Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que la société norvégienne Atlantic Triton, se disant créancière de l'Etat guinéen en raison de la non-exécution par celui-ci des obligations découlant d'un accord pour la gestion de trois navires, a, par requête au président du tribunal de commerce, fait saisir ces trois navires alors en réparation dans un port français ; que, sur assignation en mainlevée de cette saisie conservatoire, l'arrêt infirmatif attaqué a dit que le président du tribunal de commerce était incompétent pour connaître de la demande de saisie conservatoire qui lui avait été présentée et a ordonné la mainlevée de cette saisie ; .
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Atlantic Triton fait grief à la cour d'appel d'avoir déclaré recevable le moyen pris de l'existence d'une clause compromissoire la liant à l'Etat guinéen, alors que ce moyen, constituant une exception d'incompétence, était irrecevable, en vertu de l'article 74 du nouveau Code de procédure civile, dès lors qu'il n'avait été invoqué qu'après la fin de non-recevoir tirée par l'Etat de l'immunité d'exécution dont il prétendait bénéficier ;
Mais attendu que les deux moyens tirés de l'immunité d'exécution et de la clause compromissoire ont été invoqués l'un et l'autre dans les mêmes actes, d'abord dans l'assignation en mainlevée de saisie conservatoire, puis dans les conclusions d'appel de la République de Guinée et de la Soguipêche ; que peu importent, dès lors, l'ordre dans lequel ces deux moyens ont été invoqués et même le caractère surabondant donné à l'un d'eux ; que l'irrecevabilité prévue par l'article 74 précité dans le cas où une exception est invoquée postérieurement à une fin de non-recevoir n'est donc pas encourue ;
Sur le second moyen, pris en sa première branche :
Attendu que le contrat passé entre la société Atlantic Triton et la République de Guinée comportait une clause renvoyant, en cas de litige, à l'arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) institué par la convention de Washington du 18 mars 1965, publiée en France en vertu du décret n° 67-1245 du 18 décembre 1967 ; que la cour d'appel a décidé qu'en présence d'une telle clause, la convention de Washington interdisait à la société Atlantic Triton de recourir aux juridictions étatiques pour requérir des mesures conservatoires ;
Attendu qu'il lui est fait grief d'avoir interprété cette convention, alors qu'il appartient au seul Gouvernement français d'interpréter les traités qui mettent en jeu des questions de droit public international, ce qui serait le cas puisqu'il s'agissait de savoir dans quelle mesure la France avait renoncé, au profit du CIRDI, à son pouvoir juridictionnel de prendre des mesures conservatoires ;
Mais attendu que le seul fait qu'un traité concerne l'étendue du pouvoir juridictionnel de l'Etat français ne suffit pas à interdire aux tribunaux d'exercer le pouvoir qui leur appartient normalement d'interpréter les règles de droit posées par les conventions internationales ; qu'en sa première branche, le second moyen n'est donc pas fondé ;
Rejette le premier moyen et la première branche du second moyen ;
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 26 de la convention de Washington du 18 mars 1965 ;
Attendu qu'en disposant que le consentement des parties à l'arbitrage dans le cadre de cette convention est, sauf stipulation contraire, considéré comme impliquant renonciation à tout autre recours, ce texte n'a pas entendu interdire de s'adresser au juge étatique pour demander des mesures conservatoires destinées à garantir l'exécution de la sentence à venir ;
Attendu que la cour d'appel a décidé que le but et l'esprit de la convention impliquaient que le tribunal arbitral avait une compétence générale, non seulement pour trancher le fond, mais encore pour prendre toutes mesures provisoires ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le pouvoir du juge étatique d'ordonner des mesures conservatoires, qui n'est pas écarté par la convention de Washington, ne pouvait l'être que par une convention expresse des parties ou par une convention implicite résultant de l'adoption d'un règlement d'arbitrage qui comporterait une telle renonciation, la cour d'appel a violé par fausse application le texte susvisé ;
Et sur la quatrième branche du même moyen :
Vu l'article 29, alinéa 2, du décret du 27 octobre 1967 ;
Attendu qu'aux termes de ce texte, l'autorisation de saisie conservatoire des navires peut être accordée dès lors qu'il est justifié d'une créance paraissant fondée dans son principe ;
Attendu qu'en se fondant, pour refuser cette autorisation, sur le défaut d'urgence, et en subordonnant ainsi l'application de ce texte à une condition qu'il ne comporte pas, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu, le 26 octobre 1984, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers