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07/10/1986 | FRANCE | N°85-91841

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 07 octobre 1986, 85-91841


CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
1° X... Henri et la Société IBM,
2° le syndicat CFDT des travailleurs de la métallurgie de l'Essonne,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris (20e Chambre), en date du 8 février 1985, statuant dans les poursuites exercées contre X... et d'autres des chefs d'infractions aux règles relatives à la sécurité des travailleurs et d'homicide et de blessures involontaires et se prononçant sur les intérêts civils ainsi que sur la responsabilité civile de la société IBM.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison d

e la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande, en défense, et en réplique...

CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
1° X... Henri et la Société IBM,
2° le syndicat CFDT des travailleurs de la métallurgie de l'Essonne,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris (20e Chambre), en date du 8 février 1985, statuant dans les poursuites exercées contre X... et d'autres des chefs d'infractions aux règles relatives à la sécurité des travailleurs et d'homicide et de blessures involontaires et se prononçant sur les intérêts civils ainsi que sur la responsabilité civile de la société IBM.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande, en défense, et en réplique ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement dont il adopte les motifs non contraires, qu'en avril 1978, la société IBM a confié à la Compagnie industrielle de montage (CIM), dont le directeur des travaux était Jacques Y..., la réalisation d'une centrale de distribution de solvants, sur le site de son usine implantée à Coudray-Montceaux (Essonne) ; que ces travaux comportaient l'installation de cinq cuves dans une fosse commune, chacune d'elles possédant à son sommet une ouverture permettant de descendre à l'intérieur ; que la CIM avait sous-traité à une entreprise spécialisée, la SOMAFER, les opérations de nettoyage intérieur des cuves ;
Attendu que les 26 et 27 août 1978, les cuves étant en voie d'achèvement, des ouvriers de la SOMAFER en ont nettoyé les parois internes en utilisant un dissolvant connu sous l'appellation commerciale de " Flugène 113 " ; qu'ils étaient munis d'appareils respiratoires les protégeant contre les émanations nocives du produit ; que le 28 août, CIM a commencé les travaux de sondage des tuyauteries à l'intérieur des cuves, l'opération étant pratiquée sous argon et le branchement du tuyau d'alimentation en argon devant être effectué de l'intérieur ; qu'en procédant sans dispositif de protection à cette opération, plusieurs ouvriers ont ressenti des malaises passagers ; que, le 30 août, le chef d'équipe A... est néanmoins descendu dans une cuve et a branché le tuyau d'alimentation en argon qui devait débiter toute la nuit ;
Attendu que les juges relatent que le 31 août, vers 7 heures du matin, A... est redescendu dans la cuve ; qu'ayant été pris d'un malaise, il a perdu connaissance ; qu'un ouvrier est allé, en hâte, chercher un appareil respiratoire dans un local voisin, la société CIM n'en possédant pas sur place ; que l'ouvrier Z... s'en est équipé mais de façon défectueuse, faute d'en connaître le maniement ; qu'il est descendu dans la cuve sans être lui-même attaché, a eu le temps de passer une corde autour du corps de son camarade, qui a été aussitôt extrait de la cuve, et a perdu connaissance à son tour ; qu'alertés, les services de sécurité d'IBM l'ont remonté à l'air libre ; qu'il n'a pu, cependant, être ramené à la vie, tandis que A..., moins intoxiqué, était réanimé ; que les prélèvements opérés dans l'atmosphère de la cuve devaient faire apparaître une forte diminution de l'oxygène, détruit par la présence de l'argon, gaz non toxique par lui-même mais possédant la propriété d'absorber l'oxygène ; que les experts devaient conclure que toute personne descendant à l'intérieur de la cuve n'aurait pu le faire sans danger que munie d'un scaphandre autonome, convenablement alimenté en air respirable ;
