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03/08/1950 | FRANCE | N°JURITEXT000007053845

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 03 août 1950, JURITEXT000007053845


CASSATION sur le pourvoi de Graff, détenu, d'une part, de Blaeschke, Boehme, Daab, Degenhardt, Frenzel, Lenz, Nobbe, Pfeufer, détenus, et Busch, Daul, Elsaesser, Grienenberger, Lohner, Hoehlinger, Niess, Prestel, Spaeth et Weber, en liberté provisoire, d'autre part, contre deux arrêts de la Cour d'Appel de Bordeaux, Chambre des Mises en accusation, du 16 février 1950, les renvoyant devant le Tribunal Militaire permanent de Bordeaux sous l'accusation d'assassinats, pillages, incendies volontaires, association de malfaiteurs et complicité.

LA COUR,

Sur le rapport de Monsieur

le conseiller Patin, les observations de Maîtres Tétreau, Landouz...

CASSATION sur le pourvoi de Graff, détenu, d'une part, de Blaeschke, Boehme, Daab, Degenhardt, Frenzel, Lenz, Nobbe, Pfeufer, détenus, et Busch, Daul, Elsaesser, Grienenberger, Lohner, Hoehlinger, Niess, Prestel, Spaeth et Weber, en liberté provisoire, d'autre part, contre deux arrêts de la Cour d'Appel de Bordeaux, Chambre des Mises en accusation, du 16 février 1950, les renvoyant devant le Tribunal Militaire permanent de Bordeaux sous l'accusation d'assassinats, pillages, incendies volontaires, association de malfaiteurs et complicité.

LA COUR,

Sur le rapport de Monsieur le conseiller Patin, les observations de Maîtres Tétreau, Landouzy, Hersant, Defrenois, avocats en la Cour, et les conclusions de Messieurs les avocats généraux Laurens et Dorel ;

Vu la connexité joignant les pourvois et les causes ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le moyen pris par Blaeschke, Boehme, Daab, Degenhardt, Frenzel, Lenz, Nobbe, Pfeufer, ainsi que Graff, Hoehlinger et Spaeth, de la violation et fausse application des articles 2 du Code Civil, 4 du Code Pénal, 26 de la constitution du 27 octobre 1946, de l'acte diplomatique dit statut de Londres et de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 pour défaut de motifs et manque de base légale, en ce que, sans apprécier les charges qui pouvaient personnellement peser sur chacun des accusés, l'arrêt attaqué les a renvoyés devant le Tribunal Militaire sous les accusations criminelles qu'il énonce et par application de la loi du 15 septembre 1948, alors que, ce texte étant en conflit avec le statut de Londres, convention diplomatique qui lie la France, la prépondérance devait, pour résoudre le conflit, être donnée à la loi internationale qui, posant en principe le respect des droits de l'homme, d'ailleurs inscrit dans la loi française, exige la recherche des preuves qui pèsent sur chacun et n'admet ni la rétroactivité d'un texte répressif, ni la culpabilité collective ;

