CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- X... Joseph,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Versailles, Chambre correctionnelle, en date du 7 mars 1985 qui, pour infraction à la législation sur les stupéfiants et pour intéressement à la fraude douanière qualifiée importation en contrebande de marchandises prohibées, l'a condamné à 4 ans d'emprisonnement, a ordonné son maintien en détention, lui a interdit définitivement le territoire français, a prononcé la confiscation du stupéfiant saisi, et sur l'action de l'administration des douanes, partie jointe, lui a infligé deux pénalités douanières de 240 000 francs chacune ;
LA COUR,
Vu les mémoire produits, tant en demande qu'en défense ;
Sur le premier moyen de cassation (sans intérêt) ;
Sur le deuxième moyen de cassation (sans intérêt) ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 509, 515 et 593 du Code de procédure pénale, de l'article 343 du Code des douanes, défaut de motifs, manque de base légale, violation de la règle du double degré de juridiction ;
" en ce que l'arrêt a condamné le demandeur à payer à l'administration des douanes une amende de 240 000 francs égale à une fois la valeur des marchandises de fraude outre la somme de 240 000 francs pour tenir lieu de confiscation des marchandises qui pourront être saisies ou détruites et a ordonné le maintien en détention de Joseph X... jusqu'au paiement des pénalités douanières dans les conditions prévues à l'article 388 du Code des douanes ;
" aux motifs que le tribunal a déclaré Joseph X... coupable du délit de contrebande de marchandises prohibées qui lui était reproché ; que cependant, il n'a pas prononcé la condamnation à l'amende douanière prévue par l'article 414 du Code des douanes bien que cet article ait été visé dans l'ordonnance de renvoi et dans la prévention rappelée en tête du jugement ; que le tribunal ne peut exonérer l'intéressé du paiement des indemnités douanières qu'en retenant l'erreur invincible ou la force majeure ; que bien que non présente à l'audience où elle n'avait pas été citée, la douane était valablement représentée par le procureur de la République en application de l'article 343 du Code des douanes ; que sur les réquisitions de celui-ci, le tribunal aurait pu prononcer l'amende douanière prévue par l'article 414 du Code des douanes ; qu'il importe de réparer cette omission, la Cour étant saisie en cause d'appel de conclusions de l'administration des douanes tendant à cette fin ;
" alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 343 du Code des douanes, l'action pour l'application des peines est exercée par le Ministère public et l'action pour l'application des sanctions fiscales est exercée par l'administration des douanes, le Ministère public ayant seulement la faculté et non l'obligation de l'exercer accessoirement à l'action publique et que d'après les propres constatations de l'arrêt, le Ministère public n'a pas exercé l'action fiscale devant les premiers juges ;
" alors, d'autre part, qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt que seuls X... et le Ministère public ont interjeté appel du jugement dans les délais légaux ; que même s'il est de principe que l'administration des douanes est admise à bénéficier du même droit d'appel que le Ministère public, elle n'a pas usé de cette faculté de sorte que ses conclusions d'appel devaient être déclarées irrecevables ; "
Attendu que l'article 343 alinéa 2 du Code des douanes permet au Ministère public d'exercer, s'il le souhaite, et accessoirement à l'action pour l'application des peines, celle destinée au prononcé des sanctions douanières ; qu'ayant usé de cette faculté en première instance et ayant fait appel de la décision rendue par les premiers juges, sans cantonner cette voie de recours à la seule action publique, les juges du second degré se trouvaient ainsi saisis et des faits de droit commun et des infractions douanières visées à l'ordonnance de renvoi ; qu'en maintenant ou aggravant les pénalités douanières prononcées et en faisant droit à l'intervention de l'administration des douanes devant la juridiction du second degré, la Cour d'appel a fait l'exacte application de la loi ;