Attendu qu'à l'issue de l'information ouverte à la suite de cet accident, Y..., responsable de la CIM, a été renvoyé devant le Tribunal correctionnel sous les préventions d'homicide et blessures involontaires et d'infractions au Code du travail, le chef d'équipe A... étant, lui-même, prévenu d'homicide involontaire et Christian B..., directeur de la société sous-traitante SOMAFER se voyant reprocher diverses infractions au Code du travail ; qu'aucun des dirigeants de l'usine IBM n'avait fait l'objet d'une inculpation ;
Attendu que le syndicat CFDT de la métallurgie de l'Essonne a, de son côté, cité directement devant la même juridiction Henri X..., directeur de l'usine, des chefs d'homicide et blessures involontaires et infractions aux règles relatives à la sécurité du travail, ainsi que Michel C..., ingénieur responsable des " travaux et installations " et Didier D... chargé de la sécurité à l'usine, la société IBM étant citée en qualité de civilement responsable ;
Attendu que les procédures ayant été jointes, la Cour d'appel, qui est, par ailleurs, entrée en condamnation contre Y... et B..., a déclaré X... coupable d'infractions aux règles relatives à l'hygiène et à la sécurité des travailleurs, par le non-respect des dispositions du décret du 29 novembre 1977, fixant les prescriptions particulières d'hygiène et de sécurité applicables aux travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure ; qu'elle l'a, par contre, relaxé, ainsi que ses deux collaborateurs, des préventions d'homicide et de blessures involontaires ; que la société IBM a été déclarée civilement responsable, des réparations étant allouées à la partie civile ;
En cet état :
Sur le premier moyen du pourvoi formé par X... et la société IBM, pris de la violation des articles 85 et suivants, 117 et suivants, 388, 8 et suivants et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, de la règle " non bis in idem ", défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable la poursuite que le syndicat CFDT avait introduite par voie de citation directe, le 20 mai 1983, à l'encontre de X... du chef d'infractions au décret du 29 novembre 1977, relatif aux travaux effectués par une entreprise extérieure ;
" aux motifs que si le syndicat poursuivant s'était effectivement constitué partie civile quelques années plus tôt dans le cadre de l'instruction diligentée à la suite de l'accident survenu sur le site de l'usine IBM de Corbeil à deux employés, membres du personnel de la société CIM, entreprise intervenante sur le chantier, et que l'information avait abouti à un non-lieu partiel et au renvoi de trois inculpés devant le Tribunal correctionnel, il apparaissait que X... personnellement n'avait été à aucun moment entendu, ni mis en cause au cours de cette information et que son nom n'était pas mentionné dans la plainte, avec constitution de partie civile, du syndicat CFDT ; que la théorie du non-lieu tacite soutenue par X... aurait pu être accueillie, s'il avait été entendu ou mentionné, ne serait-ce que comme témoin, mais qu'à défaut, il était impossible de dire que l'ordonnance clôturant l'instruction pouvait contenir une décision tacite ou implicite de non-lieu en sa faveur ;
" alors, d'une part, que dès l'instant ou la plaignante avait remis sa constitution de partie civile au juge d'instruction conformément aux dispositions des articles 85 et suivants du Code de procédure pénale, la Cour d'appel ne pouvait pas, sans méconnaître la règle " non bis in idem ", ainsi que l'article 388 du Code de procédure pénale, admettre à nouveau la plaignante à saisir-au moyen d'une citation directe-le Tribunal correctionnel qui était lui-même par ailleurs régulièrement saisi par une ordonnance du juge d'instruction ;
" alors, d'autre part, que contrairement aux énonciations de l'arrêt attaqué, l'ordonnance du juge d'instruction qui renvoyait certaines parties en police correctionnelle et qui contenait non-lieu au profit d'autres, pouvait être valablement opposée à la partie civile par le prévenu, directeur de l'usine IBM, dès lors que ladite société IBM était clairement visée dans les faits, objet de la poursuite et qu'un certain nombre de ses représentants avaient été entendus comme témoins ;
" qu'au surplus, l'arrêt attaqué qui laisse sans réponse les conclusions du demandeur faisant valoir que la partie civile avait expressément sollicité du juge d'instruction " la mise en cause des responsables d'IBM (lettres des 15 juillet 1982 : D. 130, et 25 février 1983 : D. 134) est entaché d'une insuffisance de motifs caractérisée ;
