REJET des pourvois formés tant par le Procureur Général près la Cour d'Appel de Montpellier que par Calas (Raoul), contre un arrêt de cette Cour en date du 6 février 1953 qui dans les poursuites exercées contre ledit prévenu, ainsi que contre Turrière (Emile) et Gravie (Louis), pour participation à l'organisation d'une manifestation non autorisée, participation à un attroupement non armé et provocation à l'attroupement, a condamné Calas à deux mois d'emprisonnement avec sursis et 20000 Francs d'amende et ordonné la relaxe de Turrière et de Gravie.
LA COUR,
Sur le rapport de Monsieur le conseiller Patin, les observations de Me Mayer, avocat en la Cour, et les conclusions de Monsieur l'avocat général Dorel ;
Vu la connexité joignant les pourvois ;
Vu la requête du Procureur général et les mémoires de la défense ;
Sur le moyen proposé par le Procureur Général et pris de la violation des articles 4 du décret du 23 octobre 1935, et 7 de la loi du 20 avril 1810, en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Turrière et Gravie de la prévention d'avoir participé à l'organisation d'une manifestation interdite, alors que la preuve de leur culpabilité résultait des éléments de la procédure, et qu'ils avaient d'ailleurs pris la parole au cours de la manifestation dont s'agit ;
Attendu que l'arrêt constate que si Turrière et Gravie ont pris la parole au cours d'une réunion non autorisée qui eut lieu le 23 mars 1952 à Montpellier sur la place de la mairie, aucun élément de la procédure cependant ne permet d'affirmer qu'ils aient pris une part quelconque à l'organisation de cette réunion, et notamment à la distribution de convocations ou aux appels effectués par la voie de la presse qui l'ont précédée ;
Qu'en l'état de ces constatations souveraines, les juges du fond ont relaxé légalement les prévenus de la prévention contre eux relevée de ce chef, la disposition de l'alinéa 2 de l'article 4 du décret du 23 octobre 1935 punissant seulement ceux qui ont participé à l'organisation d'une réunion non autorisée ;
Sur le moyen proposé, par Calas, et pris de la violation des mêmes articles, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, dénaturation des pièces de la procédure, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de participation à l'organisation d'une manifestation non déclarée, alors qu'il ne résulte pas des constatations dudit arrêt que le demandeur ait été l'instigateur de cette manifestation ;
Attendu que l'arrêt énonce que Calas a pris une part active aux préparatifs de la réunion non autorisée qui fait l'objet de la poursuite ; qu'il résulte de ses propres déclarations, ultérieurement publiées dans un journal, qu'il en a été l'instigateur, que c'est sur son initiative, ses suggestions, et ses instructions, et à la suite de son appel inséré dans une édition spéciale de "La Voix de la Patrie", que la manifestation a été décidée ; qu'il en a été légalement l'animateur, tant par le discours qu'il y a prononcé que par la place de choix qu'il a occupée dans le cortège qui s'est ensuite formé ; que de toute cette activité découle la preuve de son rôle prépondérant, tant dans le déroulement de la réunion, que dans son organisation, à laquelle il a manifestement participé ;
Qu'ainsi, par des motifs suffisants, la Cour d'Appel a légalement déclaré ce prévenu coupable du délit prévu par l'article 4, alinéa 2 du décret du 23 octobre 1935 ;
Sur le moyen proposé par le Procureur Général, et pris de la violation de l'article 6 de la loi du 7 juin 1848 et de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810, en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Turrière et Gravie de la prévention de provocation à un attroupement par des motifs insuffisants ou contradictoires ;
Attendu que l'arrêt constate expressément qu'aucun discours prononcé publiquement ni aucun écrit de la nature de ceux prévus par l'article 6 de la loi du 7 juin 1848 n'a pu être relevé à la charge de Turrière ou de Gravie, qui puisse constituer une provocation quelconque à l'attroupement ;
Que cette constatation souveraine échappe au contrôle de la Cour de Cassation ;
Sur le moyen proposé par le Procureur Général et pris de la violation de l'article 6 de la loi du 7 juin 1848 en ce que la Cour d'Appel a seulement déclaré Calas coupable d'une provocation non suivie d'effet à l'attroupement, alors qu'il s'agissait d'une provocation suivie d'effet, dans les termes du premier alinéa de l'article 6, et qu'une peine plus grave était dès lors applicable ;
Attendu que la provocation suivie d'effet, prévue par l'alinéa 1er de l'article 6 de la loi du 7 juin 1848, est seulement celle qui a abouti à un rassemblement criminel ou délictueux ; que lorsque la provocation n'a amené, comme dans l'espèce, qu'un attroupement qui, à aucune de ses phases n'est devenu délictueux, soit qu'il se soit dispersé à la première sommation, soit qu'il n'ait pas été légalement invité à se disperser, elle est et ne peut être incriminée que comme une provocation non suivie d'effet, au même titre que celle qui n'a amené personne au lieu désigné ;
Qu'ainsi, en décidant que la peine encourue par Calas était celle prévue par le troisième alinéa de l'article 6 de la loi du 7 juin 1848, pour le cas où la provocation n'a pas été suivie d'effet, et non celle édictée par le 1er alinéa du même article, la Cour d'Appel a fait une exacte application de ces dispositions ;
Sur le moyen pris par Calas de la violation des mêmes articles, défaut et contradiction de motifs, dénaturation, manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de provocation non suivie d'effet à un attroupement, alors que la provocation, pour être punissable doit être directe, et que ce caractère ne ressort pas des constatations de l'arrêt attaqué ;
Attendu qu'il n'échet de statuer sur ce moyen, d'après les articles 411 et 414 du Code d'Instruction Criminelle, la peine édictée par le troisième alinéa de l'article 6 de la loi du 7 juin 1848 étant inférieure à celle attachée par la loi au délit d'organisation d'une réunion non autorisée, dont le demandeur a été régulièrement reconnu coupable ;
Sur le moyen pris par le Procureur Général de la violation de l'article 5, alinéa 2 de la loi du 7 juin 1848 en ce que l'arrêt attaqué a relaxé les trois prévenus de la prévention de participation à un attroupement non armé, par le motif que la dispersion de l'attroupement n'avait pas été précédée des sommations légales, alors que l'attroupement n'avait pu être dissipé que par la force ;
Attendu que la seconde disposition de l'article 5 de la loi du 7 juin 1848, se réfère nécessairement aux dispositions de l'article 3 de la même loi, et n'édicte de peine en conséquence, à l'encontre des personnes qui ont pris part à un attroupement non armé, que dans le cas où, les sommations légales étant demeurées sans résultat, l'attroupement n'a pu être dissipé que par la force ;
Qu'ainsi la Cour, ayant constaté que l'attroupement avait été dispersé sans que les sommations légales aient été effectuées, ne pouvait prononcer aucune peine contre les prévenus, encore bien que cette dispersion n'ait pu être obtenue que par la force ;
Sur le moyen pris par le Procureur Général de la violation des dispositions de la loi du 22 juillet 1867 ce que la Cour d'Appel n'a pas prononcé, contre Calas, la contrainte par corps ;
Attendu qu'il ne saurait être fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir pas ordonné contre Calas l'application de la contrainte par corps ;
Qu'en effet, d'après l'article 19 de la loi du 24 mai 1926 modifiée par celle du 30 décembre 1948, la contrainte par corps ne peut jamais être prononcée en matière de contravention, délit ou crime politique, et que tel était le cas de l'espèce ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois du Procureur Général et de Calas ;
Condamne Calas à l'amende et aux dépens.