Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que la société de droit danois Friis X..., qui assurait au Danemark la distribution des pneumatiques fabriqués par la société de droit français Pneumatiques Kléber (société Kléber), a été déclarée en faillite par jugement du Tribunal maritime et commercial de Copenhague du 29 mai 1981 ; que la société Kléber, qui a produit à cette faillite étrangère, a, sur l'autorisation accordée par le Président du tribunal de grande instance, suivant ordonnance du 27 juillet 1981, fait inscrire, le 3 août 1981, une hypothèque judiciaire provisoire sur un appartement sis à Méribel-Les-Allues (Savoie), propriété de la société Friis X... ; que, le 12 août 1981, la société Friis X..., " représentée par ses syndics ", a vendu cet appartement à la société de droit danois Haerot Aps, dont le capital est entièrement détenu par la masse des créanciers de la société en faillite et dont la direction est actuellement assurée par l'un des syndics ; que l'acte authentique de vente a été publié le 24 août 1981 à la Conservation des hypothèques ; que, le 14 août 1981, la société Kléber a assigné la société Friis X... devant le tribunal de grande instance en paiement de la somme principale de 5 205 777,38 F, représentant des factures impayées de septembre 1980 à juin 1981, et en validité de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire ; que, de leur côté, les syndics de la société Friis X... ont, les 3 et 4 novembre 1981, assigné la société Kléber en exequatur du jugement déclaratif de faillite du 29 mai 1981 ; que, par jugement du 15 janvier 1982, le tribunal de grande instance a dit cette décision exécutoire en France mais, y ajoutant, a " fixé la date de cessation des paiements de la société Friis X... au 12 mai 1981, date retenue par le tribunal danois " ; que, par jugement du 5 février 1982, le même tribunal a déclaré irrecevable la demande en paiement introduite par la société Kléber et dit inopposable à la masse des créanciers de la faillite Friis X... l'inscription d'hypothèque provisoire prise, le 3 août 1981, sur l'appartement de Méribel-Les-Allues ; que l'arrêt attaqué, après avoir prononcé la jonction des instances, a confirmé ces chefs de décisions et, y ajoutant, a rejeté la demande en nullité, pour fraude à la loi, de la vente du 12 août 1981 - formée en cause d'appel par la société Kléber sans que les intimés aient soulevé son irrecevabilité - et déclaré recevable et bien fondée en son principe une demande de dommages-intérêts formulée par la société Friis X..., " représentée par ses syndics " ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Kléber fait grief à la Cour d'appel d'avoir fixé la date de cessation des paiements de la société Friis X... au 12 mai 1981, alors qu'il n'appartient pas à la juridiction saisie pour se prononcer sur l'exequatur d'une décision étrangère de faillite, de fixer la date de cessation des paiements, retiendrait-elle celle fixée par cette décision, et qu'en confirmant le jugement du 15 janvier 1982, lequel, dans un chef spécial de son dispositif distinct de celui prononçant l'exequatur du Tribunal maritime et commercial de Copenhague du 29 mai 1981, fixait la date de cessation des paiements de la société Friis X..., l'arrêt attaqué aurait violé l'article 509 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la Cour d'appel n'a pas modifié la substance de la décision étrangère soumise à l'exequatur en se bornant à constater, dans un chef spécial de son dispositif, la date de cessation des paiements retenue par la juridiction danoise, ce qui pouvait être de nature à faciliter l'exécution du jugement étranger déclarant la faillite de la société Friis X... ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Kléber fait aussi grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable son action en paiement formée contre la société Friis X..., d'avoir dit inopposable à la masse des créanciers de la faillite de cette société danoise l'inscription provisoire d'hypothèque prise le 3 août 1981 sur l'appartement de Méribel-Les-Allues et ordonné la radiation de cette inscription, alors que le jugement étranger de faillite ne produit effet en France qu'à compter du jugement d'exequatur et qu'antérieurement à cette dernière décision, les créanciers conservent leurs droits de poursuite individuelle sur les biens du débiteur situés en France, même s'ils ont produit à la faillite étrangère ; qu'en se fondant sur le jugement du Tribunal maritime et commercial de Copenhague et sur les effets que la loi danoise lui attache dès son prononcé, pour déclarer inopposable à la masse des créanciers de Friis X... une