" alors, de troisième part, qu'à défaut d'appel de l'ordonnance du juge d'instruction fixant définitivement le nombre des prévenus, la partie civile ne saurait, sans méconnaître le caractère inquisitoire de la procédure d'information et, sans commettre un détournement de procédure flagrant, saisir directement la juridiction de jugement du cas des personnes ne figurant pas au nombre de celles qui font l'objet d'un renvoi en police correctionnelle ;
" alors, de quatrième part, qu'en l'absence d'interrogatoires et de confrontations contradictoirement menées dans le cadre de l'instruction, le fait d'opposer au prévenu traduit devant le tribunal correctionnel au moyen d'une citation directe délivrée par la partie civile, le dossier d'instruction constitue une violation flagrante des droits de la défense, en sorte que, en se référant audit dossier (cf. p. 13 in fine) pour établir la culpabilité de X..., la Cour d'appel a violé les articles 117 et suivants du Code de procédure pénale ;
" alors, enfin, et de toutes façons, qu'à supposer que la citation directe ait eu pour objet des faits étrangers à l'information, la Cour d'appel qui relève qu'ils étaient concomitants à l'accident du mois d'août 1978, devait constater qu'à la date de la citation, l'action publique se trouvait éteinte du fait de la prescription " ;
Attendu qu'avant toute défense au fond, X..., directeur de l'usine IBM, et ses deux adjoints, avaient soulevé l'irrecevabilité de leur assignation, par voie de citation directe, devant la juridiction répressive, à l'initiative du syndicat CFDT de la métallurgie, aux motifs qu'ils avaient été mis en cause par l'information, que notamment, la CFDT, partie civile, avait, par lettres adressées à deux reprises au juge d'instruction, demandé à ce que fût recherchée la responsabilité des dirigeants d'IBM et qu'ainsi, l'ordonnance de renvoi des personnes inculpées devant le Tribunal correctionnel renfermait implicitement une décision de non-lieu à leur égard, décision non frappée de recours par la partie civile ;
Attendu que, pour écarter cette exception, dont elle était à nouveau saisie, la Cour d'appel, confirmant la décision des premiers juges, énonce que la théorie du " non-lieu tacite " soutenue par les trois prévenus aurait pu être accueillie s'ils avaient été visés d'une façon nominale par la CFDT, partie civile, et s'ils avaient été entendus par le magistrat instructeur, fût-ce comme témoins ; que leurs noms ne figurent ni dans la plainte ni dans la procédure ultérieure ; que seuls ont été entendus, en qualité de témoins, des employés d'IBM qui ne sont pas en cause ; qu'il s'en déduit que l'ordonnance du juge d'instruction n'incluait aucune décision de non-lieu, implicite ou tacite à leur égard et que les citations directes délivrées à la requête de la CFDT étaient recevables ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la Cour d'appel a donné une base légale à sa décision sans encourir les griefs énoncés au moyen ;
Qu'il résulte, en effet, des dispositions de l'article 388 du Code de procédure pénale, que la victime d'une infraction peut mettre en mouvement l'action publique en usant de la voie de la citation directe à l'égard des personnes qui n'ont pas été l'objet de l'information diligentée à raison des mêmes faits à la condition que ces personnes n'aient pas été dénoncées dans la plainte, mises en cause dans les poursuites ou impliquées même en qualité de témoins, dans la procédure et qu'enfin, la plainte initiale ou des imputations exprimées en cours d'information ne renferment pas des précisions telles que l'identification des personnes visées ne laisserait place à aucun doute ;
Attendu que les juges du fond ont souverainement constaté que, ni le directeur de l'usine ni ses collaborateurs n'étaient mis en cause dans la plainte ; que ces personnes n'ont été entendues à aucun titre par le juge d'instruction ; que les demandeurs au pourvoi n'allèguent pas que les lettres de la partie civile, visant de façon imprécise les dirigeants d'IBM, aient été prises en considération par ce magistrat ;
