Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société "Les Editions de Paris", conjointement et solidairement, avec les héritiers de X... (Philippe) à payer à la dame Y... (Jean), une somme de 250000 francs, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le mari de celle-ci, du fait d'imputations diffamatoires contre lui dirigées, et contenues dans une brochure, éditée en mars 1942, par ladite société ; qu'il est soutenu qu'en matière de diffamation, l'initiative de l'action civile appartient exclusivement à la personne diffamée, et qu'en conséquence, d'une part, aucune autorisation de justice ne pouvait habiliter la dame Y... (Jean), du vivant de son mari, ou, en tout cas, avant que le décès de celui-ci fût judiciairement déclaré, à exercer cette action en ses lieu et place, que d'autre part, lorsque le décès de Y... (Jean) fut officiellement constaté, une telle action ne pouvait être ni reprise, ni engagée par sa veuve et ses héritiers, qui n'avaient pu en recueillir le bénéfice dans le patrimoine du défunt ;
Mais attendu que toute personne, victime d'un dommage, quelle qu'en soit la nature, a le droit d'en obtenir réparation de celui qui l'a causé par sa faute ; que si, en matière de diffamation, lorsque celle-ci vise un particulier, l'action publique ne peut être mise en mouvement que sur la plainte de la partie lésée, l'action civile en réparation du dommage causé par la diffamation, dont l'exercice n'est pas nécessairement lié à la mise en mouvement de l'action publique, naît dans le patrimoine de la personne diffamée et, si celle-ci s'est trouvée dans l'impossibilité de l'exercer de son vivant, se transmet à ses héritiers, dès lors que le défunt n'a accompli, avant de mourir, aucun acte impliquant renonciation de sa part ;
Attendu que des qualités et des motifs de l'arrêt confirmatif attaqué, il résulte que, dans l'incertitude où elle se trouvait, à l'époque de la libération du territoire, sur le sort de son mari, alors détenu en vertu d'une condamnation à la déportation proconcée contre lui par le Tribunal Militaire de Clermont-Ferrand, le 4 octobre 1940, la dame Y... (Jean) a obtenu, par un jugement du Tribunal Civil de la Seine, en date du 9 mars 1945, conformément aux dispositions de l'article 219 du Code Civil, l'autorisation de représenter son mari dans l'exercice des pouvoirs que lui attribuait le régime matrimonial sous lequel ils étaient unis, et notamment dans ceux découlant des articles 1421 et 1428 dudit Code ; qu'en constatant qu'ainsi habilitée, la dame Y... (Jean) avait qualité pour exercer l'action en réparation du dommage causé à son époux par les diffamations dont celui-ci avait été l'objet ; en observant que ce dernier s'était trouvé en raison de sa détention dans l'impossibilité d'intenter, de son vivant, cette action, à laquelle, loin de renoncer, il comptait recourir pour obtenir justice dès qu'aurait cessé le régime d'oppression qui l'écrasait ; en décidant, enfin, qu'une fois constaté le décès de Y... (Jean), cette action avait pu être valablement reprise par sa veuve et ses héritiers, personnifiés par ses deux enfants mineurs, l'arrêt attaqué, qui est motivé, et a répondu aux conclusions des parties, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le premier moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen :
Attendu que le pourvoi reproche à la Cour d'Appel d'avoir reconnu la validité, et par suite le caractère interruptif de la prescription, de plusieurs actes de procédure signifiés par la Dame Y... (Jean), postérieurement au jugement déclaratif de décès de son mari et antérieurement à sa propre reprise d'instance, alors que ces actes émanant d'une personne sans titre ni qualité, étaient nuls et ne pouvaient produire aucun effet ;
Mais attendu que l'arrêt attaqué constate que si, effectivement, dans les actes d'avoué à avoué incriminés, la dame Y... (Jean) a continué à être appelée épouse, et non pas veuve, "cette erreur est indifférente", n'ayant pu tromper les défendeurs sur l'identité de la demanderesse qui, épouse ou veuve, avait également qualité pour agir, et dont la demande, depuis comme avant le décès, avait pour objet la réparation d'un préjudice éprouvé par Y... (Jean) lui-même ; qu'en décidant ainsi, la Cour d'Appel a implicitement, mais nécessairement admis que l'instance commencée par la Dame Y... (Jean) n'avait pu être interrompue par le décès de son mari, constaté judiciairement après l'exploit introductif, ce en quoi elle a strictement observé et appliqué les dispositions de l'article 344 du Code de Procédure Civile ; d'où il suit que le second moyen n'est pas mieux fondé que le premier ;
Par ces motifs :
Rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 21 décembre 1949, par la Cour d'Appel de Paris.