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12/05/1986 | FRANCE | N°84-15941;84-16157

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 12 mai 1986, 84-15941 et suivant


Vu leur connexité, joint les pourvois enregistrés sous les numéros 84-15.941 et 84-16.157, dirigés contre le même arrêt ;

Sur le moyen unique du pourvoi N°84-15.941 et la première branche du moyen unique du pourvoi N° 84-16.157 ;

Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué, que M. X... a publié aux Editions Grasset et Fasquelle un roman intitulé " Non Lieu ", relatant une enquête policière et une information judiciaire qui, à la suite de la mort violente d'une adolescente dont le corps avait été retrouvé dans un terrain vague, avaient entrainé l'inculpation d'

un notable de la ville ; que les époux Y..., se fondant sur de nombreuses simil...

Vu leur connexité, joint les pourvois enregistrés sous les numéros 84-15.941 et 84-16.157, dirigés contre le même arrêt ;

Sur le moyen unique du pourvoi N°84-15.941 et la première branche du moyen unique du pourvoi N° 84-16.157 ;

Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué, que M. X... a publié aux Editions Grasset et Fasquelle un roman intitulé " Non Lieu ", relatant une enquête policière et une information judiciaire qui, à la suite de la mort violente d'une adolescente dont le corps avait été retrouvé dans un terrain vague, avaient entrainé l'inculpation d'un notable de la ville ; que les époux Y..., se fondant sur de nombreuses similitudes existant entre les péripéties du roman et les circonstances du crime commis à Bruay en Artois sur la personne de leur fille Brigitte, ont assigné M. X... et ses éditeurs en diffamation envers la mémoire de leur fille, et subsidiairement en réparation de leur préjudice moral sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en soutenant que les tendances homosexuelles prétées à l'héroïne du roman mettaient en cause leurs sentiments paternels, l'histoire relatée ne pouvant être, dans l'esprit du public, que celle de leur propre fille ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné M. X... et ses éditeurs à réparer, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, le préjudice moral subi par les époux Y..., alors que l'auteur d'une oeuvre de fiction ne pourrait être déclaré responsable du contenu de sa création à l'égard des tiers en l'absence d'une diffamation ou d'une atteinte à la vie privée, et que la cour d'appel n'aurait pu entraver la liberté de création de l'auteur par des considérations relevant de la délicatesse morale des sentiments des parents à partir d'une évocation subjective de leur fille ;

Mais attendu que l'auteur d'une oeuvre de fiction est, même en l'absence de diffamation ou d'atteinte à la vie privée, tenu à réparer dans les termes du droit commun de l'article 1382 du Code civil le préjudice que, par sa faute, cette oeuvre a causé à des tiers ;

Attendu que l'arrêt relève que, par l'avertissement même donné par l'auteur, le lecteur sait que l'intrigue du roman a pour point de départ l'affaire de Bruay-en-Artois, malgré les précautions prises par l'auteur pour en remanier les circonstances ; qu'en particulier le lecteur ne peut qu'avoir à l'esprit l'image et le destin de Brigitte Y..., compte tenu des similitudes dans le choix du cadre du récit, des personnes en cause, de leur milieu social et du dénouement de l'enquête ; que M. X... qui aurait dû être particulièrement vigilant, avait gravement blessé la sensibilité des époux Y... en prêtant à son héroïne des tendances homosexuelles, alors surtout que des rumeurs reconnues sans fondement avaient couru sur la moralité de la victime lors de l'instruction de l'affaire ;

Que de ces énonciations, la cour d'appel, qui a retenu souverainement l'existence d'un préjudice subi par les époux Y..., a pu déduire, justifiant ainsi légalement sa décision, que M. X... avait commis une imprudence en présentant comme il l'avait fait le personnage central de son roman, et que cette faute était en relation de cause à effet avec le préjudice ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur la seconde branche du moyen unique du pourvoi n°84-16.157

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir condamné les Editions Grasset et Fasquelle à réparer le dommage des époux Y..., alors qu'il n'appartiendrait pas à l'éditeur d'intervenir dans la création littéraire, et d'attirer l'attention de l'auteur sur la prétendue nécessité de modifier l'intrigue et le comportement des personnages de son roman dans un but de moralité privée ;

Mais attendu que celui qui assure, sous une forme quelconque, la diffusion d'une oeuvre de fiction est tenu, comme l'auteur de celle-ci, de réparer dans les termes du droit commun de l'article 1382 du Code civil, le préjudice que, par sa faute, cette oeuvre a causé à des tiers ; que la cour d'appel, ayant relevé que le Editions Grasset et Fasquelle avaient accepté de publier le manuscrit sans appeler l'attention de l'auteur sur les conséquences dommageables qu'entraînerait la création du personnage central du roman sous de tels traits, a justement déduit de ces énonciations que l'éditeur avait commis une imprudence qui avait contribué à la production du dommage ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 84-15941;84-16157
Date de la décision : 12/05/1986
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASIDELICTUELLE - Faute - OEuvre littéraire - OEuvre de fiction - OEuvre portant préjudice à des tiers.

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Respect de la vie privée - Atteinte - Définition - Distinction avec la faute civile * DIFFAMATION ET INJURES - Diffamation - Définition - Distinction avec la faute civile * PRESSE - Livre - OEuvre de fiction - Responsabilité - Faute - OEuvre portant préjudice à des tiers.

1° L'auteur d'une oeuvre de fiction est, même en l'absence de diffamation ou d'atteinte à la vie privée, tenu à réparer dans les termes du droit commun de l'article 1382 du Code civil, le préjudice que, par sa faute, cette oeuvre a causé à des tiers.

2° RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASIDELICTUELLE - Faute - Presse - OEuvre littéraire - OEuvre de fiction - Diffusion - OEuvre portant préjudice à des tiers.

RADIODIFFUSION-TELEVISION - ORTF - Responsabilité - Faute - OEuvre de fiction - Diffusion - OEuvre portant préjudice à des tiers * RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASIDELICTUELLE - Faute - Editeur - Edition d'une oeuvre de fiction - OEuvre portant préjudice à des tiers - * RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASIDELICTUELLE - Faute - Presse - ORTF - Emissions télévisées - Diffusion d'une oeuvre de fiction - OEuvre portant préjudice à des tiers.

2° Celui qui assure, sous une forme quelconque, la diffusion d'une oeuvre de fiction, est tenu, comme l'auteur de celle-ci, de réparer dans les termes du droit commun de l'article 1382 du Code civil le préjudice que par sa faute, cette oeuvre a causé à des tiers.


Références :

Code civil 1382

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 04 juillet 1984


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 12 mai. 1986, pourvoi n°84-15941;84-16157, Bull. civ. 1986 II N° 79 p. 53
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1986 II N° 79 p. 53

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Aubouin
Avocat général : Avocat général :M. Charbonnier
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Dutheillet-Lamonthéz
Avocat(s) : Avocats :MM. Hennuyer, Choucroy et la Société civile professionnelle Lyon-Caen, Fabiani et Liard.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1986:84.15941
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