Attendu que, contrairement à ce qui est soutenu, la Cour d'appel n'était pas, de ce fait, tenue de s'expliquer spécialement sur la portée de ces lettres ; que les prévenus ayant été en mesure de discuter de tous les éléments de la procédure d'information, en raison de la jonction ordonnée avant l'ouverture des débats, ils ne sauraient invoquer aucune violation des droits de la défense ; que l'argument pris, par les demandeurs au pourvoi, de la prescription de l'action publique, ne saurait être retenu, ladite prescription ayant été interrompue par les actes d'information, lesquels ont porté sur l'ensemble des faits visés dans la nouvelle procédure ; qu'enfin, la circonstance que la partie civile n'a pas relevé appel de l'ordonnance de clôture de l'information ne pouvait faire obstacle, en ce qui la concerne, à l'exercice ultérieur de l'action publique, par voie de citation directe ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le second moyen du pourvoi formé par X... et la société IBM, pris de la violation des articles 4 et suivant, 9, 11, 13 et 20 du décret du 29 novembre 1977, L. 263-2 du Code du travail, 1134 du Code civil, ainsi que de l'article 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut et contradiction des motifs ;
" en ce que la Cour d'appel, réformant le jugement entrepris, a déclaré X... coupable d'infraction aux articles 4, 13 et 20 du décret du 29 novembre 1977 ;
" aux motifs que la fosse dont la réalisation était confiée à la société CIM était située sur un terrain faisant partie du site de la société IBM et qu'il ne s'agissait donc pas d'un chantier indépendant, que dès lors, même si aucun salarié de la société IBM ne travaillait à l'installation de la cuve, " les deux sociétés exerçaient bien une activité parallèle et simultanée, en un même lieu " ; que ces activités complémentaires ne se concevaient pas l'une sans l'autre, qu'ainsi IBM devait être considérée comme " l'entreprise utilisatrice " et CIM comme " l'entreprise intervenante ", aux termes du décret du 29 novembre 1977 ; que l'intervention du service de sécurité d'IBM après l'accident, de même que l'utilisation par CIM d'un appareil respiratoire pris à IBM sans autorisation, établissait bien l'activité complémentaire et simultanée des deux sociétés ; que le décret du 29 novembre 1977 était donc bien applicable et que le procès-verbal d'inspection préalable dressé par IBM en application de ce texte n'était pas suffisant au regard de l'article 20 du décret dans la mesure où il recensait les risques sans définir les mesures à prendre pour y remédier, notamment en ce qui concernait le nettoyage des cuves ;
" alors, d'une part, que même si la compagnie IBM France a pu avoir la qualité d'entreprise utilisatrice au sens du décret du 29 novembre 1977, elle ne pouvait se trouver soumise aux prescriptions des articles 4 et 5 du décret que dans la mesure où les deux entreprises se livraient à l'exercice simultané en un même lieu de leurs activités respectives et que dès lors, la Cour d'appel, qui se borne à énoncer que IBM devait délivrer des " bons de feu " avant les soudures, que les canalisations partant de la cuve devaient être raccordées au réseau IBM, qu'un appareil respiratoire avait été emprunté à IBM sans autorisation et que le service sécurité IBM était intervenu sur les lieux après l'accident, et qui, par ailleurs, a relevé qu'" aucun salarié IBM ne travaillait à l'installation même de la cuve " (arrêt p. 12, b) n'a nullement caractérisé l'interférence de l'activité des deux entreprises, ni les risques particuliers susceptibles d'en résulter pour les salariés et a, ce faisant, privé sa décision de toute base légale au regard desdits articles ;
" alors, d'autre part, que les constatations de l'arrêt attaqué révèlent simplement l'ouverture chez l'entreprise utilisatrice d'un chantier correspondant à l'activité propre de l'entreprise intervenante (création de cuves) sans aucun travail commun et ne sont pas de nature à justifier l'application au cas présent ni de l'article 13 alinéa 1, qui vise exclusivement le cas d'une pluralité d'entreprises intervenantes, ni de l'article 13, alinéa 2, qui est subordonné à la participation effective aux travaux de l'entreprise utilisatrice, de sorte que la Cour d'appel a également violé ce texte par fausse application ;