Que dès lors le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le quatrième moyen de cassation proposé et pris de la violation des articles 3, 9, 27 et 29 du Traité de Rome du 25 mars 1957, du règlement n° 803 / 68 du conseil de la communauté économique euroépenne du 27 juin 1968 relatif à la valeur en douane des marchandises, de la directive 79 / 623 du conseil de la communauté économique européenne du 25 juin 1979 relative à l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives en matière de dette douanière, du principe communautaire suivant lequel " aucune dette douanière ne prend naissance lors de l'importation des stupéfiants qui ne font pas partie du circuit économique strictement surveillé par les autorités compétentes en vue d'une utilisation à des fins médicales et scientifiques " ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de contrebande de marchandises prohibées, l'a condamné à verser à l'administration des douanes une amende de deux cent quarante mille francs égale à la valeur de la marchandise de fraude et a prononcé son maintien en détention jusqu'au paiement des dettes douanières ;
" alors, d'une part, qu'aucune dette douanière ne prend naissance lors de l'importation des stupéfiants qui ne font pas partie du circuit économique strictement surveillé par les autorités compétentes en vue d'une utilisation à des fins médicales et scientifiques ; que ce principe général dégagé par la jurisprudence de la Cour Européenne de Justice est directement applicable dans les Etats membres ; que l'amende proportionnelle prévue par l'article 414 du Code des douanes a, selon la jurisprudence de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, un caractère en partie indemnitaire ; qu'elle est comprise entre une et trois fois la valeur de l'objet de fraude ; qu'elle constitue donc " une dette douanière " au sens du droit communautaire et qu'en conséquence l'amende de deux cent quarante mille francs prononcée à l'encontre de Joseph X... et le maintien en détention prononcé pour en garantir le paiement sont illégaux comme contraires au principe communautaire précité ;
" alors, d'autre part, que les décisions de la Cour de Cassation n'étant pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, ladite Cour de Cassation est tenue de saisir d'une question préjudicielle la Cour de Justice instituée par le Traité de Rome dès lors qu'elle estimerait que l'amende instituée par l'article 414 du Code des douanes ayant pour partie un caractère pénal serait - au moins pour partie - compatible avec le principe communautaire précité afin de permettre au juge communautaire de se prononcer sur le sens et la portée du principe qu'il a dégagé dans sa jurisprudence et de permettre au juge national d'en tirer les conséquences ; "
Attendu qu'aux termes des arrêts communautaires invoqués au moyen, s'il appert qu'aucune dette douanière ne prend naissance lors de l'importation et de la circulation de stupéfiants dans l'espace communautaire, la jurisprudence invoquée, dont le sens ne prête à aucune discussion, n'intéresse que les stupéfiants mis en libre pratique dans un pays de la C. E. E., et non ceux qui y parviennent et y circulent clandestinement ; que les arrêts invoqués spécifient par ailleurs que les Etats membres conservent leur compétence pour assortir les infractions douanières à la législation sur les stupéfiants de toutes sanctions qui leur paraissent appropriées avec " toutes conséquences que celles-ci impliquent même dans le domaine pécuniaire " ;
Qu'ainsi en sanctionnant le délit douanier dont X... Joseph a été déclaré coupable de deux pénalités fiscales de 240 000 francs chacune, conformément à l'article 414 du Code des douanes, l'arrêt attaqué n'a violé aucune disposition ou principe communautaire et qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, à saisir la Cour de Justice d'une question préjudicielle, en application de l'article 177 du Traité de Rome ;
Qu'ainsi le moyen proposé ne saurait prospérer ;
Sur le septième moyen de cassation (sans intérêt).
