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14/01/1876 | FRANCE | N°JURITEXT000007052988

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 14 janvier 1876, JURITEXT000007052988


REJET des pourvois de 1° Charles B..., 2° Jean-Ulysse X..., 3° Charles-Narcisse Z..., 4° Emile-Ernest Y..., 5° Louis-Emile A..., contre un Arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris, chambre correctionnelle, le 17 mars 1875, qui a condamné chacun d'eux à 16 francs d'amende, etc., et RENVOI, parte in qua, devant la Cour d'appel de Paris, chambre correctionnelle, pour être par ladite cour statué conformément à l'article 22, par. 2, de la loi du 3 novembre 1875.

La COUR,

Ouï, aux audiences des 31 décembre 1875 et 14 janvier suivant, M. le conseiller Salneuve, en son rapp

ort ; Mes Bosviel, Jozon et Quecq, avocats des demandeurs, en leurs obser...

REJET des pourvois de 1° Charles B..., 2° Jean-Ulysse X..., 3° Charles-Narcisse Z..., 4° Emile-Ernest Y..., 5° Louis-Emile A..., contre un Arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris, chambre correctionnelle, le 17 mars 1875, qui a condamné chacun d'eux à 16 francs d'amende, etc., et RENVOI, parte in qua, devant la Cour d'appel de Paris, chambre correctionnelle, pour être par ladite cour statué conformément à l'article 22, par. 2, de la loi du 3 novembre 1875.

La COUR,

Ouï, aux audiences des 31 décembre 1875 et 14 janvier suivant, M. le conseiller Salneuve, en son rapport ; Mes Bosviel, Jozon et Quecq, avocats des demandeurs, en leurs observations, et M. l'avocat général Thiriot, en ses conclusions.

Joignant les pourvois et statuant par un seul et même arrêt ;

Sur l'unique moyen de cassation, tiré de la fausse interprétation des articles 2 et 4 de la loi du 21 mai 1836, en ce que l'arrêt attaqué a jugé que toutes les valeurs à lots, sans distinction, constituent la loterie prohibée par ladite loi de 1836, et de la fausse application dudit article 4, ainsi que de la violation de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810, en ce que l'arrêt a prononcé contre les demandeurs une condamnation pour un fait réputé délit, sans relever à leurs charges l'intention qui constitue seule la culpabilité, et qu'il a omis de statuer sur cet élément essentiel du délit, bien que la cour d'appel eût été mise en demeure, par des conclusions expresses, de statuer sur ledit élément ;

En ce qui concerne la première branche du moyen, prise de la fausse interprétation des articles 2 et 4 de la loi du 21 mai 1836 ;

Attendu que la loi du 21 mai 1836, après avoir prohibé, dans son article 1er, les loteries de toute espèce, leur assimile, par son article 2, certaines opérations qui ne constituent pas, à proprement parler, de véritables loteries ;

Que cet article 2, qui prévoit trois cas, dispose, en effet : "Sont réputées loteries et interdites comme telles : 1° les ventes d'immeubles, de meubles ou de marchandises effectuées par la voie du sort ; 2° les ventes des mêmes objets auxquelles sont réunies des primes ou autres bénéfices dus au hasard ; 3° enfin, généralement, toutes opérations offertes au public pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait acquis par la voie du sort "; qu'il résulte évidemment de ces expressions, "réputées loteries et interdites comme telles", que les opérations qui sont l'objet de la disposition ne sont pas par elles-mêmes des loteries, mais bien qu'elles leur sont assimilées ;

Que si, dans le premier cas prévu par l'article 2, il faut que la vente soit effectuée par la voie du sort, cette condition n'est pas exigée dans les autres ; qu'il suffit qu'il se réunisse à la vente ou à toute autre opération une prime ou gain acquis par la voie du sort ;

Que les termes de la loi sont généraux et absolus ; qu'ils ne distinguent pas entre les lots ou primes, objet principal de l'opération, et ceux qui n'en sont que l'accessoire ; que l'esprit de la loi est conforme à son texte, de telle sorte que la vente ou l'opération, quelle qu'elle soit, quoique parfaitement légale en elle-même, est réputée loterie et interdite comme telle, s'il s'y joint un gain acquis par la voie du sort ;

Qu'il suit de là que tout emprunt offert au public avec primes ou lots pour faire naître l'espérance d'un gain qui sera acquis par la voie du sort rentre dans les prévisions de la troisième disposition de l'article 2 de la loi de 1836 ;

Que, si des villes ou des compagnies françaises ont été autorisées à faire des emprunts offrant au public des primes ou lots qui seraient acquis par la voie du sort, elles l'ont toujours été par des lois spéciales emportant dérogation à la loi générale ;