Attendu qu'il appartient à la Nation française, en suite des déclarations des Gouvernements alliés des 25 novembre 1941, 13 janvier 1942 et 30 décembre 1943, qui ont fait du châtiment des crimes de guerre un des buts essentiels de la guerre, d'assurer par ses tribunaux et selon les règles de son droit la répression de ceux de ces crimes qui ont été commis soit sur le territoire français, soit à l'encontre des nationaux ou protégés français ; que l'ordonnance du 28 août 1944, qui a établi les modalités de cette répression, sans d'ailleurs contrevenir à aucune disposition du droit international, est l'expression de la volonté souveraine du législateur français ; qu'il en est de même de la loi du 15 septembre 1948, qui complète cette ordonnance, et dont l'article premier, visant le cas d'un crime imputable à l'action collective de certaines formations ennemies, permet au juge, sans d'ailleurs le lier, et en lui laissant le soin de se décider d'après son intime conviction, de déclarer co-auteur du crime chacun des membres de la formation, s'il ne justifie pas de son incorporation forcée et de sa non-participation au crime ; qu'il est vainement prétendu que certains éléments de cette incrimination seraient en opposition avec les principes généraux du droit français concernant la responsabilité individuelle, la charge de la preuve ou la rétroactivité des lois ; qu'en effet, les juges n'ont pas à apprécier, sous ces rapports, la valeur d'un texte régulièrement délibéré par les assemblées législatives et promulgué par le pouvoir exécutif ; qu'on ne saurait davantage soutenir que ladite disposition serait sous les mêmes rapports en conflit avec l'accord de Londres du 8 août 1945 ou avec le jugement du Tribunal Militaire International de Nuremberg qui en a été la suite ; qu'en effet, ni cet accord, ni ce jugement ne règlent la poursuite des crimes de guerre commis sur le territoire français ou à l'encontre des nationaux et protégés français, tels qu'ils sont visés par l'ordonnance du 28 août 1944 et la loi du 15 septembre 1948, et qu'au contraire l'accord de Londres spécifie, tant dans son préambule que dans son article 6, que les officiers et soldats allemands, et les membres du parti nazi, responsables d'atrocités et de crimes, doivent être renvoyés dans les pays où leurs forfaits ont été perpétrés, afin qu'ils puissent être jugés et punis conformément aux lois de ces pays libérés et des Gouvernements libres qui y sont établis ;

Attendu dès lors, que si un prétendu conflit peut être invoqué entre ces documents du droit international et l'article premier de la loi du 15 septembre 1948, c'est seulement dans la mesure où cet article, qui ne vise pas toutes les formations ennemies à l'action collective desquelles un crime sera imputable mais uniquement celles "faisant partie d'une des organisations déclarées criminelles par le Tribunal Militaire International de Nuremberg" fait ainsi état, à ce point de vue, des déclarations de criminalité prononcées par cette juridiction ;

Attendu, à cet égard, que les articles 9 et 10 de l'accord de Londres donnaient mission au Tribunal Militaire International qu'il instituait, à l'occasion des procès qui devaient être intentés devant lui contre les dirigeants du Reich, d'apprécier et de déclarer, s'il y avait lieu, le caractère criminel des organisations auxquelles les accusés avaient appartenu, cette déclaration devant être tenue pour définitive et ne pouvant plus être ultérieurement discutée ;

Que, par là, le Tribunal de Nuremberg se trouvait chargé de définir les éléments essentiels du crime d'appartenance à une organisation criminelle, "à raison duquel des poursuites devaient être ultérieurement exercées devant les tribunaux compétents contre les membres de telles organisations" ;

Attendu que le Tribunal Militaire International de Nuremberg, guidé par le légitime souci que les déclarations collectives de criminalité qu'il avait à prononcer ne donnent lieu à des poursuites abusives, en raison d'une adhésion de forme, inconsciente ou forcée, à une de ces organisations, bien qu'il eût d'ailleurs admis qu'il n'y avait pas lieu, pour lui "d'hésiter à déclarer criminelles" les organisations accusées, "sous le prétexte que la théorie de la criminalité d'un groupe serait nouvelle", a cependant entendu préserver ceux des adhérents à ces organisations "qui n'ont pas eu connaissance des buts ou des actes criminels" de ces groupements, ou qui "ont été mobilisés par l'Etat pour en faire partie, à moins que, dans ce dernier cas, ils aient été personnellement impliqués, en qualité de membres de l'organisation, dans la perpétration d'actes criminels" ;

Qu'à cet égard il a, en règle générale, seulement déclaré pour chacune des organisations dont la mise en accusation lui a paru justifiée, telle celle des "SS", la criminalité du "groupe" composé des membres de ces organisations "qui en étaient devenus ou restés membres en sachant qu'elles étaient utilisées pour commettre des crimes", ou qui "avaient personnellement, comme membres de ces organisations, participé à ces crimes" ;