Mais sur le cinquième moyen de cassation proposé et pris de la violation des articles L. 627 et L. 630-1 du Code de la santé publique et de l'article 1350 du Code civil ;
" en ce que l'arrêt attaqué a prononcé contre le demandeur l'interdiction définitive du territoire français ;
" alors que l'interdiction définitive du territoire national ne peut être prononcée en application de l'article L. 630-1 que contre les étrangers ; qu'il résulte des énonciations des premiers juges qu'un juge d'instance a accordé la nationalité française à Joseph X... par décision de novembre 1982 ; que l'arrêt attaqué, tout en contestant les conditions dans lesquelles Joseph X... a obtenu la nationalité française, ne constate aucunement que cette mesure ait été rapportée ; qu'enfin la circonstance que Joseph X... ait fait l'objet le 20 décembre 1982 d'un arrêté d'expulsion dont l'exécution est impossible à l'encontre d'un citoyen français, ne permettait pas davantage à justifer la peine illégalement prononcée par l'arrêt attaqué contre Joseph X... ; "
Et sur le sixième moyen de cassation proposé et pris de la violation de l'article 427 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense ;
" en ce que pour prononcer l'interdiction définitive du territoire français à l'encontre du demandeur et décider qu'il ne justifierait pas posséder la nationalité française, l'arrêt attaqué s'est fondé sur un jugement du tribunal correctionnel de Bobigny qui aurait été rendu à l'encontre d'un greffier à qui aurait été reprochées les " conditions anormales " dans lesquelles Joseph X... aurait obtenu le certificat de nationalité française qu'il a produit ;
" alors que ce jugement n'a pas été régulièrement versé aux débats et n'a pas été discuté contradictoirement et qu'en fondant au moins partiellement leur décision sur la connaissance personnelle d'un élément de preuve qui était étranger à la cause, l'arrêt attaqué a violé l'article 427 alinéa 2 du Code de procédure pénale ; "
Les moyens étant réunis,
Vu lesdits articles, ensemble l'article 138, alinéa 2 du Code de la Nationalité ;
Attendu qu'aux termes de l'article 427 du Code de procédure pénale, le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ; que, par ailleurs, selon l'article 138 alinéa 2 du Code de la nationalité, la charge de la preuve de la nationalité devant les tribunaux judiciaires incombe à celui qui conteste la qualité de français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité délivré conformément aux articles 149 et suivants du même Code ;
Attendu qu'après s'être convaincue de la culpabilité de Joseph X... des chefs d'infraction à la législation sur les stupéfiants et pour le délit douanier d'intéressement à l'importation de marchandises de contrebande, la Cour d'appel, ayant à décider, conformément à l'article L. 630-1 du Code de la santé publique si elle devait appliquer à l'intéressé la peine complémentaire facultative de l'interdiction du territoire français, énonce, pour y répondre par l'affirmative, " que Joseph X... ne justifie pas, malgré ses dires, posséder la nationalité française puisqu'il a fait l'objet le 20 décembre 1982 d'un arrêté d'expulsion ni attaqué ni rapporté ; qu'il n'est pas possible de prendre en considération le certificat de nationalité française à lui délivré ultérieurement et daté du 13 janvier 1983 sur lequel il s'est fondé pour revendiquer la nationalité française ; qu'en effet d'un jugement du tribunal correctionnel de Bobigny du 20 décembre 1984 il apparaissait que le greffier en chef du tribunal d'instance d'Aulnay-sous-Bois avait été condamné à trois ans d'emprisonnement pour avoir remis indument des certificats de nationalité française à des ressortissants étrangers qui n'y avaient pas droit, les poursuites dont il avait été l'objet ayant été engagées en raison des conditions anormales dans lesquelles Joseph X... avait obtenu le certificat de nationalité par lui exhibé à la barre ; que d'ailleurs, bien que non définitives, des poursuites avaient aussi été engagées contre le même X... du chef d'obtention indue de documents administratifs et fourniture de faux renseignements ; "
Attendu qu'en prononçant ainsi sur la peine complémentaire encourue par Joseph X..., alors que les jugements invoqués par les juges du 2e degré n'avaient pas été versés au débat, la Cour d'appel qui a fondé sa conviction sur la connaissance personnelle d'un élément de preuve, et qui, ce faisant, a renversé le fardeau de celle-ci, n'a pas donné de base légale à cette partie de sa décision ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 7 mars 1985, mais en sa seule disposition par laquelle elle a décidé d'interdire définitivement le territoire français à Joseph X..., toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues,
Et pour être jugé à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris.