COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2012
(no 207, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 23143
Décision déférée à la Cour : Arrêt du 14 octobre 2010- Cour de Cassation de PARIS-no 882
DEMANDERESSE À LA SAISINE
UVEX ARBEITSSCHUTZ GMBH, société à responsabilité de droit allemand, agissant poursuites et diligences de son gérant Würzburger Strasse 181-189 90766 FÜRTH ALLEMAGNE
représentée et assistée de Me Dominique OLIVIER de la AARPI Dominique OLIVIER-Sylvie KONG THONG (avocat au barreau de PARIS, toque : L0069) et de Me Michael BROSEMER de la SELARL BRS RODL et PARTNERS (avocat au barreau de PARIS, toque : L0152)
DÉFENDERESSE À LA SAISINE
Société LAMY LEXEL, Avocats Associés, prise en la personne de ses représentants légaux 9 boulevard Malesherbes 75008 PARIS
représentée et assistée de Me Patricia HARDOUIN (avocat au barreau de PARIS, toque : L0056 Selarl HJYH aVOCATS) et de la SELARL CABINET SCHMITT et ASSOCIES (Me Dominique SCHMITT) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0021)
INTERVENANTS À LA SAISINE
M. X... Louis... 34500 BEZIERS
SARL MBA AUDIT... 34500 BEZIERS
représentés et assistés de Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L 0034 et de Me Olivier MARTIN, avocat au barreau de PARIS (toque : R 098) substituant Me François MASSOT, avocat au barreau de PARIS, Association MASSOT et PARRINELLO
COMPOSITION DE LA COUR
Après rapport conformément à l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 juin 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller faisant fonction de Président Madame Françoise MARTINI, Conseiller et Madame Catherine KATZ, Conseiller, venus d'une autre chambre pour compléter la cour en application de l'ordonnance de roulement portant organisation des services de la cour d'appel de Paris à compter du 2 janvier 2012, et de l'article R 312-3 du Code de l'organisation judiciaire
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN
MINISTERE PUBLIC : Madame ARRIGHI de CASANOVA, avocat général, a visé le dossier le 6 décembre 2011.
ARRET :
- contradictoire
-rendu publiquement par Madame Brigitte HORBETTE Conseiller faisant fonction de président
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
-signé par Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller faisant fonction de président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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La SARL UVEX ARBEITSSCHUTZ GMBH (la société UVEX), cessionnaire du groupe G... sécurité (constitué des sociétés MAP, Manufacture Alsacienne G... sécurité et JF Développement) par acte du 31 juillet 2001 et de la créance de dommages et intérêts des actionnaires dirigeants du groupe, recherche la responsabilité de la SELAFA LAMY LEXEL, chargée des opérations de restructuration du groupe avant sa cession et de la négociation de celle-ci, pour avoir omis l'existence d'un acompte sur dividendes versé aux actionnaires dirigeants en mai 2000, selon décision du conseil d'administration du 28 avril, non régularisée par l'assemblée générale du 28 juin suivant, et pour ne l'avoir pas informée des conséquences juridiques des résolutions adoptées par ladite assemblée générale qui a affecté la totalité des résultats au poste " autres réserves ", entraînant l'obligation de remboursement de cet acompte, incompatible avec l'affectation en réserves, postérieurement à la cession par les actionnaires dirigeants, et la négociation du prix de cession sur des bases erronées puisque devait être inclus ce remboursement.
Par jugement du 6 juin 2007, le tribunal de grande instance de Paris a : déclaré le jugement commun à M. X..., commissaire aux comptes de la société MAP, société mère du groupe G..., et à la société MBA-Audit, société d'experts comptables ayant procédé au contrôle des comptes de l'exercice 2001 et conseillé le remboursement de l'acompte, débouté la société UVEX de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la SELAFA LAMY LEXEL la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 2 décembre 2008, auquel il est renvoyé, ainsi qu'au jugement, pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour, autrement composée, a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions.
La Cour de cassation a, le 14 octobre 2010, cassé et annulé ledit arrêt en toutes ses dispositions.
CECI ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,
Vu l'arrêt de la Cour de cassation susvisé,
Vu les dernières conclusions déposées le 30 janvier 2012 selon lesquelles la société UVEX, poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée, demande de condamner la société LAMY LEXEL à lui payer la somme de 312 065 € au regard des manquements commis dans son devoir de conseil au moment de la cession des actions, ainsi que celle de 10 000 € de dommages et intérêts pour résistance abusive et de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions déposées le 20 avril 2012 par lesquelles la SELAFA LAMY LEXEL demande à titre principal l'irrecevabilité des demandes de la société UVEX, à titre subsidiaire son débouté au double constat de l'absence de faute professionnelle et de l'absence de préjudice et la condamnation de l'appelante à lui payer les sommes de 32 706 € de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à titre infiniment subsidiaire la garantie de M. X... et de la société MBA Audit en cas de condamnation,
Vu les dernières conclusions déposées le 14 mai 2012 aux termes desquelles M. X... et la société MBA-Audit sollicitent la confirmation du jugement et, appelants incidents, l'infirmation du jugement sur la demande de la SELAFA LAMY LEXEL au motif qu'elle est prescrite et la condamnation de cette dernière à leur payer la somme de 2 000 € de dommages et intérêts et celle de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
SUR CE,
Sur la recevabilité à agir de la société UVEX :
Considérant que la société UVEX expose tout d'abord qu'elle est recevable à agir du fait de la cession des créances de dommages et intérêts liés au préjudice pécuniaire subi, cession intervenue par les consorts G... à son profit en décembre 2002, soulignant que ce point a été irrévocablement jugé par l'arrêt, non touché sur ce point par la cassation ; qu'elle a également intérêt à agir pour en obtenir le paiement ;
Que la SELAFA LAMY LEXEL soutient pour sa part l'irrecevabilité à agir de la société UVEX, faute d'intérêt, car la preuve de l'existence et de la nature des créances cédées n'est pas rapportée, les cessions de créance étant nulles faute d'objet, ce qui est le cas, les consorts G... n'établissant pas l'existence d'une créance à son encontre ;
Considérant cependant que, saisie de ces mêmes moyens par la SELAFA LAMY LEXEL, cette cour y a répondu dans son arrêt du 2 décembre 2008, pour les rejeter comme l'avaient fait les premiers juges, en rappelant que la cession, qui a été justifiée, portait également sur ces créances, éventuelles mais identifiées ; que sur ce point, faute d'avoir été soumis à la Cour de cassation, l'arrêt n'a pas été touché par la cassation prononcée, de sorte que, comme le soutient à raison la société UVEX, il est devenu irrévocable ;
Au fond :
Considérant que la société UVEX soutient, pour l'essentiel, que la faute de l'avocat a été reconnue définitivement par l'arrêt de cassation en ce que la distribution d'acompte sur dividende aurait pu être régularisée lors de l'assemblée générale (faute de quoi il est fictif) et que, ayant pour mission de préparer cette assemblée générale, il devait empêcher que soit décidée la mise en réserve de l'intégralité du résultat de l'exercice du fait de sa contradiction avec la distribution intervenue ou rappeler l'obligation des actionnaires de rembourser et, pour connaître ces événements, demander communication de la totalité des documents sociaux pour en vérifier les opérations, notamment le registre des délibérations ; que la SELARL a commis un autre manquement en n'attirant pas l'attention sur un acompte antérieur, au lieu de se limiter à affirmer qu'il n'y en a pas eu postérieurement, ce qui aurait incité à renégocier le prix de cession pour que le remboursement ne pénalise pas les cédants ; qu'elle explique le détail de son préjudice et s'oppose à la demande reconventionnelle, sa procédure n'étant pas abusive ;
Que pour l'essentiel, la SELAFA LAMY LEXEL conteste avoir commis une faute, n'ayant été missionnée qu'en mai 2001 alors que les reproches se fondent sur des actes antérieurs qu'elle ne pouvait connaître et qui ne lui ont pas été indiqués, notamment par le commissaire aux comptes, estimant que, nonobstant l'arrêt de la Cour de cassation, son " devoir de curiosité " doit trouver des limites, qu'elle décrit, et qui ne peut s'assimiler à une enquête policière, qu'en l'espèce la distribution d'acompte sur dividendes est une infraction pénale car elle est purement fictive, ce qu'elle ne pouvait supputer, que les demandeurs sont donc de mauvaise foi ; qu'elle rappelle qu'elle a indiqué lors de la cession des actions qu'aucune distribution n'était intervenue depuis le 31 décembre 2000, ce qui est exact ; que les actionnaires ne peuvent invoquer leur propre turpitude dans la mesure où ils n'ignoraient pas cette distribution faite peu de temps avant la cession ; qu'aucun préjudice n'existe puisque, si le prix des dividendes avait été pris en compte, le prix de cession des actions aurait été moindre et que le résultat de délits n'est pas un préjudice indemnisable ; qu'il n'existe non plus aucun lien de causalité puisque les remboursements ont eu lieu pour éviter des condamnations ; que, subsidiairement elle réclame la garantie des commissaires aux comptes qui n'ont pas fait normalement leur travail ;
Considérant que M. X... et la société MBA-Audit font valoir surtout que leur rapport critiqué a été établi le 31 mai 2001 et porte sur l'exercice clos le 31 décembre 2000, que l'assignation date du 28 septembre 2004 et que l'action est donc prescrite en application des articles L 225-242 et L 225-254 du code de commerce, la dissimulation éventuelle, mais non invoquée, n'étant pas de leur fait, leur mission n'étant pas permanente mais se terminant à chaque certification ; que ce n'est pas eux qui étaient au conseil d'administration ni à l'assemblée générale mais la SELARL LAMY LEXEL et que c'est elle qui a établi le projet de procès-verbal pour régulariser l'omission de l'acompte, preuve qu'elle l'avait vu ;
Considérant que le devoir d'efficacité incombant à l'avocat dans sa mission d'élaboration des documents fiables en vue de l'approbation des comptes et de la gestion de l'exercice et dans l'assistance lors de la négociation relative à la cession des actions, impliquait l'obtention et l'examen de l'ensemble des documents sociaux utiles, notamment le registre des délibérations du conseil d'administration, ce qui lui aurait permis de connaître la distribution des dividendes ;
Que, pour n'en n'avoir rien fait, la SELAFA LAMY LEXEL a manqué à ses obligations sans qu'elle puisse, pour s'en décharger, ni se retrancher derrière sa date d'intervention ni invoquer l'étendue de sa mission ; que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a écarté toute faute de la part de cette société d'avocats ;
Considérant que, pour autant, le préjudice invoqué par la société UVEX ne peut être indemnisé ;
Qu'en effet, d'une part, le préjudice dont l'indemnisation est réclamée consiste dans le paiement de sommes représentant le remboursement effectué par les cédants de celles qu'ils avaient indûment perçues ; que la condamnation à restituer des sommes illicitement acquises ou l'obligation de le faire ne peut constituer un préjudice indemnisable ;
Que, d'autre part, ce préjudice est sans lien causal avec les manquements de l'avocat dans la mesure où, comme il le souligne avec pertinence, le remboursement de sommes perçues en infraction aux règles sociales et pénales, ne pouvait qu'avoir lieu, quand bien même la SELAFA LAMY LEXEL n'aurait pas commis les fautes qui lui sont reprochées, dès lors que ce remboursement était inéluctable pour éviter aux actionnaires concernés d'éventuelles condamnations ; qu'en conséquence la société UVEX, cessionnaire des actionnaires, ne peut qu'être déboutée de ses demandes ;
Considérant dès lors que, pour ces motifs, qui se substituent à ceux du jugement querellé, celui-ci sera confirmé en ce qu'il a débouté la société UVEX de sa réclamation ;
Que, dans ces conditions, la demande de garantie faite par la SELAFA LAMY LEXEL à M. X... et à la société MBA-Audit n'a pas lieu d'être examinée ;
Considérant que les circonstances légitiment l'octroi, à M. X... et à la société MBA-Audit seuls, d'indemnités procédurales de la part de la SELAFA LAMY LEXEL dans la mesure précisée au dispositif ; que leur demande de dommages et intérêts n'apparaît cependant pas justifiée et qu'ils en seront déboutés ;
Considérant qu'en raison de sa faute la SELAFA LAMY LEXEL supportera seule les dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société UVEX,
Rejette les autres demandes,
Condamne la SELAFA LAMY LEXEL à payer à M. X... et à la société MBA-Audit la somme de 3 000 € (trois mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.