Attendu toutefois que ces formules, quelles que soient les réserves qu'elles expriment en faveur de ceux des adhérents aux organisations accusées qui étaient de bonne foi, en vue de les exempter de poursuites du seul fait de cette adhésion, impliquent nécessairement la reconnaissance de la criminalité des organisations qu'elles visent ; qu'en effet, le Tribunal Militaire International n'a pu déclarer la criminalité du groupe composé des membres d'une organisation qui "avaient eu connaissance des buts criminels et des actes criminels de cette organisation" ou qui avaient "pris part aux actes criminels" à la perpétration desquels "elle était utilisée", sans déclarer par là même, sous les réserves qu'il formulait, la criminalité de l'organisation elle-même ;

Attendu qu'il suit de là qu'en incriminant l'action collective de formations "faisant partie d'organisations déclarées criminelles par le Tribunal Militaire International de Nuremberg", le législateur français, qui d'ailleurs, dans la détermination qu'il a souverainement faite des éléments de l'incrimination, a tenu compte des réserves, exprimées par ledit tribunal, n'a pas dénaturé les déclarations de criminalité exprimées par ce tribunal, et ne s'est pas mis en conflit avec les conclusions formulées dans son jugement ;

Que dès lors la loi du 15 septembre 1948 s'impose aux juges et doit être appliquée ;

Sur le moyen pris par Blaeschke, Boehme, Daab, Degenhardt, Frenzel, Lenz, Nobbe, Pfeufer et Graff de la violation des articles 24 et 40 du Code de Justice militaire, 7 de la loi du 20 avril 1810 pour défaut de motifs et manque de base légale, en ce que la Chambre d'Accusation a, par l'arrêt attaqué, déclaré qu'il y avait lieu à accusation contre les demandeurs et les a renvoyés devant le Tribunal Militaire de Bordeaux pour y être jugés conformément à la loi, en retenant notamment contre eux leur appartenance à des éléments du régiment "der Führer" de la Division "das Reich" dont l'action collective a permis les crimes poursuivis, et par suite et en application de la loi du 15 septembre 1948, leur qualité de co-auteurs desdits crimes, alors que l'ordre d'informer sur les crimes en cause ne mentionnait pas exactement les faits d'appartenance auxdites formations militaires réputées criminelles, ni ne vise la loi du 15 septembre 1948, mais seulement l'ordonnance du 28 août 1944 ;

Attendu que d'après les articles 68 du Code de Justice Militaire et 231 du Code d'Instruction Criminelle, les Chambres d'Accusation sont tenues de statuer, à l'égard de chacun des prévenus renvoyés devant elles, sur tous les chefs de crimes, délits ou contraventions résultant de la procédure ;

Que dès lors la Chambre d'Accusation avait le droit et le devoir de constater que l'ensemble indivisible de crimes à raison duquel il avait été informé était imputable à l'action collective de la formation à laquelle les prévenus appartenaient, et par suite de les accuser en application de l'article premier de la loi du 15 septembre 1948, quand bien même cet article de loi n'aurait pas été visé dans les ordres d'informer ;

Que d'ailleurs, si l'article 24 du Code de Justice Militaire prévoit à peine de nullité qu'aucune poursuite ne peut avoir lieu devant la juridiction militaire que sur un ordre d'informer délivré par le Général commandant la Circonscription, l'article 40 du même Code se borne à préciser que l'ordre d'informer mentionne et qualifie les faits sur lesquels doit porter la poursuite, sans que l'insertion de ces diverses mentions soit prescrite à peine de nullité ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen pris par Graff de la violation et fausse application des articles 1er et 3 de la loi du 15 septembre 1948, 5 de la loi du 29 juillet 1949, 4 du Code Pénal, du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale, de la chose jugée, et de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a ordonné la mise en accusation de Graff, devant le Tribunal Militaire, pour crimes de guerre, alors que les mêmes faits avaient déjà donné lieu à des poursuites contre le demandeur, à un arrêt de règlement de juges du 24 décembre 1947 déclarant le Tribunal Militaire de Bordeaux incompétent pour en connaître et en renvoyant l'examen à la Cour de Justice de Toulouse, la question de compétence étant définitivement tranchée, et à un arrêt du 5 mars 1948 de la Cour de Justice de Toulouse ordonnant un supplément d'information, en sorte que l'arrêt attaqué ne pouvait ordonner le renvoi de Graff devant le Tribunal Militaire de Bordeaux sans violer la chose jugée par la Cour de Cassation et méconnaître les conséquences de l'arrêt de la Cour de Justice de Toulouse ordonnant un supplément d'information ;