" alors, de troisième part, que la Cour d'appel ne pouvait faire reproche au prévenu de n'avoir prévu aucune opération de nettoyage des cuves tout en retenant qu'une telle faute était imputable à Y..., préposé de la société SOMAFER, entreprise sous-traitante précisément chargée de ladite opération, l'article 11 du décret du 29 novembre 1977 ayant précisément pour objet, dans l'hypothèse de l'intervention d'une entreprise sous-traitante, de situer la responsabilité pénale dans le seul cadre des rapports de l'entreprise intervenante et de sa sous-traitante, toutes deux soumises, en ce qui les concerne, aux prescriptions dudit décret, indépendamment du régime applicable à l'entreprise utilisatrice ;
" alors, de quatrième part et subsidiairement, que, à supposer applicables les articles 4, 5 et 6 du décret qui imposent aux employeurs intéressés de prendre certaines mesures en vue d'éviter les risques inhérents à l'intervention d'une entreprise extérieure, il résulterait des constatations mêmes de l'arrêt attaqué que ces prescriptions avaient été remplies en l'espèce par l'établissement d'un procès-verbal d'inspection préalable en date du 12 avril 1978 dressé, en termes exprès, " pour l'application du décret ", co-signé par l'entreprise intervenante et qui se référait aux consignes de sécurité C. C. 100-3 en vigueur chez IBM, de sorte que l'élément matériel du délit n'est nullement caractérisé ;
" alors, enfin, que le procès-verbal du 12 avril 1978 visait les horaires, les voies d'accès, les risques incendie, explosion, électriques et chimiques, ainsi que la délimitation du chantier et imposait corrélativement des mesures de protection individuelle, l'obtention de permis de feu délivré par l'entreprise utilisatrice, l'utilisation d'explosimètres portatifs et d'extincteurs, outre la présence d'un pompier dans certains cas, de sorte qu'en affirmant que le délit serait constitué au regard de l'article 20 du décret, du fait que le prévenu n'aurait " nullement " défini les précautions à prendre, l'arrêt attaqué est dépourvu de toute base légale au regard du texte précité " ;
Et sur les premier et second moyens du pourvoi formé par le syndicat CFDT de la métallurgie de l'Essonne ;
Le premier, pris de la violation des articles 319 et 320 du Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé le prévenu X... du chef d'homicide involontaire sur la personne de Z... et de blessures involontaires sur la personne de A... ;
" aux motifs que les activités des deux sociétés CIM et IBM étant bien complémentaires et simultanées, des infractions aux articles 4 et suivants du décret du 29 novembre 1977 avaient été commises, aucune mesure n'ayant été prise pour éviter les risques professionnels qui pouvaient résulter de l'exercice simultané en un même lieu des activités des entreprises IBM et CIM ; qu'ainsi, le procès-verbal du 12 avril 1978, dressé en application de ce décret, s'était limité à recenser les risques pouvant exister sur le chantier mais ne définissait nullement les mesures à prendre pour y remédier, rien n'étant prévu notamment pour les cuves, leur nettoyage, etc., alors que le chantier devait durer plusieurs mois ; qu'il n'était cependant pas prouvé qu'il y ait une relation certaine de causalité entre les infractions dont, en sa qualité de directeur de la société IBM, il s'était rendu coupable à ce décret et la mort de Z... et les blessures de A..., la seule cause certaine de cet accident étant due aux fautes de Y..., cadre supérieur de la société CIM, qu'il n'était pas établi, en outre, de négligence à son encontre ;
" alors que la Cour d'appel ne pouvait sans se contredire relever à la charge du prévenu des infractions aux articles 4 et suivants du décret du 29 novembre 1977, constituées par le défaut de mesures prises pour éviter les risques professionnels prévus dans le procès-verbal d'inspection préalable, notamment pour les cuves, leur nettoyage, etc., et juger qu'il n'était pas prouvé qu'il y ait une relation certaine de causalité entre cette faute et les accidents survenus à deux salariés au cours de travaux effectués dans les cuves " ;
Le second, pris de la violation des articles 319 et 320 du Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé les prévenus C... et D... de toutes les infractions qui leur étaient reprochées et mis la société IBM hors de cause, de leur chef ;
