REJET du pourvoi du nommé Nikitschenkoff en cassation d'un Arrêt rendu, le 30 août 1865, par la Cour d'assises de la Seine, qui l'a condamné aux travaux forcés à perpétuité, etc..
LA COUR,
Ouï, en son rapport, M. Bresson, conseiller ; Me Morin, avocat en la Cour, en ses observations pour le demandeur en cassation, et M. Charrins, avocat général, en ses conclusions ; Sur le moyen tiré de ce que le crime objet de l'accusation aurait été commis par un Russe sur un sujet russe ou étranger, dans l'hôtel de l'ambassade de Russie à Paris et, par suite, dans un lieu situé hors du territoire de la France, que ne régissait point la loi française, et sur lequel ne pouvait s'étendre la compétence de nos tribunaux ;
Attendu qu'aux termes de l'article 3 du X... Napoléon, les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire ;
Attendu que l'on peut admettre, comme exception à cette règle de droit public, l'immunité que, dans certains cas, le droit des gens accorde à la personne des agents diplomatiques étrangers, et la fiction légale en vertu de laquelle l'hôtel qu'ils habitent est censé situé hors du territoire du souverain près duquel ils sont accrédités ;
Mais attendu que cette fiction légale ne peut être étendue ; qu'elle est exorbitante du droit commun , qu'elle se restreint strictement à l'ambassadeur ou ministre, dont elle a voulu protéger l'indépendance, et à ceux qui, lui étant subordonnés, sont cependant revêtus du même caractère public ;
Attendu que le demandeur n'appartient à aucun titre à l'ambassade de Russie ; que, comme étranger résidant momentanément en France, il était soumis aux lois françaises ; que le lieu où le crime qui lui était imputé a été commis ne peut non plus, en ce qui le concerne personnellement, être réputé en dehors des limites du territoire ; que l'action et la compétence de la justice française étaient, dès lors, incontestables ; qu'elles se sont exercées à la demande même des agents du gouvernement russe, et après qu'ils avaient livré le demandeur aux poursuites ; que, sous tous ces rapports, le moyen invoqué est sans fondement ;
Sur le moyen tiré de la violation des articles 293 et 332 du Code d'instruction criminelle, en ce que le demandeur, qui dit ne pas parler la langue française, n'aurait pas été assisté d'un interprète lors de son interrogatoire devant le président des assises, et aurait ainsi été entravé dans son droit de défense :
Attendu que l'article 332 du Code d'instruction criminelle, qui prescrit à peine de nullité la dénomination d'un interprète, toutes les fois que l'accusé, les témoins ou l'un deux ne parlent pas la même langue, a eu surtout en vue la formation du jury de jugement et des débats publics ; que l'article 293, relatif à l'interrogatoire que le président des assises doit faire subir à l'accusé dans les vingt-quatre heures de son arrivée dans la maison de justice, n'exige pas l'intervention d'un interprète ; que la loi s'est reposée sur le magistrat du soin de s'assurer que les questions qu'il adresse à l'accusé et les avertissements qu'il doit lui donner sont entendus par lui ; que, dans l'espèce, le procès-verbal de l'interrogatoire constate que l'accusé, qui ne parlait sans doute qu'imparfaitement la langue française, a cependant répondu en français aux questions qui lui ont été faites, qu'il les a signées avec le président et le greffier sans réclamation ; d'où il suit que le voeu de la loi a été rempli et qu'il n'y a pas eu violation du droit de la défense ;
Sur le troisième moyen, tiré de la violation, à un autre point de vue, du même article 332 du Code d'instruction criminelle, en ce que, le président de la cour d'assises ayant lu à l'audience, en vertu du pouvoir discrétionnaire, une déclaration de l'instruction écrite, le procès-verbal des débats ne constate pas que cette déclaration ait été traduite par l'interprète à l'accusé, et que, dès lors, celui-ci a souffert une autre atteinte dans son droit de défense ;
Attendu que le procès-verbal des débats constate qu'un interprète a été donné à l'accusé dès le premier moment où ils se sont ouverts ; que cet interprète a comparu à l'audience ; qu'il a prêté serment de traduire fidèlement les discours à transmettre entre ceux qui parlent des langages différents ; que, des mêmes énonciations du procès-verbal, plusieurs fois répétées, il résulte qu'à toutes les phases du débat public, l'interprète n'a pas cessé d'être présent et d'assister l'accusé, d'où découle la présomption légale qu'il a rempli ses fonctions ;
Attendu qu'au point particulier du débat où il a été donné lecture par le président d'une déclaration de l'instruction écrite, il est expressément énoncé par le même procès-verbal que le président, après cette lecture, a demandé à l'accusé s'il avait des observations à faire, et que l'accusé, aidé de l'interprète, a été entendu dans ses observations, ce qui implique nécessairement que la déclaration lui avait été traduite et avait été comprise ; que sous ce rapport donc encore l'article 332 a été fidèlement observé.
REJETTE.