hypothèque inscrite avant la décision d'exequatur, et irrecevable l'action en paiement introduite aussi avant cette décision, la Cour d'appel a, selon le moyen, fait rétroagir le jugement d'exequatur et violé l'article 509 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que si le jugement étranger ne peut permettre de recourir en France à des mesures d'exécution avant la décision d'exequatur, rien n'empêche de prendre en considération certains effets que la loi étrangère de fond attache à la décision déclarée exécutoire en France, sous réserve de la conformité à la conception française de l'ordre public international ; que tel est le cas de l'irrecevabilité d'une demande en paiement et de l'interdiction de pratiquer des saisies et de prendre des mesures conservatoires - solutions également connues du droit français - prévues, en l'espèce, par la loi danoise régissant la faillite déclarée par le jugement du 29 mai 1981, revêtu de l'exéquatur ; que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Sur le troisième moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu qu'il est reproché à la Cour d'appel d'avoir déclaré inopposable à la masse des créanciers de la faillite Friis X... l'inscription provisoire d'hypothèque prise, le 3 août 1981, par la société Kléber sur l'appartement de Méribel-Les-Allues et d'en avoir ordonné la radiation, aux motifs, notamment, que si la lex rei sitae, invoquée par la société française, joue pour vérifier les conditions d'inscription d'une hypothèque, le problème qui se pose en l'espèce est de savoir si la sûreté prise après l'ouverture de la faillite étrangère est opposable à la masse des créanciers, sans que la régularité en la forme de l'inscription d'hypothèque soit en cause ; que cette question concerne la protection des créanciers et le respect de leur égalité et touche ainsi directement aux effets de la faillite déclarée exécutoire en France, qui relèvent de la loi du pays où elle a été prononcée ; alors, de première part, que la période suspecte s'étend entre la date de cessation des paiements et celle du jugement déclaratif de faillite ; que l'exequatur d'une décision étrangère de faillite n'a pas pour effet d'ouvrir une procédure collective en France ; que l'intervalle de temps qui sépare le jugement étranger de faillite du jugement français d'exequatur ne fait pas partie de la période suspecte ; qu'en se référant, selon le moyen, aux règles gouvernant la période suspecte pour déclarer inopposable à la masse des créanciers de Friis X... l'inscription provisoire d'hypothèque, l'arrêt attaqué a violé les articles 509 du nouveau Code de procédure civile et 29 de la loi du 13 juillet 1967 ; alors, de deuxième part, que si la loi de la faillite est, en principe, applicable pour déterminer le sort des actes accomplis pendant la période suspecte, elle doit se combiner avec la loi réelle lorsque la sécurité du crédit hypothécaire est en jeu et, spécialement, lorsque le litige porte sur la validité ou l'opposabilité d'une hypothèque ; qu'en décidant néanmoins, selon le moyen, en l'espèce, que la période suspecte était régie par la loi danoise, sans en limiter l'application à ce qui est autorisé par la loi française du lieu de situation de l'immeuble hypothéqué, la Cour d'appel a violé l'article 3, alinéa 2, du Code civil ; alors, de troisième part, qu'après avoir énoncé que la période suspecte est régie par la loi de la faillite étrangère, la juridiction d'appel serait demeurée muette sur le contenu de la loi danoise quant à l'opposabilité à la masse des actes accomplis pendant cette période, et en particulier de l'inscription provisoire d'hypothèque prise par un créancier sur un immeuble appartenant au failli, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 3 du Code civil ; alors, de quatrième part, qu'une sûreté inopposable à la masse des créanciers n'est pas nulle et conserve son efficacité à l'égard de ceux qui ne font pas partie de cette masse ; qu'en se décidant, par application des règles gouvernant la période suspecte, bien que la défenderesse à l'action en paiement fût la société Friis X... et non pas la masse de ses créanciers, et qu'en ordonnant la radiation de l'hypothèque publiée le 30 août 1981 sur l'appartement de Méribel-Les-Allues quoique, selon le moyen, son inscription pendant la période suspecte fût seulement de nature à la priver d'effet dans les rapports entre la société Kléber et la masse des créanciers de la société Friis X..., l'arrêt attaqué a violé les articles 54 et 55
