Sur le moyen unique du pourvoi :
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que le 20 mai 1974, vers dix-sept heures trente, M. X..., exploitant d'un café, a remarqué qu'un homme faisant partie d'un groupe de quatre consommateurs, était porteur d'une arme à feu ; que M. X... qui avait également reconnu parmi ces quatre personnes certaines de celles qui, quelques semaines avant, avaient provoqué du désordre dans son café, a averti un brigadier de police se trouvant au même moment dans le débit de boissons, lequel a prévenu le commissariat de police local ; qu'un inspecteur, M. Y..., accompagné d'agents de police, s'est rendu dans le café où il a procédé sans incident à l'interpellation et à la fouille à corps de trois des consommateurs suspects, mais que le quatrième a fait usage de l'arme à feu dont il était porteur, tuant M. Jean-Pierre Z... et blessant son père, M. Jean Z..., qui se trouvaient dans le café ; que les consorts Z... ont engagé une action en réparation de leur préjudice contre l'Etat devant le tribunal de grande instance, mais que l'arrêt confirmatif attaqué les a déboutés au motif qu'aucune faute lourde n'avait été commise par les policiers ;
Attendu que les consorts Z... reprochent à la Cour d'appel d'avoir ainsi statué alors qu'eu égard à l'absence de précautions prises pour l'interpellation d'un malfaiteur connu et armé, notamment en ce qui concerne les autres consommateurs tiers à l'opération de police, cette absence de précautions serait constitutive d'une faute lourde, de sorte que l'arrêt serait dépourvu de base légale ;
Mais attendu que la Cour d'appel, qui n'a pas dit que l'auteur des coups de feu était un malfaiteur connu, a relevé que les renseignements fournis à la police, même s'ils faisaient état de l'existence probable d'une arme, n'étaient pas de nature à faire suspecter la dangerosité particulière des hommes qui devaient être interpellés, lesquels ne faisaient l'objet d'aucun ordre de recherche et avaient un comportement apparemment normal, l'incident antérieur signalé par le patron du café n'ayant pas présenté une gravité suffisante pour faire présumer que l'un des quatre suspects étant un dangereux bandit ; que la juridiction du second degré a encore ajouté qu'en l'absence d'élément apparent de dangerosité, le défaut d'évacuation du café n'était pas une imprudence grave, mais s'expliquait par le désir de ne pas attirer l'attention et que rien ne permettait d'envisager raisonnablement la réaction du meurtrier ; que de ces éléments, la Cour d'appel a pu déduire que les agents de la force publique n'avaient pas commis de faute lourde ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
Le rejette.
Mais, sur le moyen de pur droit relevé dans les conditions prévues par les articles 620 et 1015 du nouveau Code de procédure civile :
Vu l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, les principes régissant la responsabilité de la puissance publique et, notamment, le principe constitutionnel de l'égalité devant les charges publiques ;
Attendu qu'il résulte de la combinaison du texte et des principes précités que si la responsabilité de l'Etat à raison des dommages survenus à l'occasion de l'exécution d'une opération de police judiciaire n'est engagée qu'en cas de faute lourde des agents de la force publique, cette responsabilité se trouve engagée, même en l'absence d'une telle faute, lorsque la victime n'était pas concernée par l'opération de police judiciaire et que cette opération, du fait de l'usage d'armes par le personnel de la police ou par la personne recherchée comporte des risques et provoque des dommages excédant par leur gravité les charges qui doivent normalement être supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l'intervention de la police judiciaire ;
Attendu qu'en l'espèce, il était établi que les victimes étaient étrangères à l'opération de police judiciaire engagée contre une personne suspectée d'avoir commis une infraction à la loi pénale et que leur dommage résultait de l'usage d'une arme au cours de cette opération ; qu'il s'ensuit que la Cour d'appel, en statuant sur le fondement de la faute lourde, a violé le texte et les principes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE en son entier l'arrêt rendu le 15 mai 1984, entre les parties, par la Cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Grenoble