" aux motifs que seul X..., directeur de l'usine IBM du Coudray-Montceaux, devait être retenu dans les liens de la prévention ; qu'en effet, il était le directeur de l'usine et aucun élément du dossier n'établissait de façon certaine qu'il ait délégué ses pouvoirs concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs à C..., D... ou autres personnes ; que c'était donc lui qui en était le seul responsable ;
" alors que s'il est vrai que le chef d'entreprise est, faute d'une délégation régulière de pouvoir, responsable de la sécurité des membres de son personnel, ce principe ne saurait mettre obstacle à ce que les maladresses, imprudences, inattention ou inobservations des règlements relevées à la charge d'autres membres de l'entreprise dans l'exécution des tâches qui leur sont confiées donnent lieu à des poursuites sur le fondement des articles 319 et 320 du Code pénal ; qu'en l'espèce, le syndicat demandeur faisait valoir que le prévenu C... était chargé de la fonction " travaux et installations " et était chargé de mettre en place les équipements nécessaires au fonctionnement de l'usine, de sorte qu'il surveillait le suivi du chantier et devait donc vérifier l'application des lois et décrets en matière de sous-traitance et d'hygiène et de sécurité sur les chantiers, tandis que D... était chargé de la sécurité et devait informer et conseiller la hiérarchie pour la sécurité, surveiller les procédures de mise en fonction ; qu'à ces conclusions déterminantes, il n'a pas été répondu et que, partant, de ce chef, l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié " ;
Ces moyens étant réunis ;
Vu les articles qui y sont visés ;
Attendu, d'une part, que les règles applicables en matière d'hygiène et de sécurité du travail dont la violation est pénalement punissable, sont d'interprétation stricte ; que le décret du 29 novembre 1977, fixant les prescriptions particulières d'hygiène et de sécurité applicables aux travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure, a pour objet de parer aux risques professionnels pouvant résulter de la simultanéité et de l'interférence des activités des deux entreprises ; que la concertation préalable de leurs dirigeants et une information précise et réciproque des salariés au sujet des dangers qu'ils peuvent courir du fait de ce concours sont alors indispensables ;
Attendu, d'autre part, que tout jugement ou arrêt doit être motivé ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour déclarer X..., directeur de l'usine IBM, coupable d'infractions aux dispositions du décret du 29 novembre 1977, la Cour d'appel relève que le 12 avril 1978, avant l'ouverture du chantier, des réprésentants des sociétés IBM et CIM ont préparé ensemble et signé, conformément aux prescriptions de l'article 4 du décret, un procès-verbal d'inspection préalable ; qu'ils ont, de ce fait, admis que les deux entreprises devaient exercer une activité simultanée en un même lieu ; que, cependant, ce procès-verbal ne peut être considéré comme détaillé, au sens de l'article 20 du décret ; qu'il se limite, en effet, au recensement des risques pouvant exister sur le chantier mais ne définit par les mesures à prendre pour y porter remède ; qu'en particulier, rien n'est prévu en ce qui concerne les cuves et leur nettoyage alors que le chantier devait durer plusieurs mois ;
Attendu que les juges ajoutent que l'accident s'est produit sur le site de l'usine ; que la fosse dans laquelle étaient construites les cuves n'était pas isolée des autres bâtiments et que le chantier ouvert par la CIM n'était donc pas indépendant ; que, certes, aucun salarié de IBM n'y travaillait, mais que les deux entreprises exerçaient bien des activités parallèles et simultanées en un même lieu, IBM en tant qu'entreprise utilisatrice et la CIM en qualité d'entreprise intervenante ; que la preuve en est que, lorsqu'une opération de soudure devait être réalisée sur les cuves, un préposé de la CIM devait obtenir un " bon de feu " du service de sécurité de IBM avant le début du travail ; que, de même, les canalisations ou conduites devaient être raccordées au réseau de IBM, c'est-à-dire aux autres installations de l'usine ; qu'ainsi, les cuves n'étaient pas indépendantes des autres immeubles, ateliers ou laboratoires de IBM ; qu'au moment de l'accident, c'est un appareil respiratoire appartenant à l'usine qui a été utilisé sans autorisation pour secourir le premier ouvrier intoxiqué et qu'après l'accident, les gendarmes ont trouvé, sur les lieux, des agents de IBM et même un ingénieur chimiste qui a effectué des prélèvements d'air ;
Attendu que, de ces constatations, les juges déduisent que les activités des deux entreprises étaient non seulement simultanées mais complémentaires, l'une ne se concevant pas sans l'autre ;
Attendu, cependant, qu'en l'état de ces motifs, la Cour d'appel a méconnu les principes ci-dessus rappelés et n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de s'assurer de la légalité de la décision ;
Que, d'une part, il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt qu'ainsi que le prévoit l'article 5 du décret du 29 novembre 1977, il ait existé des risques particuliers d'accidents du travail, liés à l'activité d'IBM, auxquels auraient pu être exposés les salariés de l'autre entreprise, ni que le personnel de l'usine ait, de quelque façon, participé aux travaux ou qu'il ait eu accès au chantier ;
Que, d'autre part, la Cour d'appel, qui se borne à faire état de l'insuffisance du procès-verbal du 12 avril 1978, en ce qui concerne la construction et le nettoyage des cuves, ne s'explique nullement sur le contenu de ce procès-verbal, lequel, selon les conclusions du prévenu, se référait, conformément à l'article 20 du décret, aux normes de sécurité, en vigueur à IBM, définissait la nature du chantier, ses voies d'accès, sa délimitation, la zone dangereuse, recensait les risques résultant des installations existantes et de l'activité propre de chaque entreprise, et ce de manière exhaustive ;
Qu'il résulte en outre des dispositions de l'article 11 du décret que c'est à l'entreprise intervenante qu'il appartient, lorsqu'elle fait appel à un sous-traitant, de mettre au point, dans ses rapports avec ce dernier, les mesures de sécurité prévues par l'article 4, afin d'éliminer les dangers pouvant résulter de la simultanéité des travaux ; qu'il ressort des énonciations mêmes de l'arrêt qu'en l'espèce, le nettoyage des cuves avait été sous-traité à la société SOMAFER par la CIM qui en effectuait la construction ;
Que, de même, la Cour d'appel ne pouvait déduire de ses constatations qu'il existait une complémentarité entre l'activité d'IBM et les travaux en cours au motif essentiel que ces derniers avaient pour finalité l'amélioration des installations de l'usine, sans rechercher s'il existait un rapport entre le fonctionnement de ladite usine pendant la durée des travaux et l'exécution de ceux-ci, ainsi que l'incidence d'un tel rapport sur la sécurité des salariés des deux entreprises ;
Attendu, enfin, que si les juges du fond ont justifié leur décision par une appréciation souveraine des éléments de fait, en mettant hors de cause C... et D..., collaborateurs du directeur de l'usine, aux motifs que ce dernier ne leur avait consenti aucune délégation de pouvoirs en matière de sécurité et que nulle faute personnelle, génératrice de l'accident, ne pouvait leur être imputée, ils n'ont pu, par contre, déclarer sans se contredire, X... coupable d'infraction au décret du 29 novembre 1977, pour avoir omis de prévoir, dans les formes prescrites par ce texte, les mesures nécessaires en vue de parer aux risques professionnels pouvant résulter de la construction et du nettoyage des cuves, et énoncer néanmoins qu'il n'existait aucun lien de causalité entre cette infraction et ledit accident ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
1° CASSE ET ANNULE l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 8 février 1985 dans ses dispositions qui, après relaxe de X... de la prévention d'homicide et de blessures involontaires, ont écarté, sur ce point, la demande de réparations civiles du syndicat CFDT de la métallurgie de l'Essonne ;
2° CASSE ET ANNULE ledit arrêt dans ses dispositions déclarant X... coupable d'infraction aux règles de sécurité du travail, accordant des réparations au syndicat précité et déclarant la société IBM civilement responsable ;
Et pour être statué à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel de Dijon.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 85-91841
Date de la décision : 07/10/1986
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° INSTRUCTION - Partie civile - Plainte avec constitution - Renvoi des inculpés devant le Tribunal correctionnel - Citation directe à la requête de la partie civile - Recevabilité - Conditions.

