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17/06/1954 | FRANCE | N°JURITEXT000007053849

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 juin 1954, JURITEXT000007053849


CASSATION sur le pourvoi de Vigne (Gustave), contre un arrêt de la Cour d'Appel de Montpellier du 26 juin 1952 qui l'a condamné à trois mois d'emprisonnement et 50000 francs d'amende, ainsi qu'à des réparations civiles, pour un délit de fraudes alimentaires.

LA COUR,

Sur le rapport de M. le conseiller Patin, les observations de Me Lecesne, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Lebègue ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen, pris de la violation des articles 1er et suivants de la loi du 1er août 1905 et 7 de la loi du 20 avri

l 1810, pour défaut de motifs et manque de base légale, et dénaturation des élémen...

CASSATION sur le pourvoi de Vigne (Gustave), contre un arrêt de la Cour d'Appel de Montpellier du 26 juin 1952 qui l'a condamné à trois mois d'emprisonnement et 50000 francs d'amende, ainsi qu'à des réparations civiles, pour un délit de fraudes alimentaires.

LA COUR,

Sur le rapport de M. le conseiller Patin, les observations de Me Lecesne, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Lebègue ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen, pris de la violation des articles 1er et suivants de la loi du 1er août 1905 et 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut de motifs et manque de base légale, et dénaturation des éléments de la cause, ainsi que de l'article 1351 du Code Civil, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré par des motifs propres ainsi que par adoption des motifs des premiers juges, Vigne (Gustave) coupable d'infraction à la loi du 1er août 1905, et en déclarant qu'il résulte d'un supplément d'information ordonné par arrêt de la Cour du 22 janvier 1952 que les faits reprochés à Vigne seraient établis, mais alors cependant qu'en l'absence de toute précision sur lesdits faits, la Cour de Cassation est absolument hors d'état d'exercer son contrôle sur l'existence des éléments constitutifs de l'infraction, et sur la légitimité de la condamnation prononcée ;

Attendu que le jugement constate que Vigne, boucher à Castanet-le-Bas, a acheté à un prix modique une vache qu'il savait tuberculeuse, et qu'après l'avoir abattue sans la soumettre à l'examen du service vétérinaire, il en a livré en partie la viande à la consommation ; qu'il connaissait si bien l'état de cet animal qu'il a tenté, en invoquant les difficultés qu'il aurait à en vendre les morceaux, d'obtenir de son vendeur un rabais sur le prix convenu ;

Attendu qu'en cause d'appel, Vigne, revenant sur ses aveux antérieurs, a tenté de soutenir qu'il avait bien présenté l'animal abattu au vétérinaire inspecteur, qui l'aurait reconnu sain ; que la Cour d'Appel, tout en constatant que ce moyen de défense était nouveau, et que d'ailleurs le certificat produit par Vigne paraissait s'appliquer à une autre bête, a cependant ordonné sur ce point un supplément d'information, et qu'enfin, au résultat de ces vérifications complémentaires, elle a déclaré que les faits reprochés à Vigne étaient entièrement établis et que la décision des premiers juges, exactement motivée, devait être confirmée ;

Attendu qu'en cet état les juges du fond ont caractérisé en tous points et par des motifs suffisants le délit de fraudes alimentaires retenu contre le demandeur par la prévention, et que par suite le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris de la violation des articles 1er et suivants, 3, 7 et suivants de la loi du 1er août 1905, 1er et suivants du décret du 22 janvier 1919, 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut de motifs et manque de base légale, dénaturation des éléments de la cause, violation des règles de preuve et des droits de la défense, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Vigne coupable d'infraction à la loi du 1er août 1905 comme ayant, d'après les motifs du jugement confirmé sur le principe de la culpabilité, mis en vente une vache qu'il savait tuberculeuse, l'ayant abattue lui-même, mais alors cependant qu'il n'appartenait pas aux juges du fond d'affirmer que la viande était impropre à la consommation, et que le délit était constant, en l'absence de la procédure de saisie et prélèvement d'échantillon et analyse prescrite par le décret du 22 janvier 1919, de telle sorte qu'en l'absence d'une procédure d'information conforme à la loi, relativement à la constatation matérielle de l'infraction, la Cour de Cassation n'est pas en mesure d'exercer son contrôle sur le fondement juridique de la culpabilité du prévenu ;

