Grosses délivrées
REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
1ère Chambre - Section A
ARRET DU 26 SEPTEMBRE 2006
(no , 10 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 05/12556 Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2005 -Tribunal de Grande Instance de PARIS. (1ère chambre,1ère section) RG no 03/10753 APPELANTE S.C.P. GIRAUD HECKLY 3, rue Emile Dubois 92100 BOULOGNE BILLANCOURT représentée par Me Louis-Charles HUYGHE, avoué à la Cour assistée de Me Christophe LLORCA, avocat au barreau de PARIS, plaidant pour le Cabinet FARTHOUAT, toque R130 INTIMEES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES IARD 19/21, rue de Chanzy 72030 LE MANS CEDEX 9 S.C.P. POPINEAU FREMY HAYAUX DU TILLY ET ASSOCIES, société d'avocats en liquidation, venant aux droits de la SCP LE SOURD DESFORGES POPINEAU FREMY HAYAUX DU TILLY 89/91 rue du Faubourg Saint Honoré 75008 PARIS agissant en la personne de son liquidateur amiable Me Bertrand X... représentées par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoué à la Cour assistées de Me Jean-Pierre CORDELIER, avocat au barreau de PARIS, toque P 399 COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 juin 2006, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du nouveau code de procédure civile devant la Cour composée de :
M. GRELLIER, président
M. DEB , président
Mme HORBETTE, conseiller
qui ont délibéré, Greffier, lors des débats : Mme RIGNAULT Ministère public : représenté lors des débats par Mme TERRIER-MAREUIL, avocat général, qui a fait connaître son avis ARRET :
- contradictoire
- prononcé en audience publique par M.GRELLIER, président.
- signé par M.GRELLIER, président et par Mme RIGNAULT, greffier présent lors du prononcé.
La SCP d'architectes GIRAUD HECKLY s'est vue confier de 1989 à 1992 neuf missions complètes d'architecture, par quatre maîtres d'ouvrage, à savoir la FONCIÈRE MAC CORMICK, la SCI domaine de FABREGAS, la SNC rue des Orteaux et la SNC TRAKTIR.
Un contrat, précisant la mission de l'architecte, son mode de rémunération, des délais de payement et des intérêts moratoires et une indemnité pour résiliation du fait du Maître de l'Ouvrage, a été signé entre la SCP GIRAUD HECKLY et les différents maîtres d'ouvrage pour chacune des missions demandées. Les opérations concernées représentaient un coût de travaux hors taxes d'environ 700.000.000 FF, soit 106.714.000 ç et un montant d'honoraires à percevoir par la SCP d'architectes de 40.000.000 Fr HT, soit 6.100.000 ç HT. De 1989 à 1993 la SCP a perçu au titre de ses missions une somme de 4.061.426 FF HT soit 619.160,40 ç HT.
A partir de 1993 les opérations ont été cédées à divers
établissements financiers ou bancaires et finalement à la société OMNIUM IMMOBILIER de GESTION, devenue CDR IMMOBILIER.
Le 27 mars 1996 le CDR IMMOBILIER a notifié à la SCP d'architectes la résiliation de ses missions et lui a demandé de compléter un tableau reprenant partiellement ses états d'honoraires. Le 3 mai 1996 la SCP d'architectes a adressé au CDR IMMOBILIER ses notes d'honoraires et un tableau récapitulatif des honoraires dus, mis à jour en tenant compte des honoraires perçus. La note d'honoraire relative à l'opération relative au domaine de FABREGAS à la SEYNE sur MER, dans le département du Var, s'élevait à une somme d'un montant de 6.543.814,98 F TTC.
Le CDR IMMOBILIER a indiqué, le 28 mai 1996, à la SCP d'architectes qu'en raison du montant de ses honoraires elle devait réaliser une étude juridique et économique sur leurs justifications, puis le 27 juin 1996, que n'ayant conclu aucun contrat avec elle, il considérait comme dépourvues de cause et d'effet les mises en demeure qu'elle lui avait adressées.