Que les emprunts de cette nature, lorsqu'ils n'ont pas été légalement autorisés, ne sauraient être assimilés aux obligations émises par les chemins de fer ; que les lots, dans le premier cas, ne sont acquis qu'à un certain nombre d'obligations dont les numéros sont désignés par le sort, tandis que, dans le second, la prime de remboursement est acquise sans distinction à tous les prêteurs, dès qu'ils ont versé le montant de leurs prêts, et que, pour ceux-ci, le sort n'intervient qu'à l'effet de déterminer l'époque du remboursement des obligations ; que les emprunts des chemins de fer ne peuvent, dès lors, être considérés comme assimilés aux loteries prohibées, parce que la loi n'interdit que les opérations où la voie du sort est la condition de l'acquisition du gain, et non celles où, le gain étant déjà acquis, le sort ne fait que fixer le terme où il sera payé ;

Attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que les demandeurs ont fait connaître en France l'existence d'emprunts émis par des villes ou puissances étrangères avec primes ou lots qui ne sont acquis que par la voie du sort, en publiant dans les journaux dont ils sont gérants les numéros des obligations gagnant les lots attachés à ces emprunts ;

Que, par conséquent, en condamnant les demandeurs à raison de ces faits, par application des articles 2 et 4 de la loi du 21 mai 1836, l'arrêt attaqué en a fait une juste et saine interprétation ;

En ce qui concerne la seconde branche du même moyen, prise de la fausse application de l'article 4 de la loi du 21 mai 1836, et de la violation de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 ;

Attendu que si, l'infraction prévue par le deuxième paragraphe de l'article 4 de la loi du 21 mai 1836 étant punie de peines correctionnelles, cette infraction, d'après le droit commun, constitue un délit, il n'en résulte pas nécessairement que ce délit ne soit caractérisé que par la réunion de l'intention coupable au fait matériel de l'annonce de l'existence d'une loterie prohibée ; que cette infraction est toute matérielle, en ce sens que le juge n'a point à s'occuper du but de l'annonce et de sa moralité, ni de l'intention des prévenus , qu'il suffit que, par un moyen de publication quelconque, ils aient fait connaître l'existence d'une loterie interdite et aient eu la volonté de la faire connaître ;

Que cette volonté, d'ailleurs, résulte virtuellement du fait même de l'insertion dans un journal de l'annonce ou de l'avis de cette existence ;

Que, dès lors, la cour d'appel n'a pas eu à se préoccuper de la bonne ou mauvaise foi des prévenus , qu'il lui a suffi, pour répondre à leurs conclusions, de déclarer que les articles et les annonces par eux publiés font évidemment connaître l'existence de loteries prohibées dans les termes de la loi ;

Que, d'ailleurs, les prévenus s'étaient bornés à demander, dans leurs conclusions, l'infirmation du jugement de première instance qui les avait condamnés et de leur renvoi des fins de la plainte ; que ce n'est que comme argument qu'ils ont invoqué leur bonne foi et l'absence de toute intention délictueuse de leur part. REJETTE, les pourvois de Jean-Ulysse X..., dit Michelet, de Charles-Narcisse Z..., d'Emile-Ernest Y..., de Louis-Emile A... et de Charles B..., contre l'arrêt rendu, le 19 mars 1875, par la cour d'appel de Paris, chambre correctionnelle, et les condamne à l'amende envers le Trésor public ;

Mais statuant sur les conclusions subsidiaires prises par les demandeurs, tendant à ce qu'il leur soit fait application de la loi du 3 novembre 1875 :

Attendu qu'il est de principe général, en matière criminelle, que dans le concours de deux lois, l'une ancienne, sous l'empire de laquelle une infraction pénale a été commise, et l'autre nouvelle, promulguée depuis et avant qu'il soit intervenu un jugement définitif, on doit appliquer la nouvelle loi, si elle édicte une peine moins sévère ;

Que dans le cas de pourvoi en cassation, ce pourvoi étant suspensif, le prévenu ou accusé ne saurait perdre le bénéfice de ce principe d'humanité, alors même que la nouvelle loi aurait été promulguée depuis la condamnation, mais avant qu'il eût été statué sur ledit pourvoi ;

Que la loi du 25 frimaire an VIII, qui attribue aux tribunaux correctionnels la connaissance de divers délits jusque-là qualifiés crimes et punis de peines afflictives et infamantes, après avoir, dans son article 18, fait application du principe ci-dessus spécifié au cas où il n'est pas encore intervenu de jugement de condamnation, trace, dans son article 19, la marche à suivre pour faire profiter les accusés du bénéfice de la nouvelle loi, lorsqu'il est déjà intervenu un jugement de condamnation frappé d'un pourvoi en cassation , que, dans ce dernier cas, aux termes dudit article 19, si la cour rejette le pourvoi, elle doit renvoyer devant le tribunal criminel pour appliquer au condamné la peine mentionnée en ladite loi , que, si elle annule, elle doit renvoyer l'affaire devant le tribunal de police correctionnelle du lieu où l'acte d'accusation a été dressé ;