Attendu que les articles 11 et 12 de la loi du 1er août 1905 ne prescrivent pas les prélèvements d'échantillons et leur expertise contradictoire comme le mode de preuve du délit, à l'exclusion des autres preuves du droit commun ;

Que par suite le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le troisième moyen, pris de la violation des articles 1er et suivants, 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut de motifs et manque de base légale, contradiction de motifs, contradiction entre les motifs et le dispositif, contradiction entre le jugement de première instance et l'arrêt entrepris, ensemble violation des articles 182 et 203 du Code d'Instruction Criminelle, en ce que l'arrêt attaqué a successivement confirmé sur les mesures de publicité ordonnées à titre de réparation envers la partie civile, le jugement attaqué, lequel n'avait condamné Vigne qu'à deux mois d'emprisonnement, 20000 francs d'amende, 30000 francs de dommages-intérêts envers la partie civile, le tout sans interdiction de l'exercice du commerce, et émendant pour le surplus, a condamné Vigne à trois mois d'emprisonnement, 50000 francs d'amende, avec interdiction pendant cinq ans de l'exercice de la profession et affichage desdites condamnations, mais alors cependant et d'une part qu'il n'appartenait pas à la Cour d'Appel d'ordonner la publication de la condamnation au profit de la partie civile, cette mesure de publicité étant à titre accessoire réservée à l'action publique, et alors que d'autre part l'affichage de la condamnation majorée prononcé par l'arrêt entrepris est contradictoire avec la publicité maintenue, par confirmation expresse du jugement, au bénéfice de la partie civile, de la condamnation inférieure prononcée par le jugement, et qu'en l'état de cette contradiction, l'arrêt est entaché d'un défaut de base légale mettant obstacle au contrôle de la Cour de Cassation, et alors que, enfin, la loi ne permet pas à la fois la publication du jugement de première instance et celle de l'arrêt de la Cour d'Appel ;

Attendu qu'indépendamment des condamnations prononcées au profit de la partie civile, dont le mérite sera examiné sur le cinquième moyen, l'arrêt attaqué, après avoir confirmé le jugement sur la déclaration de culpabilité, élève les peines prononcées à trois mois d'emprisonnement et 50000 francs d'amende, et ordonne en outre l'affichage d'un extrait de l'arrêt à la porte du domicile du prévenu, en fixant les dimensions de l'affiche et ses caractères typographiques, ainsi que le coût que ne devra pas dépasser cette publication ;

Qu'à cet égard, la Cour d'Appel a fait au prévenu une exacte application des dispositions des articles 1er, 3 et 7 de la loi du 1er août 1905, et que, par suite, le dispositif de l'arrêt en ce qui touche l'action publique, échappe aux griefs formulés dans le moyen ;

Sur le quatrième moyen, pris de la violation des articles 1er et suivants, 4 et suivants de la loi du 30 août 1947, 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a dit qu'il sera interdit au prévenu d'exercer sa profession pendant une durée de cinq ans conformément aux termes de la loi du 30 août 1947, mais alors et d'une part, que ladite interdiction ne saurait, en tant qu'éventuelle, puisque subordonnée au caractère définitif de la condamnation principale, être prononcée concurremment avec celle-ci, et qu'elle doit faire l'objet d'un jugement ultérieur et distinct, et d'autre part que l'interdiction d'exercer la profession n'est prévue que dans un délai de trois mois à compter du jour où la décision est devenue définitive, et qu'en l'espèce la Cour d'Appel s'est abstenue de fixer le point de départ de l'interdiction et le délai à partir duquel elle sera exécutoire, de telle sorte que la mesure infligée manque de base légale ;

Attendu qu'en l'espèce l'interdiction pour le demandeur de continuer l'exercice de sa profession résulte de droit de la condamnation prononcée, ainsi qu'en dispose l'article 1er paragraphe 3 de la loi du 30 août 1947, et devient exécutoire, dans les termes de l'article 4 de ladite loi, dans les trois mois du jour où cette condamnation prend un caractère définitif ;

Que la Cour d'Appel avait seulement, comme elle l'a fait, à fixer la durée de cette interdiction ;