Le 2 juillet 1996 la SCP d'architecte a saisi le Conseil de l'Ordre des Architectes d'une demande de médiation, puis, le CDR IMMOBILIER refusant de régler les honoraires réclamés, elle a donné mandat à M. ROCHER, avocat, associé de la SCP d'avocats LE SOURD - DESFORGES - POPINEAU - FREMY - HAYAUX du TILLY, ci - après la SCP d'avocats, de diligenter une procédure de référé aux fins de désignation d'un expert chargé de procéder à l'évaluation du préjudice résultant pour elle de l'inobservation par les maîtres d'ouvrage de leurs obligations contractuelles.
M. Y..., désigné comme expert par ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Paris, avec pour mission de donner son avis sur les sommes pouvant être dues à la SCP d'architectes, a déposé un pré - rapport sur la base duquel, par ordonnance de référé
du 27 février 1997, le président du tribunal de grande instance de Paris a condamné les maîtres d'ouvrage a verser à la SCP d'architectes, une provision d'un montant total de 4.832.886,74 F TTC, dont 1.131.879,60 F, soit 172.553,93 ç au titre du domaine de FABREGAS. Les maîtres d'ouvrage ayant interjeté appel, la cour d'appel de Paris, s'appuyant sur des pré-rapports d'expertise complémentaires de l'expert, a, par arrêt du 28 février 1998, condamné les maîtres d'ouvrage à verser à la SCP d'architectes une provision de 9.690.000 F TTC dont 3.000.000 F, soit 457.347,05 ç au titre du domaine de FABREGAS.
Le 23 octobre 1997 la S.A.R.L. domaine de FABREGAS a assigné la SCP d'architecte devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins, d'une part, d'annulation du contrat d'architectes, à défaut, de résolution judiciaire de ce contrat pour manquement de l'architecte à son obligation de conseil, d'autre part, de condamnation de la SCP d'architectes à lui payer en réparation de son préjudice une somme égale aux sommes déboursées par la société le domaine de FABREGAS augmentées des sommes versées en exécution de l'ordonnance de référé du 27 février 1997, à titre subsidiaire de dire qu'il n'y a pas lieu à payement de l'indemnité de résiliation. La SCP d'architecte a confié la défense de ses intérêts à la SCP d'avocats précitée.
Par jugement du 16 juin 1999 le tribunal de grande instance de Nanterre considérant que la SCP d'architectes avait manqué à ses obligations professionnelles, dans la mesure ou la décision administrative de refus du permis de construire du domaine de FABREGAS résultait pour partie des insuffisances du dossier présentées par cette SCP, a prononcé la résiliation judiciaire des conventions liant la société domaine de FABREGAS à la SCP d'architectes aux torts partagés des deux parties, condamné la société domaine de FABREGAS à payer à la SCP d'architecte la somme de
476. 370 F TTC avec intérêts au taux légal à compter du 24 juin 1996, constaté la compensation avec les sommes déboursées par la société domaine de FABREGAS en exécution des décisions de référé et condamné en conséquence la SCP d'architectes à rembourser à la société domaine de FABREGAS le surplus des sommes perçues.
A défaut d'exercice des voies de recours, ce jugement est devenu définitif.
La SCP GIRAUD HECKLY a assigné, le 7 juillet 2003, la SCP d'avocats sur le fondement de l'article 1147 du code civil et au visa du rapport de l'expert judiciaire Y..., devant le tribunal de grande instance de Paris et lui faisant grief d'avoir commis une faute en s'abstenant d'interjeter appel du jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 16 juin 1999 et d'avoir manqué à son obligation de conseil en ne lui conseillant pas d'interjeter appel de ce jugement, a demandé sa condamnation, à titre principal à lui verser, à titre de dommages et intérêts, la somme de 1.063.600 ç TTC, arrêtée au 21 mai 2003, correspondant à l'estimation de son préjudice retenue par l'expert judiciaire dans son rapport relatif au contrat portant sur le domaine de FABREGAS, à défaut, la somme de 76.622,14 ç TTC correspondant au montant du préjudice tel qu'estimé par le jugement précité du 16 juin 1999, outre les intérêts au taux légal avec capitalisation à compter du 24 juin 1996, soit une somme totale de 98.758,08 ç arrêtée au 21 mai 2003, en toute hypothèse, à lui verser la somme de 10.000 ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et de dire la Mutuelle du Mans tenue de garantir la SCP d'avocats de toute condamnation prononcée à son encontre.