Attendu que Graff a été d'abord poursuivi devant la Cour de Justice de Limoges qui l'a condamné à la peine de mort, le 12 mars 1946, pour trahison et assassinat ; que cet arrêt a été cassé par la Chambre d'Accusation de Limoges, le 22 mars 1946 par le motif que la qualité de militaire de l'accusé le rendait justiciable des juridictions militaires ; que, d'autre part, par ordonnance du 16 mai 1947, le juge d'instruction militaire de Bordeaux s'est déclaré incompétent par le motif que Graff était mineur de 18 ans ; que la Cour de Cassation, réglant de juges, a renvoyé l'inculpé par arrêt du 24 décembre 1947 devant la Cour de Justice de Toulouse ; qu'enfin cette Cour, après avoir ordonné, le 5 mars 1948, un supplément d'information, s'est dessaisie, le 18 octobre 1949, en faveur du Tribunal Militaire de Bordeaux, par application de l'article 3 de la loi du 15 septembre 1948, aux termes duquel, nonobstant toutes dispositions contraires, les individus non visés à l'article 1er de l'ordonnance du 28 août 1944 qui sont personnellement co-auteurs ou complices d'un crime de guerre ou d'un crime connexe peuvent être compris dans les poursuites engagées devant le Tribunal Militaire, lorsque l'instance est contradictoire à l'égard d'un au moins des accusés ;

Attendu qu'en cet état, la Chambre d'Accusation, en renvoyant Graff devant le Tribunal Militaire, n'a commis aucune violation des articles de loi visés au moyen ; Qu'en effet, l'arrêt de règlement de juges du 24 décembre 1947 statuait seulement en l'état du procès et de la législation à la date où il était rendu ;

Que, d'autre part, les lois modificatives de la compétence, comme c'est le cas de l'article 3 de la loi du 15 septembre 1948, s'appliquent immédiatement aux procès déjà en cours aussi bien qu'aux procès à naître ; que s'il est vrai que cette règle trouve une exception lorsqu'il est déjà intervenu une décision sur le fond, tel n'est pas le cas de l'espèce ; qu'en effet, la décision rendue sur le fond le 12 mars 1946 par la Cour de Justice de Limoges a été annulée, et qu'on ne saurait considérer comme telle la décision de la Cour de Justice de Toulouse du 5 mars 1948 ordonnant un supplément d'information ;

Attendu enfin que la loi du 24 juillet 1949 ne concerne que les affaires dont la Cour de Justice est compétemment saisie et est sans application dans la cause ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le moyen pris par Grienenberger, de la violation du principe de la chose jugée, en ce qu'il avait déjà fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu rendue le 17 août 1948 pour les mêmes faits ;

Attendu que la poursuite exercée contre le demandeur et close par une ordonnance de non-lieu en date du 17 août 1948 avait été engagée sous l'inculpation de port d'armes contre la France, infraction constituant le crime de trahison prévu par l'article 75 du Code Pénal ;

Que ces poursuites étaient juridiquement distinctes des poursuites actuelles, par lesquelles il est reproché au demandeur d'avoir commis des crimes d'assassinat, actes de barbarie, incendie volontaire et pillage en bande et à force ouverte, prévus et réprimés par les articles 296 et suivants, 434, 440, 303, 59 et 60 du Code Pénal, et par l'Ordonnance du 28 août 1944 ;