Que par suite le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le cinquième moyen, pris de la violation des articles 6 par. 4 de l'ordonnance du 3 mars 1945, 1382, du Code Civil, 1 et suivants de la loi du 1er août 1905, 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut de motifs et manque de base légale, et dénaturation des éléments légaux de la cause, en ce que l'arrêt attaqué a, par confirmation du dispositif du jugement de première instance, et en considérant comme recevable la constitution de partie civile de l'Union départementale des associations familiales, condamné X... Gustave comme étant coupable d'infraction à la loi du 1er août 1905, à 30000 francs de dommages et intérêts, avec autorisation pour celle-ci de faire, aux frais du prévenu, une insertion dans 3 journaux, et cela à raison d'une prétendue atteinte à ses intérêts, matériels et moraux, alors qu'en statuant ainsi la Cour d'Appel n'a pas légalement justifié sa décision, étant donné que ni les constatations de l'arrêt, ni les éléments légaux de la cause, n'établissent des faits autorisant, et à raison d'une atteinte aux intérêts moraux et matériels des familles, l'Union départementale des associations familiales à exercer en l'espèce les droits réservés à la partie civile ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que tout arrêt ou jugement doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que l'arrêt attaqué constate seulement que Vigne a mis en vente des quartiers d'une vache impropre à la consommation, et que, pour admettre l'intervention de l'Union des associations familiales de l'Hérault, qui s'était constituée partie civile, il se borne à déclarer que ce délit portait incontestablement, atteinte à l'intérêt collectif des familles, les familles ayant intérêt, pour la sauvegarder de la santé publique, à ne voir livrer à la consommation que des viandes reconnues fraîches et saines par un contrôleur régulier et officiel ;

Mais attendu que la santé publique est placée sous la sauvegarde du ministère public, que si l'article 6 de l'ordonnance du 3 mars 1945, par dérogation aux principes généraux de l'instruction criminelle, d'après lesquels seul un préjudice directement causé par l'infraction donne ouverture, devant les Tribunaux répressifs à l'action civile, admet les Unions d'associations familiales à poursuivre le préjudice même indirect causé par une infraction aux intérêts matériels et moraux des familles, c'est à la condition que le préjudice ainsi invoqué soit distinct du préjudice social dont le ministère public poursuit la réparation.

Que dès lors, en s'abstenant de rechercher dans quelles conditions la viande impropre à la consommation avait été livrée au public, et les circonstances établissant qu'un trouble en était résulté ou avait pu en résulter pour les familles ou certaines d'entre elles, la Cour d'Appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement à l'égard des intérêts civils, l'arrêt de la Cour d'Appel de Montpellier du 27 juin 1952, toutes les dispositions de l'arrêt statuant sur l'action publique étant expressément maintenues, et renvoie la cause et les parties devant la Cour d'Appel de Nîmes.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : JURITEXT000007053849
Date de la décision : 17/06/1954
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1) FRAUDES ET FALSIFICATIONS - Preuve du délit - Expertise contradictoire - Mode unique de preuve (non).

L'expertise contradictoire édictée par la loi du 1er août 1905 n'exclut pas les autres modes de preuve admis par la loi.

2) LIBERTE DU COMMERCE - Incapacité d'exercer le commerce - Loi du 30 août 1947 - Fixation de la durée de l'incapacité.

D'après l'article 1er, alinéa 3 de la loi du 30 août 1947, une condamnation à trois mois d'emprisonnement pour une délit de fraude emporte de droit interdiction d'exercer la profession et la Cour d'Appel n'a d'autre rôle que de fixer la durée de cette interdiction.

3) ASSOCIATIONS FAMILIALES (ORDONNANCE DU 3 MARS 1945) - Action civile - Délits portant atteinte à la santé publique - Constatations insuffisantes.

La simple circonstance qu'un délit porte ou peut porter atteinte à la santé publique ne suffit pas à justifier l'intervention de l'Union des Associations familiales.


Références :

LOI du 01 août 1905
LOI du 30 août 1947 ART. 1 AL. 3
Ordonnance du 03 mars 1945

Décision attaquée : Cour d'appel Montpellier, 26 juin 1952


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 17 jui. 1954, pourvoi n°JURITEXT000007053849, Bull. crim. des arrêts Cour de Cassation Crim. N. 224
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle des arrêts Cour de Cassation Crim. N. 224

Composition du Tribunal
Président : Pdt M. Battestini
Avocat général : Av.Gén. M. Lebègue
Rapporteur ?: Rpr M. Patin
Avocat(s) : Av. Demandeur : M. Lecesne

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1954:JURITEXT000007053849
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