Par jugement contradictoire en date du 18 mai 2005 le tribunal de
grande instance de Paris a condamné la SCP d'avocats en liquidation POPINEAU, FREMY, HAYAUX du TILLY etamp; associés, venant aux droits de la SCP d'avocats dissoute LE SOURD - DESFORGES - POPINEAU- FREMY - HAYAUX du TILLY, à payer à la SCP d'architectes la somme de 72.600 ç avec intérêt au taux légal à sa date, outre une indemnité de procédure de 4.000 ç et condamné la Mutuelle du Mans Assurances IARD à garantir le payement de ces sommes.
La Cour
Vu l'appel formé le 8 juin 2005 par la SCP d'architectes contre ce jugement;
Vu les conclusions déposées le 16 mai 2006 par l'appelante, qui poursuivant la confirmation de toutes les dispositions du jugement querellé, à l'exception de celles relatives à l'évaluation de son préjudice, demande à la cour de condamner la SCP d'avocats à lui verser la somme de 683.596,64 ç HT, outre les intérêts légaux avec capitalisation à compter du 24 juin 1996, soit 205.701, 02 ç HT, soit une somme totale de 889.297,66 ç HT, soit une somme d'un montant de 1.063.600 ç TTC, arrêtée à la date du 21 mai 2003, à titre de dommages et intérêts correspondant à l'estimation de son préjudice retenue par l'expert judiciaire, à défaut, de la condamner à lui verser une somme de 145.244,28 ç correspondant au montant total des honoraires arrêtés par l'expert hors de toute indemnité de résiliation, majorée des intérêts légaux avec capitalisation à compter du 24 juin 1996, à défaut, de la condamner à lui payer la somme de 72.622, 14 ç TTC, correspondant au montant du préjudice tel qu'estimé par le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 16 juin 1999, majorée des intérêts légaux avec capitalisation à compter du 24 juin 1996, soit 26.135,94 ç, soit une somme totale de 98.758,08 ç arrêtée à la date du 21 mai 2003, dans
toutes les hypothèses condamner la SCP d'avocats, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, à lui verser une indemnité de procédure de 10.000 ç et de condamner la Mutuelle du Mans a garantir la SCP d'avocats de toute condamnation prononcée à son encontre;
Vu les conclusions déposées le 15 février 2006 par la Mutuelle du Mans Assurances IARD et la SCP d'avocats en liquidation POPINEAU - FREMY - HAYAUX du TILLY etamp; associés, qui poursuivant la réformation du jugement, demande à la cour de constater que la société d'architectes ne justifie pas de sa décision de relever appel du jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 16 juin 1999, à défaut, de dire qu'il n'est pas établi que ce jugement aurait été réformé par la cour d'appel de Versailles, de débouter la SCP d'architectes de toutes ses demandes et de la condamner à verser, aux Mutuelles du Mans Assurances, les sommes dont elle a fait l'avance, qui ont été allouées, au titre de l'exécution provisoire du jugement dont appel, avec les intérêts au taux légal à compter de la date de ce jugement, de condamner également la SCP d'architecte, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, à payer à la société d'avocats, en la personne de son liquidateur, et aux Mutuelles du Mans Assurances, des indemnités de procédure de 5.000 ç chacune;
Sur quoi:
Sur les fautes imputées à la SCP d'avocats:
Considérant qu'à l'appui de sa demande de confirmation de la décision du jugement querellé en ce qu'il a déclaré que la SCP d'avocats a commis une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle, la SCP d'architectes fait observer que son avocat, a omis d'interjeter appel du jugement du 16 juin 1999 du tribunal de
grande instance de Nanterre, alors, d'une part qu'en lui transmettant ce jugement, il lui a écrit que cette décision "est plus que mauvaise - Elle est même catastrophique et bourrée de bêtises - Nous devons reparler de tout ça", d'autre part, que dans une autre instance l'opposant à trois autres sociétés maître d'ouvrage, il a pris l'initiative d'interjeter appel d'un jugement rendu par le même tribunal, le 22 mars 2000, sans instruction écrite de sa part, et qu'il a en outre, sur cet appel, assigné en appel provoqué la S.A.R.L. DOMAINE DE FABREGAS, laquelle a été mise hors de cause par la cour d'appel de Versailles, au motif qu'il avait été statué dans une autre instance sur les demandes formulées à l'encontre de cette société;
