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17/11/1976 | FRANCE | N°75-40564

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 17 novembre 1976, 75-40564


Sur les premier, deuxième et quatrième moyens réunis, pris de la violation des articles L. 122 et suivants du Code du travail, de la convention collective des employés des cabinets d'architecte, de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 et des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile, dénaturation de la lettre du 17 septembre 1974 défaut de motifs et manque de base légale ;

Attendu que l'architecte Lizero, chargé d'édifier l'ensemble immobilier Cannes-Marina à Mandelieu, a, le 17 février 1974, à l'occasion d'un avenant au contrat le liant à ses promoteurs, a

ffecté, en principe exclusivement, à la réalisation d'une des tranc...

Sur les premier, deuxième et quatrième moyens réunis, pris de la violation des articles L. 122 et suivants du Code du travail, de la convention collective des employés des cabinets d'architecte, de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 et des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile, dénaturation de la lettre du 17 septembre 1974 défaut de motifs et manque de base légale ;

Attendu que l'architecte Lizero, chargé d'édifier l'ensemble immobilier Cannes-Marina à Mandelieu, a, le 17 février 1974, à l'occasion d'un avenant au contrat le liant à ses promoteurs, affecté, en principe exclusivement, à la réalisation d'une des tranches de ce programme dénommée "l'Islette du Riou", Barreth, attaché comme dessinateur-projeteur à son cabinet depuis 1968 et comme architecte chef d'agence depuis le1er janvier 1971, que, des sondages ayant révélé peu après que le sol où devaient s'élever les immeubles était hétérogène et compressible et plusieurs types de fondations ayant été envisagés, Lizero fixa son choix, malgré l'avis de Barreth, sur le procédé dit de "vibro-compaction" qui, nouveau et peu connu en France, n'y avait pas encore été agréé par le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, puis ordonna, le 9 avril, le commencement des travaux ; que simultanément, cependant, étaient consultées par Lizero ou Barreth, outre l'entrepreneur, les firmes spécialisées Solessai et Soletanche, la Société de Contrôle Technique et d'Expertise de la Construction (SOCO-TEC), bureau de contrôle, et, sur la garantie d'une couverture éventuelle, la Mutuelle d'assurances des architectes de France ; que, sans renoncer à ses objections et à ses critiques, Barreth suggérait alors des aménagements propres à pallier les conséquences des tassements prévisibles du terrain et les consignait en détail dans un rapport daté du 4 juin 1974 qu'il remettait à Lizero et que celui-ci communiquait aussitôt, ou sans en avoir supprimé les conclusions dont il désapprouvait le pessimisme excessif, au maître de l'ouvrage, à l'entrepreneur età la SOCO-TEC ; que le 12 celle-ci donnait finalement son accord au projet de fondation retenu ; que, quelques mois plus tard , la Mutuelle, sous réserve d'une augmentation de la franchise, assurait Lizero de sa garantie; qu'entre temps Barreth, qui avait eu connaissance d'une lettre, datée du 13 septembre, que son employeur avait adressée ou se proposait d'adresser aux promoteurs pour leur annoncer l'achèvement d'une partie des fondations, lui écrivait le 17 septembre pour critiquer son attitude et conclure en ces termes : "Dans ces conditions je ne puis, en conscience, continuer à assurer la tâche que vous m'avez confiée pour ce chantier" ; qu'un entretien s'ensuivit au cours duquel Lizero chercha sans succès à faire revenir Barreth sur sa décision, puis lui offrit un délai de réflexion de trois jours au terme duquel l'intéressé, qui n'avait pas changé d'avis, demanda quand il devait quitter son emploi et s'entendit répondre : "tout de suite" ; qu'il quitta alors le cabinet et assigna son employeur en paiement, notamment, des indemnités de rupture et de l'indemnité spéciale prévue par l'article L. 122-14-4 (première partie du premier alinéa) du Code du travail dans le cas d'inobservation de la procédure légale de licenciement ;

