CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- X... Pierre,
- X... Anne-Marie, parties civiles,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Chambéry (Chambre correctionnelle) en date du 14 février 1985 qui, dans une procédure suivie contre Y... Pierre et Z... Marie-Ange, épouse Y... pour notamment escroquerie, les a déboutés de leur action.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 405 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, ensemble, violation des articles 1er et suivants de la loi du 17 mars 1909 et de l'article 1382 du Code civil ;
" en ce que l'arrêt attaqué a estimé que le délit d'escroquerie n'était pas établi à l'encontre des consorts Y... et a, par voie de conséquence, débouté les parties civiles de leurs demandes ;
" au motif que la circonstance que les époux Y... étaient en état de cessation des paiements, au moment de la remise des fonds, ne pouvait leur retirer la qualité de commerçants, en sorte qu'ils n'ont pu faire usage d'une fausse qualité ;
" alors que le fait, pour des commerçants, d'être en état de cessation des paiements depuis presque un an, ce qui n'empêcha pas ces derniers de céder un droit au bail, en se faisant immédiatement remettre des fonds, en fraude des droits de la masse, ultérieurement constituée, à la suite d'une procédure collective - masse qui a dû être dédommagée par les cessionnaires de droit au bail - révèle l'usage d'une fausse qualité au sens de l'article 405 du Code pénal ; en décidant le contraire, la Cour d'appel viole le texte précité ;
" et au motif encore que des allégations mensongères ne sont pas des manoeuvres si elles ne sont pas accompagnées d'un acte quelconque destiné à les appuyer et à leur donner crédit ;
" alors que des allégations mensongères peuvent constituer l'escroquerie lorsque s'y joint une mise en scène destinée à leur donner force et crédit ; que ladite mise en scène doit s'apprécier en tenant compte de l'ensemble des faits allégués qui s'inscrivent dans un contexte ; qu'en l'espèce, les consorts Y...qui eurent recours à un notaire pour la signature du compromis de vente, conférant à ce dernier toute l'autorité qui s'attache à un acte notarié, gardèrent le silence sur leur véritable situation financière et déclarèrent qu'ils ne devaient de l'argent qu'au Crédit hôtelier, qu'ils venaient d'être victimes d'un cambriolage et qu'ils avaient un besoin urgent de fonds ;
" que ces faits caractérisaient bien le délit d'escroquerie, ensemble la faute délictuelle au sens de l'article 1382 du Code civil ;
" Qu'ainsi en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel viole les textes visés au moyen ;
" et aux motifs encore, qu'il appartenait aux consorts X... de respecter la loi et spécialement celle du 17 mars 1909 qui stipule que l'acquéreur d'un fonds de commerce ne peut acquitter le prix consenti qu'à l'expiration des délais laissés aux créanciers éventuels pour former opposition, c'est-à-dire, au terme des dix jours suivant la dernière publicité de la vente et qu'au surplus, le fonds étant nanti au profit du Crédit hôtelier, ils auraient dû s'assurer de l'accord dudit Crédit hôtelier qui disposait d'un droit de suite sur le fonds, à défaut de paiement de sa créance ;
" alors que la cession d'un droit au bail, à défaut de circonstances particulières nullement caractérisées en l'espèce, ne peut constituer une cession de fonds de commerce " ;
" que la Cour d'appel constate elle-même que seul un droit au bail a été cédé aux consorts X... ;
" que c'est donc à tort que l'arrêt attaqué a cru pouvoir se référer à la loi du 17 mars 1909 pour statuer comme il l'a fait " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu, d'une part, qu'il est de principe qu'un notaire, institué pour donner aux conventions des parties les formes légales et l'authenticité, a également pour mission d'éclairer ses clients sur les conséquences de leurs engagements et de les renseigner utilement dans la mesure du possible ; qu'au regard du délit d'escroquerie imputé par l'une des parties à l'autre cosignataire, la présence du notaire audit contrat constitue l'intervention du tiers au sens de l'article 405 du Code pénal ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué que, le 1er avril 1981, X... Pierre a, par acte passé en l'étude d'un notaire, signé un compromis de vente portant sur le droit à bail d'un fonds de commerce appartenant aux époux Y... pour le prix de 50 000 francs payé partie comptant, partie par des traites échelonnées jusqu'au 30 septembre 1981 ; que, le règlement judiciaire des vendeurs ayant été prononcé par décision du 10 avril 1981 avec report de la date de cessation des paiements du 7 janvier 1980, ces versements ont été déclarés inopposables à la masse ; que dans ces conditions, les époux Y... ont été poursuivis pour escroquerie ;
Attendu que pour relaxer les prévenus de ce chef de prévention et débouter les parties civiles de leur action, les juges retiennent que les époux Y... n'ont usé d'aucune manoeuvre frauduleuse pour déterminer la décision des plaignants ; qu'ils notent qu'il n'y a pas prise de fausse qualité quand un commerçant en état de cessation des paiements fait usage de cette qualification ; qu'ils estiment que la participation d'un notaire à l'établissement d'un acte ne saurait caractériser une intervention de tiers, cet officier ministériel ne faisant que consigner les dires des parties ;
Mais attendu qu'en se prononçant ainsi par des énonciations méconnaissant les principes susrappelés la Cour d'appel, faute de mieux s'en expliquer, n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'assurer son contrôle sur la légalité de la décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la Cour d'appel de Chambéry en date du 14 février 1985, mais en ses seules dispositions relatives à l'action civile ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel de Lyon.