Qu'il suit de là qu'il ne saurait y avoir lieu en l'espèce à l'application de l'exception de chose jugée, la règle non bis in idem ne pouvant être invoquée que lorsque le fait sur lequel est fondée la seconde poursuite est identique dans ses éléments tant légaux que matériels avec celui qui a motivé la première poursuite ;

Qu'ainsi le moyen ne saurait être admis ;

Sur le moyen pris par Graff et Hoehlinger de la violation des articles 2 du Code de Justice Militaire modifié par l'ordonnance du 2 février 1945, 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut et contradiction de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé les demandeurs devant le Tribunal Militaire bien qu'ils fussent mineurs de 18 ans à la date des faits, par le motif qu'ils étaient militaires d'un Etat ennemi, alors que leur incorporation forcée dans l'armée allemande, constatée par l'arrêt attaqué, ne pouvait permettre de leur attribuer la qualité de militaires d'un Etat ennemi au sens de l'article 2 du Code de Justice Militaire, de sorte qu'ils n'étaient pas justiciables du Tribunal Militaire ;

Attendu que l'article 3 de la loi du 15 septembre 1948 permet de comprendre dans les poursuites engagées devant le Tribunal Militaire les individus non visés à l'article premier de l'ordonnance du 28 août 1944 qui sont personnellement co-auteurs ou complices d'un crime de guerre ou d'un crime connexe, lorsque l'instance est contradictoire à l'égard d'un au moins des autres accusés, et ce, nonobstant toute disposition contraire ;

Que dès lors, nonobstant la disposition de l'article premier de l'ordonnance du 2 février 1945, la Chambre d'accusation, abstraction faite de tout motif erroné ou surabondant, a légalement renvoyé les demandeurs, qui, en raison de leur nationalité française, n'étaient pas visés par l'article premier de l'ordonnance du 28 août 1944, devant la juridiction militaire, pour y être jugés comme co-auteurs ou complices d'autres accusés, à l'égard desquels l'instance est contradictoire ;

Que par suite le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur les moyens réunis pris par Hoehlinger et Spaeth, de la violation des articles 24 et 40 du Code de Justice Militaire, 1 à 3 de la loi du 15 septembre 1948, 60 du Code Pénal, 7 de la loi du 20 avril 1810, défauts, contradiction de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé les demandeurs devant le Tribunal Militaire par application de la loi du 5 septembre 1948 sous l'accusation de complicité des crimes d'assassinat, actes de barbarie, incendies volontaires et pillages commis le 10 juin 1944, à Oradour, pour avoir, avec connaissance, aidé ou assisté les auteurs de ces crimes dans les faits qui les ont préparés ou facilités ou dans ceux qui les ont consommés, en faisant état de ce que ces crimes sont imputables à l'action collective de formations faisant partie d'une organisation déclarée criminelle, et de ce que, par application de la loi du 15 septembre 1948, tous les individus appartenant à ces formations peuvent être considérés comme co-auteurs, à moins qu'ils n'apportent la preuve de leur incorporation forcée et de leur non-participation au crime, preuve qui, d'après l'arrêt attaqué, ne résulte pas des éléments recueillis au cours de l'information, alors que l'ordre d'informer sur les crimes en cause, en date du 25 février 1949, qui concerne les demandeurs, ne vise pas la loi du 15 septembre 1948, mais seulement l'ordonnance du 28 août 1944, en vertu de laquelle les demandeurs étant Français, ne pouvaient être poursuivis que s'ils étaient personnellement co-auteurs ou complices desdits crimes ; que, n'étant considérés que comme des complices, l'article 1er de la loi du 15 septembre 1948 qui ne vise que les co-auteurs ne leur était pas applicable et qu'ils n'avaient donc pas à faire la double preuve de leur incorporation forcée et de leur non-participation au crime, exigée, par ce texte, des co-auteurs pour échapper aux poursuites, que d'ailleurs, l'arrêt attaqué n'établit pas et dément au contraire par ses énonciations qu'ils aient agi avec connaissance et qu'ils aient personnellement aidé ou assisté les auteurs des crimes susvisés, et qu'enfin l'arrêt attaqué, en admettant expressément la preuve de leur incorporation forcée, ce qui leur évite toute inculpation d'association de malfaiteurs, a reconnu par là même que leur appartenance à la formation criminelle ne leur était pas imputable, ce qui devait leur éviter toute poursuite pour complicité personnelle des crimes commis par cette formation ;