Que cette disposition législative est générale comme le principe lui-même ; qu'elle doit être appliquée dans tous les cas où une nouvelle loi, prononçant des peines plus douces que la loi antérieure, est promulguée avant la décision sur le pourvoi contre l'arrêt ou le jugement de condamnation ;

Et attendu que, à l'époque où ont été commis les délits dont les demandeurs ont été déclarés coupables, et à la date de l'arrêt attaqué, rendu le 19 mars 1875, ceux qui avaient été déclarés coupables des délits prévus par les articles 410 et 411 du Code pénal, et par la loi du 21 mai 1836, ne devaient pas, aux termes de l'article 15 par. 11, de l'article 15 du décret du 2 février 1852, être inscrits sur les listes électorales ;

Que cette disposition a été abrogée par le deuxième paragraphe de l'article 22 de la loi du 3 novembre 1875, promulguée le 31 décembre suivant, lequel porte : "Demeure également abrogé le paragraphe 11 de l'article 15 du décret organique du 2 février 1852 en tant qu'il se réfère à la loi du 21 mai 1836 sur les loteries, sauf aux tribunaux à faire aux condamnés l'application de l'article 42 du Code pénal" ;

Que cette loi, ayant rendu facultative l'interdiction du droit de vote et d'élection qui était antérieurement encourue de plein droit, est plus douce que le décret du 2 février 1852 ; que, par conséquent, les demandeurs qui se trouvent sous le coup de cette interdiction, et dont le pourvoi était suspensif, doivent bénéficier de la nouvelle loi,

RENVOIE, tout en maintenant la déclaration de culpabilité et l'amende prononcée, lesdits X..., Z..., Y..., A... et B..., avec les pièces du procès, devant la cour d'appel de Paris, chambre correctionnelle, pour être, par ladite cour, statué conformément à l'article 22, par. 2, de la loi du 3 novembre 1875, et décidé si le droit de vote et d'élection leur sera interdit.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : JURITEXT000007052988
Date de la décision : 14/01/1876
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1) LOTERIE - Emprunt non autorisé avec primes ou lots - Publicité - Délit - Infraction matérielle - Intention délictueuse indifférente.

Tout emprunt non légalement autorisé, avec primes ou lots à gagner par la voie du sort, constitue une loterie prohibée. Il y a, par suite, infraction à la loi qui prohibe les loteries non autorisées dans le seul fait matériel d'annoncer l'existence d'emprunts émis à l'étranger avec primes ou lots à gagner par la voie du sort et d'en publier les numéros gagnants, sans qu'il y ait à tenir compte de la bonne ou mauvaise foi des délinquants. Il suffit, pour caractériser le délit, qu'il y ait eu publicité donnée par un moyen quelconque et volonté de faire connaître l'existence d'une loterie non-autorisée. Cette volonté résulte virtuellement de l'annonce faite dans un journal.

2) CASSATION - Moyen nouveau - Non-recevabilité.

Ne peut être invoqué pour la première fois en cassation le moyen tiré de l'absence d'intention délictueuse qui n'a été invoqué en appel que comme argument, alors que dans leurs conclusions les appelants se bornaient à demander l'infirmation du jugement de première instance.

3) CASSATION - Pourvoi - Effet suspensif - Loi pénale - Peine inférieure - Rétroactivité.

L'inculpé qui s'est pourvu contre la décision qui le condamne en vertu d'une loi pénale remplacée depuis son pourvoi, et avant qu'il y ait été statué, par une loi édictant une peine moins sévère, doit, en vertu du caractère suspensif du pourvoi en matière criminelle, bénéficier rétroactivement de l'application de cette loi nouvelle. En cas de rejet de son pourvoi, il doit être renvoyé devant la juridiction compétente, qui lui fera application de la loi nouvelle.


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, chambre correctionnelle, 17 mars 1875


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 14 jan. 1876, pourvoi n°JURITEXT000007052988, Bull. crim. 1876 N° 17
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle 1876 N° 17

Composition du Tribunal
Avocat général : Av.Gén. M. Thiriot
Rapporteur ?: Rapp. M. Salneuve
Avocat(s) : Av. Demandeur : Me Bosviel, Me Jozon, Me Quecq

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1876:JURITEXT000007052988
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