CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par X... partie civile, contre un arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre des appels correctionnels, en date du 16 juillet 1986, qui, dans des poursuites exercées contre Y... du chef d'injures publiques envers un particulier, a prononcé la relaxe du prévenu et débouté la partie civile de sa demande.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23, 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que par l'arrêt infirmatif attaqué, la Cour a relaxé Y... du chef d'injures publiques à l'encontre de X... et a débouté ce dernier de sa demande en dommages-intérêts ;
" aux motifs " que la mise en garde faite en référence à l'histoire, contre un régime révolu, des idéologies et des sentiments extrêmes ne revêt pas un caractère injurieux dès lors que le plaignant n'est pas directement et personnellement qualifié intolérant, raciste ou fasciste ", " qu'en faisant grief à X... de soutenir " la haine raciale de Z... " le tract incriminé entend attaquer une opinion plus ou moins bien analysée qu'il prête à un mouvement politique et à son dirigeant ", propos qui ne dépassent pas " les limites de ce qui est tolérable dans le contexte d'une campagne électorale où il est d'usage de recourir à une réthorique polémique et passionnée " et que " les premiers juges n'ont pas justifié leur décision de culpabilité par des éléments qui feraient ressortir que X... a été personnellement outragé à raison de sa loyauté, de sa sincérité ou de sa vie privée " ;
" alors que les passages incriminés du tract émanant du prévenu étaient les suivants : en langue française " X... FN, ce serait un choix encore plus désastreux pour le Haut-Rhin. Croyez-vous qu'il défendrait à Paris vos vrais intérêts ? Vous savez de quelles souffrances l'Alsace et la France ont déjà payé l'intolérance et le racisme : on ne va pas recommencer tout de même " ; en langue allemande " X... du Front National : son élection serait catastrophique pour le Haut-Rhin. Etes-vous convaincus qu'il défendrait vraiment les intérêts des habitants du Haut-Rhin avant la haine raciale de Z... ? Nous connaissons tous le prix que l'Alsace et la France ont payé dans le passé pour l'intolérance et le fascisme. On ne va pas recommencer tout de même ", qu'à deux reprises le tract qui visait nommément X... qualifiait son action " d'intolérante et raciste " et " d'intolérante et fasciste ", qu'il faisait de surplus référence à la période d'occupation nazie de l'Alsace et de la France, que les imputations d'intolérance, de fascisme et de racisme proférées à l'encontre de X... mettaient en cause son honneur et sa considération et constituaient des injures publiques, et que la Cour n'a pu relaxer le prévenu des fins de la poursuite et débouter la partie civile de sa demande en réparation du préjudice subi qu'en violation des articles 23, 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que le droit de contrôle de la Cour de Cassation s'étend en ce qui touche les infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 à la portée et à l'interprétation des écrits incriminés ; qu'il en résulte que, s'il appartient aux juges du fond de déclarer, d'après les circonstances de la cause, quelle est la personne visée par l'injure, cette affirmation n'est souveraine que dans la mesure où elle se fonde sur des éléments de fait extrinsèques à l'acte incriminé ;
Attendu que par exploit du 12 mars 1986, X... a fait assigner Y... devant la juridiction correctionnelle sous la prévention d'injures publiques envers un particulier, à raison de la distribution au cours de la campagne électorale d'un tract contenant les passages suivants :
" Page 2 en langue française : " X...-FN- ce serait un choix encore plus désastreux pour le Haut-Rhin. Croyez-vous qu'il défendrait à Paris vos vrais intérêts ? Vous savez de quelles souffrances l'Alsace et la France ont déjà payé l'intolérance et le racisme : on ne va pas recommencer tout de même ! " ;
" Page 4 en langue allemande : " X... du Front National :
son élection serait catastrophique pour le Haut-Rhin. Etes-vous convaincus qu'il défendrait vraiment les intérêts des habitants du Haut-Rhin avant la haine raciale de Z... ? Nous connaissons tous le prix que l'Alsace et la France ont payé dans le passé pour l'intolérance et le fascisme. On ne va pas recommencer tout de même ! " ;
Attendu que pour relaxer Y... et par suite débouter la partie civile de son action, la cour d'appel a retenu que l'écrit incriminé ne revêtait pas un caractère injurieux pour le plaignant dès lors que ce dernier n'était pas directement et personnellement qualifié d'intolérant, de raciste ou de fasciste ;
Mais attendu qu'il résulte du texte des écrits visés par la plainte que le choix de X... était présenté comme un retour à l'intolérance, au racisme et au fascisme et que par voie de conséquence ces expressions outrageantes le visaient bien personnellement ;
Attendu qu'en cet état c'est par une interprétation erronée du texte contenant ces qualifications injurieuses et en contradiction avec leurs propres constatations, que les juges ont déclaré que le texte retenu par la citation ne visait pas X... personnellement ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 16 juillet 1986 mais sur les intérêts civils seulement,
Et pour être statué à nouveau conformément à la loi dans les limites de la cassation prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Metz.