Attendu qu'il résulte de l'exposé des faits contenus dans l'arrêt attaqué que les demandeurs auraient surveillé les issues du bourg d'Oradour-sur-Glane à l'effet d'empêcher les habitants de ce village de s'échapper, pendant que le reste de la formation procédait au massacre de la population, au pillage, et à la destruction par le feu de ce bourg ;

Attendu que ces faits, d'ailleurs à tort considérés comme des actes de complicité, constituaient une participation personnelle et directe aux crimes visés par la prévention ;

Que dès lors Roehlinger et Spaeth, membres de la formation appartenant à l'organisation réputée criminelle, à l'action collective de laquelle ces crimes étaient imputables, devaient être accusés d'après les articles articles 1er et 3 de la loi du 15 septembre 1948, comme étant co-auteurs de ces crimes, puisque, si leur incorporation dans ladite organisation n'était pas volontaire, ils n'apportaient pas la preuve de leur non participation à ces crimes ;

Que par suite le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le moyen pris d'office en faveur de Grienenberger, Hoehlinger, Daul, Busch, Loehner, Niess, Prestel, Spaeth, Weber, Elsaesser et Graff de la violation de l'article 1er de la loi du 15 septembre 1948 et des droits de la défense ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que si l'article 1er de la loi du 15 septembre 1948 permet d'imputer à tous les membres d'une formation ennemie un crime de guerre dû à l'action collective de cette formation, alors que cette formation faisait partie d'une organisation déclarée criminelle par le Tribunal Militaire International de Nuremberg, il excepte cependant ceux de ces individus qui apportent la double preuve de leur incorporation forcée et de leur non-participation au crime ;

Que cette disposition implique dès lors, pour les juridictions d'instruction, l'obligation de faire expressément connaître aux inculpés le droit qu'elle leur reconnaît de débattre cette preuve, et de leur donner à la fois le temps et les moyens d'en rassembler s'il y a lieu, les éléments ;

Attendu qu'en l'espèce, le juge d'instruction s'est exactement conformé à ces prescriptions à l'égard de certains des demandeurs, mais qu'au contraire Grienenberger, Hoehlinger, Daul, Busch, Lohner, Niess, Prestel, Spaeth, Weber, Elsaesser et Graff n'ont reçu aucun avertissement de cette nature ;

Que si dès lors, ainsi qu'il l'a été précisé, la Chambre d'accusation avait le droit et le devoir d'après les articles 58 du Code de Justice Militaire et 231 du Code d'Instruction Criminelle, de relever à l'encontre de ces prévenus, comme elle l'a fait, les circonstances qui permettaient de les accuser comme co-auteurs de l'ensemble indivisible des crimes imputables à la formation dont ils faisaient partie, il lui appartenait, avant de les mettre en accusation de ce chef, de réparer, sur ce point, les lacunes de l'instruction, par le moyen d'un supplément d'information ;

Que faute de ce faire, elle a violé l'article de loi susvisé ainsi que les droits de la défense ;

Et sur le moyen pris d'office, à l'égard de tous les demandeurs, de la violation des articles 68 du Code de Justice Militaire, 231 du Code d'Instruction Criminelle, 1 et 3 de la loi du 15 septembre 1948 ;

Vu lesdits articles :