ACTION CIVILE - Partie civile - Constitution - Constitution à l'instruction - Renvoi des inculpés devant le Tribunal correctionnel - Citation directe à la requête de la partie civile - Recevabilité - Conditions.

1° Il résulte des dispositions de l'article 388 du Code de procédure pénale que la victime d'une infraction peut mettre en mouvement l'action publique en usant de la voie de la citation directe à l'égard de personnes qui n'ont pas été l'objet de l'information diligentée à raison des mêmes faits, à la condition que ces personnes n'aient pas été dénoncées dans la plainte, mises en cause dans les poursuites ou impliquées, même en qualité de témoins, dans la procédure et qu'enfin, la plainte initiale ou les imputations exprimées au cours de l'information ne renferment pas des précisions telles que l'identification des personnes visées ne laisserait place à aucun doute.

2° TRAVAIL - Hygiène et sécurité des travailleurs - Travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure - Décret n° 1 du 29 novembre 1977 - Domaine d'application.

2° Les règles applicables en matière d'hygiène et de sécurité du travail, dont la violation est pénalement punissable, sont d'interprétation stricte ; le décret du 29 novembre 1977, fixant les prescriptions particulières d'hygiène et de sécurité qui doivent être respectées à l'occasion de travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure, a pour objet de parer aux risques professionnels pouvant résulter de la simultanéité et de l'interférence des activités des deux entreprises. La concertation préalable de leurs dirigeants et une information précise et réciproque des salariés, au sujet des dangers qu'ils peuvent courir du fait de ce concours, sont alors indispensables. Encourt la cassation l'arrêt condamnant un chef d'entreprise pour infraction aux prescriptions du décret précité alors qu'il ne résulte pas des constatations des juges du fond que les conditions de simultanéité et d'interférence entre les activités de ses salariés et celles des ouvriers d'une entreprise intervenante aient été remplies et qu'une méconnaissance des dispositions réglementaires susvisées ont été à l'origine d'un accident survenu sur le chantier.


Références :

(1)
(2)
Code de procédure pénale 388
Décret 77-1321 du 29 novembre 1977

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 08 février 1985

(1) A RAPPROCHER : Cour de Cassation, chambre criminelle, 1957-03-06, bulletin criminel 1957 N° 230 p. 494 (Cassation). Cour de Cassation, chambres réunies, 1961-04-24, bulletin criminel 1961 N° 222 p. 423 (Cassation). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1963-01-05, bulletin criminel 1963 N° 11 p. 19 (Cassation). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1983-01-17, bulletin criminel 1983 N° 19 p. 37 (Rejet). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1983-11-21, bulletin criminel 1983 N° 303 p. 772 (Cassation sans renvoi). (2) A RAPPROCHER : Cour de Cassation, chambre criminelle, 1985-06-25, bulletin criminel 1985 N° 249 p. 648 (2 arrêts) (Rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 07 oct. 1986, pourvoi n°85-91841, Bull. crim. criminel 1986 N° 273 p. 691
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1986 N° 273 p. 691

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Berthiau, Conseiller le plus ancien faisant fonctions
Avocat général : Avocat général : M. Rabut
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Guirimand
Avocat(s) : Avocats : M. Célice et la Société civile professionnelle Nicolas, Massé-Dessen et Georges.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1986:85.91841
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