Attendu qu'il fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de ces demandes aux motifs que son refus de continuer à s'occuper du chantier de "l'Islette du Riou" était dépourvu de tout fondement objectif et ne saurait en particulier trouver sa justification dans une faute de l'employeur, qu'elle constituait une démission et que celle-ci, concernant toutes les fonctions qu'il pouvait avoir dans le cabinet Lizero, excluait l'éventualité d'un préavis, alors qu'il résultait des propres constatations de l'arrêt que c'était par le fait et par la faute de son employeur que, "mû par des motifs subjectifs louables", Barreth s'était trouvé en conscience, acculé à ce refus, que la position qu'il avait prise n'était pas seulement dictée par des préoccupations d'ordre moral mais par des obligations d'ordre professionnel impérieuses en raison du comportement que lui imposait, objectivement, son éthique d'architecte, responsable de la solidité des immeubles en cause, et que le système de fondation retenue ne permettait pas de se prémunir contre un phénomène théorique mal maîtrisé, comme l'a confirmé un rapport de la SOCOTEC du 2 décembre 1974, visé dans ses conclusions d'appel ; qu'en conséquence, et alors même qu'elle a été matérialisée par une manifestation de volonté du salarié, c'est à l'employeur qu'incombe la responsabilité de la rupture, puisque le comportement de Barreth a répondu à une obligation de conscience professionnelle correspondant à la clause de conscience d'un journaliste et sous entendue dans le contrat d'engagement d'un architecte, alors, en outre, que la Cour d'appel ne pouvait, sans contradiction, décider que Barreth avait démissionné de l'ensemble de ses fonctions, dès lors qu'elle constatait, d'une part qu'il n'avait demandé à être déchargé de sa tâche que "pour ce chantier", d'autre part qu'il avait d'autres activités importantes au sein du cabinet, les dix-sept projets conçus et suivis par lui représentant les deux tiers de l'activité des trois cabinets de Lizero alors, enfin que ce dernier l'avait invité à cesser immédiatement ses fonctions, l'empêchant ainsi d'exécuter le préavis auquel il avait droit ;

Mais attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt que, tout en critiquant le recours à la "vibro-compaction", Barreth avait, dans son rapport du 4 juin 1974, préconisé des aménagements propres à pallier les insuffisances qu'il lui prêtait, et qu'il n'établissait, ni que la réalisation des fondations par ce procédé, finalement approuvée sans réserve par la SOCOTEC et admise par la Mutuelle dans sa garantie, dût, ou dangereuse, ou contraire aux règles de l'art, ni que, à la date du 17 septembre 1974, où la construction proprement dite n'était pas encore commencée, Lizero fût décidé à ne tenir compte, ni de ses suggestions, ni des observations de la SOCOTEC ; que l'arrêt relève, en outre, que Barreth était le seul architecte du cabinet Lizero et que l'opération "l'Islette du Riou" à laquelle il devait, suivant l'accord passé avec les promoteurs, se consacrer exclusivement, y constituait, en fait sa principale activité ;

Qu'en l'état de ces constatations, et dès lors que la clause de conscience prévue par la loi au profit des journalistes ne saurait, en l'absence de toute disposition légale, être étendue aux architectes, ni, à défaut de stipulation même implicite en ce sens, être considérée comme contenue dans le contrat de travail de Barreth, la Cour d'appel a pu estimer que ce dernier, salarié de Lizero, ne pouvait lui imposer ses conceptions personnelles ni se refuser valablement à exécuter le travail qui lui avait été confié et dont la réalisation ne s'avérait ni dangereuse, ni contraire aux règles de l'art que son refus, à la date où il l'avait exprimé, était dépourvu de tout fondement objectif et ne pouvait en particulier se rattacher à une faute quelconque de l'employeur qui l'entraînat nécessairement ; qu'il constituait donc une démission et que, compte tenu du service principal auquel il était affecté et dont il avait demandé à Lizero de le décharger, cette démission avec effet immédiat concernant l'ensemble des fonctions qu'il exerçait chez ce dernier et comportait le refus par lui d'exécuter le délai-congé ; que les juges du fond, dont les constatations de fait et l'interprétation des conventions des parties ne peuvent être remises en cause devant la Cour de Cassation, ont ainsi donné une base légale à leur décision refusant à Barreth les indemnités de rupture qu'il sollicitait ;

Et sur le troisième moyen, pris de la violation des articles 1134 du Code civil, 7 de la loi du 20 avril 1810 et 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que Barreth demandait qu'une expertise soit ordonnée à l'effet de déterminer le montant de sa participation, fixée en dernier lieu à 20 %, sur les recettes nettes du cabinet Lizero en rapport avec les travaux qu'il avait personnellement exécutés et par suite sur les recettes y afférentes encaissées après son départ dudit cabinet ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir été débouté de cette demande au motif que la preuve n'était pas faite que l'employeur se soit engagé à continuer à lui servir la participation litigieuse sur les honoraires encaissés après la rupture de son contrat de travail, alors que tout salaire est la rémunération d'un travail, de sorte que c'est la date à laquelle les travaux ont été effectués et non celle à laquelle les honoraires sont perçus par l'employeur qui, seule, détermine le droit à la participation convenue, alors, d'autre part, que l'arrêt omet totalement de s'expliquer sur le bien-fondé de la recherche, qui faisait l'objet du 2° chef de la mission donnée à l'expert, des commissions dues à la date du départ, et alors qu'enfin la Cour n'a pu statuer comme elle l'a fait, relativement au refus de l'expertise sur les commissions encore dues à Barreth, qu'en faisant abstraction des justifications produits par ce dernier, et en lui attribuant des conclusions qui étaient celles de son adversaire ;