Considérant que la Mutuelle du Mans Assurances et la SCP d'avocats pour s'opposer à cette demande font observer, d'une part, que la société ne justifie pas, ni même d'ailleurs n'allègue, lui avoir donné instruction d'interjeter appel du jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 16 juin 1999, d'autre part, que les autres procédures, qui ont fait l'objet d'un jugement du tribunal de grande instance du 22 mars 2000, puis d'un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 19 avril 2002, sont entièrement distinctes de l'opération envisagée à la SEYNE sur MER par la société le domaine de FABREGAS;
Considérant que la Mutuelle du Mans Assurances et la SCP d'avocats ne formulent toutefois aucune observation sur le jugement querellé en ce qu'il a exactement relevé que la SCP d'avocats ne produit aucun élément de nature à établir qu'elle a renseigné la SCP d'architectes sur l'existence, les modalités et l'opportunité d'exercer, une voie de recours contre le jugement précité du 16 juin 1999;
Considérant que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges, après avoir exactement relevé que la SCP d'avocats ne rapportant pas
la preuve d'avoir rempli son obligation de renseignement et de conseil à l'égard de la SCP d'architecte, alors même qu'elle lui a écrit que la décision du 16 juin 1999 était "plus que mauvaise", ont déclaré que la faute de l'avocat est patente;
Considérant que le manquement de l'avocat à son obligation de renseignement est de nature à engager la responsabilité professionnelle de la SCP d'avocats à l'égard de la SCP d'architectes;
Sur la perte d'une chance sérieuse de réformation du jugement du 16 juin 1999:
Considérant que la SCP d'architectes sollicite la confirmation du jugement querellé en qu'il a déclaré que la faute de la SCP d'avocats lui a fait perdre une chance sérieuse d'obtenir, en cas d'appel, une réformation du jugement précité du 16 juin 1999 en ce qu'il a prononcé la résolution des contrats aux torts partagés des parties et exclut l'application de la clause de résiliation imputable au maître de l'ouvrage;
Considérant qu'au soutien de cette demande elle fait valoir, d'une part, que le rapport définitif, déposé le 20 février 1998, par l'expert judiciaire Y..., établit clairement l'absence de responsabilité de sa part dans l'échec de l'opération relative au domaine de FABREGAS et que son analyse est conforme aux conclusions de son pré-rapport entérinées par l'ordonnance de référé du 27 février 1997, confirmée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 avril 2002, d'autre part, que la cour d'appel de Versailles, statuant le 29 avril 2002 sur l'appel interjeté par les sociétés FONCIÈRE MAC CORMICK, TRAKTIR et rue des ORTEAUX, a, en réformant le jugement rendu le 22 mars 2000 par le tribunal de grande instance de Nanterre, entériné l'ensemble des rapports d'expertises établis par cet expert;
Considérant qu'elle précise que le tribunal de grande instance de Nanterre, statuant dans son jugement du 22 mars 2000 sur la résolution des contrats souscrits entre elle et les sociétés FONCIÈRE MAC CORMICK, TRAKTIR et rue des ORTEAUX avait prononcé la résolution du contrat souscrit avec la société FONCIÈRE MAC CORMICK aux torts partagés des parties;
Considérant qu'elle soutient que la similitude des circonstances et des situations de droit soumises à la cour dans les dossiers FONCIÈRE MAC CORMICK et DOMAINE DE FABREGAS et son absence de responsabilité dans l'échec de ces deux opérations, auraient nécessairement conduit la cour d'appel de Versailles, si elle avait été régulièrement saisie d'un appel contre le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 16 juin 1999, à rendre un arrêt similaire à celui qu'elle a rendu le 29 avril 2002 dans l'affaire FONCIÈRE MAC CORMICK;
Considérant toutefois que les Mutuelles du Mans Assurances et la SCP d'avocats font exactement observer que les projets de la société FONCIÈRE MAC CORMICK et celui de la société domaine de FABREGAS sont distincts l'un de l'autre et présentent des caractéristiques différentes;
