REJET du pourvoi de Pierre-Joseph-Ernest Coulon contre un Arrêt rendu, le 9 août 1873, par la Cour d'appel de Douai (chambre correctionnelle), qui l'a condamné à deux ans de prison, etc..
LA COUR,
Ouï M. le conseiller Salneuve, en son rapport, et M. l'avocat général Dupré-Lasale, en ses conclusions ;
Vu le mémoire signé par Me Fliniaux, avocat en la Cour ; Sur le moyen unique de cassation, tiré d'une prétendue violation de la maxime Non bis in idem et des articles 246 et 360 du Code d'instruction criminelle, en ce que l'arrêt attaqué a condamné le demandeur, Belge d'origine, pour un crime à raison duquel il avait été condamné en son pays :
Attendu qu'il résulte, tant de la déclaration du jury que de l'arrêt attaqué, que les crimes dont le demandeur a été reconnu coupable ont été commis en France ;
Attendu que l'article 3 du Code civil, en disposant que les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire, établit le principe de la souveraineté territoriale, en vertu duquel le souverain s'est réservé le droit de réprimer tous les faits délictueux commis sur le territoire, alors même qu'ils l'ont été par un étranger ;
Que, par suite de ce principe, la justice française peut toujours être saisie d'une poursuite dirigée contre un étranger à raison d'une infraction pénale commise en France, et y statuer sans que son action puisse être arrêtée par les actes de la justice étrangère à raison du même fait ;
Que, si la maxime Non bis in idem s'oppose à ce qu'un prévenu soit jugé deux fois pour le même fait, cette exception ne peut s'appliquer qu'aux jugements émanés de tribunaux de la même souveraineté ; que, de temps immémorial, il est de droit public en France que les jugements rendus en pays étranger ne peuvent ni être exécutés ni exercer aucune autorité en France, si ce n'est dans les seuls cas prévus par les articles 546 du Code de procédure civile, 2123 et 2128 du Code civil, et suivant les conditions prescrites par ces articles ;
Que la théorie de droit public qui fait prévaloir le principe de la souveraineté territoriale sur l'application de la maxime Non bis in idem, loin de se trouver contredite par les articles 5 et 7 du Code d'instruction criminelle, modifiés par la loi du 27 juin 1866, trouve, au contraire, un appui dans l'esprit et les termes sainement entendus de ces articles, comme elle le trouvait dans les anciens articles de ce même code ; que l'article 5, en effet, qui n'autorise la poursuite en France des crimes et délits commis à l'étranger par un Français que dans le cas où le crime ou le délit n'a pas été poursuivi à l'étranger, bien loin de reposer sur l'application de la maxime Non bis in idem et sur la reconnaissance de l'exception de la chose jugée, n'est qu'une conséquence du principe de la souveraineté territoriale que le législateur français veut respecter chez l'étranger ; qu'en reconnaissant ainsi à une souveraineté étrangère le droit de juger un Français qui a commis un crime ou un délit sur le territoire étranger, il entend évidemment faire respecter chez lui le principe de la souveraineté territoriale qu'il ne méconnaît pas chez les autres ;
Que l'article 7 n'attribue aux tribunaux français la connaissance de certains crimes attentatoires à la sûreté de l'Etat, lorsqu'ils ont été commis hors du territoire de France, même par un étranger, qu'en vertu précisément du principe de la souveraineté territoriale, parce que ces crimes, préparés ou commis à l'étranger, se continuent, s'accomplissent ou ne produisent tout leur effet que dans les limites du territoire , que vainement on objecte que, dans l'espèce actuelle, la poursuite dirigée en Belgique contre le demandeur l'aurait été de concert avec l'autorité française et l'autorité belge, dans un intérêt commun ; que l'autorité française, en effet, n'a pu vouloir renoncer à exercer l'action publique en France, parce qu'elle aurait violé la loi et le principe de la souveraineté territoriale, et qu'elle ne l'a pas voulu, puisque, dès le 19 octobre 1869, elle avait fait renvoyer le demandeur, par la cour d'appel de Douai, chambre des mises en accusation, devant la cour d'assises du Nord, et que, pendant qu'elle donnait à l'autorité belge l'avis des crimes que ledit demandeur avait commis en France, elle poursuivait par contumace la condamnation de l'accusé ;
D'où il suit qu'en rejetant l'exception de la chose jugée résultant de la décision rendue, le 12 février 1870, par le conseil de guerre de la province d'Anvers, la cour d'assises du Nord n'a violé ni la maxime Non bis in idem, ni les articles 246 et 360 du Code d'instruction criminelle ;
Attendu, d'ailleurs, que la procédure est régulière et que la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par le jury,
Rejette.