du Code de procédure civile ainsi que l'article 29 de la loi du 13 juillet 1967 ; alors, enfin, que la validité et l'opposabilité de l'hypothèque prise après le jugement étranger de faillite mais avant le jugement français d'exequatur sont, selon le moyen, régies par la seule loi de situation de l'immeuble grevé ; qu'en déclarant inopposable à la masse des créanciers de la société Friis X..., par application de la loi danoise, l'inscription provisoire d'hypothèque prise par la société Kléber avant la décision d'exequatur, la juridiction d'appel a méconnu la compétence de la loi française à titre de loi de situation de l'immeuble grevé et violé l'article 3, alinéa 2, du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, que la Cour d'appel n'a pas fondé la décision critiquée sur les règles gouvernant la période suspecte ; qu'elle a déclaré l'action en paiement irrecevable et l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire inopposable à la masse des créanciers parce que l'une et l'autre se situent après le jugement danois déclaratif de faillite, ce qui ne correspond pas à la période suspecte comprise entre la cessation des paiements et ce jugement ; que le moyen manque donc en fait en ses quatre premières branches ;
Attendu, ensuite, que si l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire est régie par la lex rei sitae, cette loi doit se combiner avec celle de la faillite ; qu'en l'espèce, la juridiction du second degré a justement retenu qu'il ne s'agissait pas de vérifier les conditions d'inscription d'une hypothèque judiciaire provisoire mais d'apprécier si l'inscription prise après le jugement déclaratif de faillite était opposable à la masse des créanciers, ce qui relève de la loi de la faillite ; d'où il suit que le dernier grief n'est pas fondé et que le moyen doit être écarté ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande en paiement formée par la société Kléber contre la société Friis X..., aux motifs que l'action en paiement introduite après le jugement déclaratif pour une créance née avant le prononcé de la faillite est irrecevable selon la loi danoise, et que la société Kléber est mal fondée à invoquer une violation de l'article 14 du Code civil - dont elle n'avait d'ailleurs pas invoqué le bénéfice en première instance -, ce texte ne pouvant lui permettre d'obtenir un paiement préférentiel prohibé par la loi danoise, applicable à la faillite de la société Friis X..., déclarée exécutoire en France ; alors, d'une part, que l'article 14 du Code civil permet à tout Français de faire reconnaître ses droits par les juridictions françaises et notamment à tout créancier français d'obtenir de celles-ci la condamnation de son débiteur étranger au paiement de sa dette ; que, si l'exequatur d'un jugement étranger de faillite entraîne la suspension en France des poursuites individuelles, c'est sous la réserve que le créancier français ne soit pas privé de son juge naturel pour faire reconnaître l'existence de son droit ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel aurait violé l'article 14 du Code civil ; alors, d'autre part, que, selon l'article 563 du nouveau Code de procédure civile, les parties peuvent invoquer en appel des moyens nouveaux pour justifier les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge ; que la renonciation à un droit ne peut résulter que d'actes
manifestant sans équivoque la volonté de son titulaire d'y renoncer ; que la société Kléber pouvait donc invoquer pour la première fois en cause d'appel un moyen tiré de l'article 14 du Code civil et qu'il était donc exclu d'inférer de son silence sur cette disposition légale devant les premiers juges une renonciation à son bénéfice ; qu'en se fondant incidemment sur ce que cette société ne s'était pas prévalue de l'article 14 du Code civil en première instance, la juridiction du second degré aurait encore violé ce texte, ainsi que l'article 563 du nouveau Code de procédure civile ; alors que, enfin, lorsque le Président du tribunal de grande instance a autorisé un créancier à prendre une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire sur un immeuble situé en France, les tribunaux français sont nécessairement compétents pour statuer sur l'instance au fond engagée conformément à l'ordonnance du Président, sans que ce chef de compétence puisse être tenu en échec par une loi étrangère qui réserverait au juge étranger de la faillite la connaissance des demandes en paiement formées contre le débiteur ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel aurait violé l'article 44 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la juridiction française n'a pas décliné sa compétence, laquelle n'est d'ailleurs que facultative pour statuer sur l'instance au fond engagée à la suite d'une ordonnance ayant autorisé une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur un immeuble situé en France, mais a déclaré la demande en paiement irrecevable par application de la loi danoise de fond compétente ; que le moyen est donc inopérant en ses trois branches ;