Mais attendu qu'il n'est pas contesté que Barreth, qui travaillait comme dessinateur-projeteur au service du cabinet Lizero en est devenu chef d'agence à compter du 1er janvier 1971 et a perçu au moins depuis cette date un pourcentage sur les recettes que la Cour d'appel, après avoir estimé qu'il serait surprenant que les travaux de Barreth aient donné lieu aussitôt à encaissement d'honoraires, a pu en déduire que n'était pas pertinente la prétention de l'intéressé selon laquelle sa participation était basée sur les honoraires afférents aux seuls projets ou chantiers dont il avait spécialement la charge et ont apprécié l'opportunité d'ordonner une mesure d'instruction ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Et attendu qu'aucun des moyens n'est accueilli ; PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 16 mai 1975 par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 75-40564
Date de la décision : 17/11/1976
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Analyses

1) CONTRAT DE TRAVAIL - Rupture par le salarié - Démission - Cause - Clause de conscience - Architecte salarié (non).

ARCHITECTE - Cabinet d'architecte - Architecte salarié - Clause de conscience - Bénéfice (non) - * CONTRAT DE TRAVAIL - Rupture par le salarié - Démission - Effet - * CONTRAT DE TRAVAIL - Rupture par le salarié - Démission - Refus de continuer à effectuer sa tâche principale - Architecte salarié d'un autre architecte.

La clause de conscience, prévue par la loi au profit des journalistes, ne saurait, en l'absence de toute disposition légale, être étendue aux architectes ni, à défaut de stipulation même implicite en ce sens, être considérée comme contenue dans le contrat de travail d'un architecte salarié. Il en résulte que ce dernier ne peut imposer à son employeur lui-même architecte, ses conceptions personnelles, ni se refuser valablement à exécuter le travail qui lui a été confié et dont la réalisation ne s'avère ni dangereuse, ni contraire aux règles de l'art. Lorsqu'il est en désaccord avec lui sur l'opportunité de faire application d'une technique nouvelle et qu'il refuse de contribuer à sa mise en oeuvre alors que, à la date où il l'exprime son refus est dépourvu de tout fondement objectif et ne peut en particulier se rattacher à une faute quelconque de l'employeur qui l'entrainât nécessairement, la rupture du contrat de travail procède d'une démission du salarié et, compte tenu de ce que le service dont il a demandé à être déchargé constitue sa tâche principale, cette démission avec effet immédiat concerne l'ensemble des fonctions qu'il exerçait dans le cabinet d'architecte, et comporte le refus d'exécuter le préavis.

2) CONTRAT DE TRAVAIL - Salaire - Pourcentage sur le chiffre d'affaires - Calcul - Assiette - Architecte salarié d'un autre architecte.

ARCHITECTE - Cabinet d'architecte - Contrat de travail - Salaire - Rémunération par un pourcentage - Base de calcul.

Le salarié, qui travaillait comme dessinateur projeteur dans un cabinet d'architecte puis y est devenu chef d'agence et qui percevait, au moins depuis cette dernière affectation, un pourcentage sur les recettes ne peut prétendre que sa participation était basée sur les honoraires afférents aux seuls projets ou chantiers dont il avait personnellement la charge.


Références :

Code civil 1134
Code du travail L122 S.

Décision attaquée : Cour d'appel Aix-en-Provence (Chambre 9 ), 16 mai 1975


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 17 nov. 1976, pourvoi n°75-40564, Bull. civ. des arrêts Cour de Cassation Soc. N. 590 P. 480
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles des arrêts Cour de Cassation Soc. N. 590 P. 480

Composition du Tribunal
Président : PDT M. Laroque
Avocat général : AV.GEN. M. Orvain
Rapporteur ?: RPR M. Fonade
Avocat(s) : Demandeur AV. M. Chareyre

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1976:75.40564
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