Sur les trois moyens réunis :
Attendu que l'arrêt attaqué fixe à 900000 francs l'indemnité d'éviction due à la Société Rouff Paris, à la suite du refus de renouvellement de son bail portant sur des locaux commerciaux sis ... appartenant à la Société Esso Standard ; qu'il est reproché à la Cour d'appel d'en avoir ainsi décidé, au motif que le fonds de commerce n'ayant pas disparu, il n'y avait lieu de rechercher ni la valeur totale de ce fonds, ni celle de chacun de ses éléments pris isolément, alors, qu'aux termes de l'article 8 du décret du 30 septembre 1953, l'indemnité d'éviction, égale au préjudice causé au locataire par le défaut de renouvellement, comprend notamment la valeur marchande du fonds, sauf la faculté pour le propriétaire de faire la preuve que le préjudice est moindre, et que les juges du second degré auraient dû déterminer cette valeur marchande en réservant aux bailleurs la faculté d'établir que certains éléments n'avaient pas disparu et que le préjudice était inférieur à ladite valeur ; qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir refusé d'allouer une indemnité au moins égale à la valeur du droit au bail, élément de la valeur marchande du fonds, au motif qu'une telle indemnité dépasserait le préjudice réel causé par l'éviction, alors que le preneur évincé a droit à une indemnité égale à la somme des valeurs de tous les éléments corporels et incorporels du fond dont il se trouve privé, "et ceci indépendamment de l'usage qui est fait desdits éléments", et qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel, qui a reconnu que la valeur du droit au bail était, en l'espèce, très élevée, s'est selon le pourvoi, contredite et a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations ; qu'il est enfin soutenu que l'arrêt omet de répondre au chef clair et précis des conclusions de la Société Rouff Paris invoquant la valeur particulière du droit au bail du fait de ses possibilités de libre-cession indépendantes du fonds ;
Mais attendu que l'arrêt relève que la Société Rouff Paris a réinstallé son commerce dans d'autres locaux, que le fonds de commerce n'a pas disparu, que grâce à sa réputation et au fait qu'elle travaille principalement sur commande, ladite Société a conservé une bonne partie de sa clientèle et qu'elle reconnaît que la valeur de son entreprise a, comme éléments essentiels, sa marque, son classement - Arts et Créations - sa collection de dessins et
modèles ; qu'en constatant, en conséquence, que la valeur très élevée du droit au bail dépassait le préjudice réellement causé par le défaut de renouvellement, la Cour d'appel, sans se contredire et sans violer l'article 8 du décret du 30 décembre 1953, a exprimé que la Société propriétaire avait prouvé que ce préjudice était inférieur à la valeur marchande du fonds, et, dès lors, a pu admettre qu'il n'y avait pas lieu de rechercher, en l'espèce, la valeur totale de ce fonds, ni de chacun de ses éléments pris isolément ; que les juges du second degré ont souverainement apprécié l'entier préjudice éprouvé par la locataire évincée, et ont répondu à tous les moyens articulés dans les conclusions de cette dernière ;
D'où il suit que les moyens ne peuvent être retenus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 23 décembre 1965 par la Cour d'appel d'Amiens.