Attendu que l'article 1er de la loi du 15 septembre 1948 permet au juge militaire de déclarer co-auteurs d'un crime ou d'un ensemble indivisible de crimes imputables à l'action collective d'une formation faisant partie d'une organisation déclarée criminelle par le tribunal militaire international de Nuremberg, tous les individus ayant appartenu à cette formation, s'ils n'apportent pas la preuve de leur incorporation forcée et de leur non-participation au crime ;

Que par suite lorsque, comme dans l'espèce, la Chambre d'Accusation constate qu'un crime ou un ensemble de crimes a été accompli dans de telles conditions, il lui appartient essentiellement d'accuser chacun des prévenus d'avoir appartenu à la formation incriminée, sans pouvoir justifier à la fois de son incorporation forcée et de sa non-participation au crime, et d'en être ainsi l'un des acteurs ;

Attendu, d'autre part, que l'article 1er de la loi du 15 septembre 1948 n'est pas exclusif d'une reconnaissance de culpabilité dans les termes du droit commun, lorsqu'il existe des charges suffisantes à l'égard des prévenus, ou de certains d'entre eux, d'avoir pris une part part personnelle et directe au crime ou à l'un ou plusieurs des crimes compris dans l'ensemble indivisible ;

Que dès lors la Chambre d'Accusation est tenue de relever les charges individuelles résultant de l'information à l'égard de ces prévenus et de les accuser sous ce rapport, en conformité du droit commun, par des chefs distincts, sans qu'il en puisse d'ailleurs résulter aucune contradiction ;

Attendu que le dispositif de l'arrêt de renvoi n'a pas opéré les distinctions résultant de ces principes, et qu'au contraire il a confondu sous une même incrimination les chefs d'accusation dérivant tant du droit commun que de l'application de la loi du 15 septembre 1978 déclarant même que l'application éventuelle de cette loi serait tenue pour une circonstance aggravante ; Qu'ainsi il y a eu violation des articles de loi susvisés ;

Par ces motifs ;

CASSE et ANNULE à l'égard de tous les demandeurs les deux arrêts de la Chambre d'Accusation de Bordeaux du 16 février 1950, renvoie la cause et les parties devant la Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel de Paris composée conformément aux dispositions de l'article 68 du Code de Justice Militaire ;

Et pour le cas où ladite Cour déclarerait qu'il existe des charges suffisantes qu'il y a lieu à accusation contre les demandeurs ou certains d'entre eux, ordonne dès à présent que les accusés seront renvoyés par elle devant le Tribunal Militaire de Bordeaux, composé conformément aux dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 28 août 1944.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : JURITEXT000007053845
Date de la décision : 03/08/1950
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

I) CRIMES DE GUERRE - Loi du 15 septembre 1948 - article premier - Absence de conflit entre ledit article - l'accord de Londres du 8 août 1945 et le jugement du tribunal militaire international de Nuremberg.

La répression des crimes de guerre est assurée par les tribunaux du pays qui en a été victime, selon les règles de son droit. La loi du 15 septembre 1948 dans son article premier n'est pas en conflit avec l'accord de Londres du 8 août 1945 et le jugement du Tribunal Militaire International de Nuremberg, ni avec aucune autre disposition du droit international.

II) JUSTICE MILITAIRE - Crimes de guerre - Chambre d'accusation - Article 68 du code de justice militaire - Droit pour la Chambre d'Accusation de relever d'office un chef d'accusation résultant de la procédure bien que non visé dans l'ordre d'informer - Application en ce qui concerne la loi du 15 septembre 1948.

Aux termes des articles 68 du Code de Justice Militaire et 231 du Code d'Instruction Criminelle, la Chambre d'Accusation a le droit et le devoir de statuer sur tous les chefs de crimes, délits ou contraventions résultant de la procédure. En matière de crimes de guerre, la Chambre d'Accusation peut, dès lors, accuser les prévenus d'après la loi du 15 septembre 1948, même si cette loi n'a pas été visée dans les ordres d'informer.

