était saisie et déclarer le susnommé coupable d'abus de biens sociaux, la cour d'appel énonce que, s'agissant des ristournes accordées par la société Lorans, le prévenu ne saurait tirer argument du caractère nominatif des chèques pour affirmer que ces sommes constituaient des libéralités ; qu'elle observe que l'intéressé reconnaît que cette pratique est née à l'époque où l'entreprise était exploitée sous forme personnelle et souligne que lesdites sommes ne pouvaient qu'appartenir à la société depuis que celle-ci existe ; Qu'elle relève par ailleurs que des livraisons de fuel ont été effectuées pendant plusieurs années au domicile personnel de X..., à l'insu du commissaire aux comptes, sans que le compte courant de l'intéressé ait été débité et sans que celui-ci ait fait rectifier la prétendue erreur à l'origine de cette omission ; Qu'elle en déduit, qu'en effectuant ainsi de mauvaise foi, en connaissance du caractère abusif et occulte de l'avantage qu'il en retirait, des actes de disposition sur des biens appartenant à la société, le prévenu a porté atteinte à l'intégrité de l'actif social dans un intérêt personnel ; Attendu, d'autre part, que pour déclarer Louis X... coupable de fraude fiscale et d'omission de passation d'écritures la cour d'appel constate que les sommes non déclarées tant à l'impôt sur le revenu qu'à l'impôt sur les sociétés et non enregistrées en comptabilité, excèdent la tolérance de mille francs ; qu'il en est ainsi des ristournes versées par la société Lorans et encaissées à un compte bancaire personnel, des livraisons de fuel sans débit correspondant au compte courant et des remboursements de sinistres par chèques endossés au profit de sociétés civiles immobilières ; Qu'elle souligne que, s'agissant de l'impôt sur les sociétés, la dissimulation, qui s'est perpétrée pendant plusieurs années sans laisser de trace en comptabilité, a été volontaire ; que s'agissant de l'impôt sur le revenu, la disproportion, entre les revenus déclarés et les revenus réels, ne permet pas d'écarter le caractère intentionnel de la dissimulation ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, relevant de son pouvoir souverain d'appréciation des circonstances de la cause soumises au débat contradictoire, la cour d'appel a caractérisé chacune des infractions reprochées en tous ses éléments, y compris intentionnel, sans encourir les griefs allégués ; D'où il suit que les moyens réunis ne sauraient être accueillis ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; REJETTE le pourvoi