Sur le cinquième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu qu'il est encore fait grief à la Cour d'appel d'avoir refusé de prononcer la nullité de la vente de l'appartement de Méribel-Les-Allues, consentie le 12 août 1981 par les syndics de la société Friis X... à la société Haerot Aps, aux motifs que la vente litigieuse n'a pas eu pour résultat de distraire l'appartement du gage de ses créanciers, que la société Kléber ne démontre pas le caractère frauduleux de la vente et que, devant elle-même percevoir une fraction du prix lorsqu'il pourra être réparti entre les créanciers, elle ne justifie ni d'un préjudice découlant pour elle de la vente, ni d'un intérêt légitime à en demander la nullité, alors, d'une part, que le débiteur n'est pas dessaisi de ses biens situés en France tant que le jugement étranger de faillite n'a pas été revêtu de l'exequatur ; que la vente litigieuse a été consentie par les syndics de la société Friis X... le 12 août 1981, soit avant la décision d'exequatur ; qu'en affirmant la validité d'une vente conclue par des personnes dépourvues de tout pouvoir d'aliénation, la Cour d'appel aurait violé les articles 509 du nouveau Code de procédure civile et 1582 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en s'abstenant de rechercher, comme l'y invitaient les conclusions, si la vente de l'appartement de Méribel à une société entièrement contrôlée par la masse de la faillite Friis X..., n'avait pas été conclue afin de faire échec au droit de poursuite individuelle dont jouissent les créanciers sur les biens situés en France avant la décision d'exequatur, et spécialement aux poursuites de la société Kléber, ce qui aurait été de nature à conférer à celle-ci l'intérêt requis pour solliciter l'annulation de la vente, la juridiction du
second degré aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article 509 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, que la société Kléber n'a pas invoqué à l'appui de sa demande en nullité de la vente de l'appartement de Méribel-Les-Allues, le défaut de pouvoir des syndics, mais seulement la fraude qui consisterait à " faire échec aux droits et prérogatives dont les créanciers jouissent en France à l'égard de leurs débiteurs étrangers " ; que, pris en sa première branche, le moyen est donc nouveau, mélangé de fait et de droit et, par suite, irrecevable ;
Attendu, ensuite, dès lors que la Cour d'appel s'est expliquée sur la fraude alléguée pour retenir qu'elle n'était pas démontrée, il importe peu qu'elle ait ajouté, à titre surabondant, que la société Kléber n'avait pas un intérêt légitime à demander la nullité de la vente ;
Que le moyen ne peut donc être accueilli en aucune de ses branches ;
Rejette les cinq premiers moyens ;
Mais, sur le sixième moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 32-1 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à des dommages-intérêts ;
Attendu que l'arrêt attaqué a condamné la société Kléber à payer la somme de 187 537 F, à titre de dommages-intérêts, aux motifs " qu'il n'est pas contestable que les actions intentées par cette société, le maintien de l'inscription d'hypothèque grevant l'appartement, ont retardé la revente de celui-ci et la distribution du prix entre les créanciers, que ces agissements déclarés mal fondés par le présent arrêt ont eu le caractère d'une faute qui a causé un préjudice incontestable à la masse des créanciers de la faillite de la société Friis X... ", et encore au motif " qu'il apparaît que les actions injustifiées de la société Kléber ont eu pour effet de retarder d'un temps qui peut être fixé à deux ans le moment où la masse des créanciers disposera du prix de l'immeuble " ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser la faute qui a entraîné le retard préjudiciable à la masse des créanciers, alors qu'avant la décision d'exequatur du jugement étranger de faillite, la société débitrice n'était pas dessaisie de ses biens situés en France et que les créanciers français conservaient le droit d'exercer des poursuites individuelles sur ces biens, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche de ce moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Kléber à payer la somme de 187 537 F, à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 24 avril 1984, entre les parties, par la Cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Grenoble