III) CHOSE JUGEE - Lois modificatives de la compétence - Application immédiate s'il n'est pas intervenu de jugement sur le fond.

Les lois modificatives de la compétence s'appliquent immédiatement s'il n'est pas intervenu de jugement sur le fond, et ce, alors même qu'il aurait déjà été réglé de juges.

IV) CHOSE JUGEE - Règle "non bis in idem" - Absence d'identité.

La règle non bis in idem ne peut être invoquée que lorsque le fait sur lequel est fondée la deuxième poursuite est identique dans ses éléments, tant légaux que matériels, avec celui qui a motivé la première poursuite.

V) CRIMES DE GUERRE - Loi du 15 septembre 1948 - article 3 - Accusé mineur de 18 ans - Compétence du tribunal militaire.

Aux termes de l'article 3 de la loi du 15 septembre 1948, les mineurs de 18 ans sont justiciables du Tribunal Militaire, nonobstant les dispositions de l'article premier de l'ordonnance du 2 février 1945.

VI) CRIMES DE GUERRE - Loi du 15 septembre 1948 - article 3 - Renvoi devant le tribunal militaire d'accusés de nationalité française lorsque la procédure est contradictoire à l'égard d'un autre accusé.

C'est à bon droit que la Chambre d'Accusation, conformément à l'article 3 de la loi du 15 septembre 1948, renvoie des accusés de nationalité française devant le Tribunal Militaire lorsque la procédure est contradictoire à l'égard d'au moins un autre accusé rentrant dans les prévisions de l'article premier de l'ordonnance du 28 mai 1944 relative à la répression des crimes de guerre.

VII) CRIMES DE GUERRE - Loi du 15 septembre 1948 - article premier - Nécessité pour la juridiction d'instruction d'avertir les accusés de l'application de ladite loi.

Avant d'accuser les prévenus d'après l'article premier de la loi du 15 septembre 1948, la Chambre d'Accusation doit s'assurer qu'ils ont été avertis de l'application faite en la cause de ladite loi et qu'ils ont eu le temps et les moyens d'administrer la preuve qui leur incombe. Elle doit, au besoin, suppléer aux lacunes de l'instruction sur ce point en ordonnant un complément d'information.

VIII) CRIMES DE GUERRE - Loi du 15 septembre 1948 - article premier - Devoir pour la chambre d'accusation d'accuser le cas échéant les prévenus d'après le droit commun - indépendamment de l'accusation résultant de la loi du 15 septembre 1948.

L'incrimination résultant de l'article premier de la loi du 15 septembre 1948 n'est pas exclusive d'une reconnaissance de culpabilité dans les termes du droit commun. Il appartient, en conséquence, à la Chambre d'Accusation, après avoir mis les prévenus en accusation d'après cet article de loi, de les accuser par des chefs distincts et d'après le droit commun des faits de participation personnelle qu'ils ont pu commettre.

IX) CASSATION - Justice militaire - Renvoi ordonné à l'avance devant un tribunal militaire autre que celui du ressort de la Chambre d'accusation.

Il appartient à la Cour de Cassation d'ordonner que la Chambre d'Accusation qu'elle saisit renverra les accusés devant un Tribunal militaire autre que celui compris dans sa compétence territoriale.


Références :

Accord du 08 août 1945 Londres
Code d'instruction criminelle 231
Code de justice militaire 68
Loi du 15 septembre 1948 art. 1, art. 3

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, chambre des mises en accusation, 16 février 1950


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 03 aoû. 1950, pourvoi n°JURITEXT000007053845, Bull. crim. 1950 n° 227
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle 1950 n° 227

Composition du Tribunal
Président : Pdt. M. Battestini
Rapporteur ?: Rapp. M. Patin
Avocat(s) : Av. Demandeur : Me Tétreau, Me Landouzy, Me Hersant, Me Defrénois

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1950:JURITEXT000007053845
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