Considérant en effet que le projet de la société FONCIÈRE MAC CORMICK se situait à RIS ORANGIS, dans le département de l'Essonne et que l'opération était placée sous les règles d'un plan d'occupation des sols, assorti de servitudes de constructibilité courantes, alors que le projet du domaine de FABREGAS avait pour lieu d'implantation la SEYNE sur MER dans le département du Var, et présentait des contraintes d'urbanismes particulières afférentes notamment à sa situation le long du littoral, qui relevaient de la loi sur la protection du littoral, que le territoire affecté au projet du
domaine de FABREGAS était situé selon le certificat d'urbanisme des contraintes d'urbanismes particulières afférentes notamment à sa situation le long du littoral, qui relevaient de la loi sur la protection du littoral, que le territoire affecté au projet du domaine de FABREGAS était situé selon le certificat d'urbanisme en zone NA, qui ne pouvait être urbanisée que par la création d'une Zone d'Aménagement Concertée (ZAC), dont la procédure relève des services de l'Etat et échappe à la maîtrise de la Commune et en Zone ND, définitivement inconstructible, sauf changement du Plan d'occupation du sol;
Considérant qu'il est nécessaire dans ces conditions d'apprécier la réalité de la perte d'une chance sérieuse de réformation du jugement rendu le 16 juin 1999 par le tribunal de grande instance de Nanterre non par référence à l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 29 avril 2002 statuant sur l'appel formé contre le jugement rendu par ce même tribunal le 22 mars 2000 dans la procédure concernant les sociétés rue des ORTEAUX, TRAKTIR, et FONCIÈRE MAC CORMICK, mais sur les seuls éléments produits par les parties relatifs à l'opération du domaine de FABREGAS;
Considérant que dans son jugement du 16 juin 1999, le tribunal de grande instance de Nanterre, a prononcé la résiliation du contrat d'architectes aux torts partagés des parties et exclut l'application de la clause de résiliation, aux motifs, d'une part, que l'opération immobilière comportait dès l'origine un aléa, d'autre part, que la SCP d'architectes ayant eu un rôle dans l'appréciation défavorable du dossier par les autorités administratives, n'a pas parfaitement rempli son obligation de moyen;
Considérant que pour établir ce double grief le jugement relève, en premier lieu, que le droit de construire sur les parcelles en cause, "comportait dès l'origine des aléas pour des raisons administratives,
ce que n'ignorait ni les associés de la future SCI DOMAINE DE FABREGAS, ni les architectes, puisque les parcelles étaient situées en zone NA, ce qui impliquait nécessairement un processus de plan d'aménagement privé ou public.", en second lieu "qu'il est reproché au dossier présenté par les architectes l'insuffisance de l'étude d'impact qui doit être complétée pour être conforme aux dispositions du décret du 25 février 1993 sur quatre points. Au fond, les critiques portent sur neuf défauts importants: respect de la loi littoral, mesures d'accompagnement pour sauver la faune et la flore, partis d'aménagement, réseau pluvial, gestion des équipements sportifs et de loisirs, plantation d'un vignoble sur le secteur NAD2, mesures compensatoires, extension de la bastide, place de parking";
Considérant que le tribunal de Nanterre a considéré que "il résulte de ces faits que les deux abandons de projet de ZAC par le Conseil Municipal sont en relation, à tout le moins pour partie, avec les insuffisances du dossier constitué par le cabinet d'architectes (délibération du 16 septembre 1993 constatant l'impossibilité de respecter le calendrier des opérations légales de la création de la ZAC du fait des délais nécessaires au complément d'études).";
Considérant qu'il est constant que:
- le 3 mars 1989 la société hôtelière et immobilière de Paris a vendu à la société d'économie mixte de développement de l'Ouest Varois, ci - après SADOVAR, le domaine de FABREGAS représentant une superficie d'environ 30 hectares dont elle était propriétaire, pour le prix de 25.000.000 F;
- qu'un certificat d'urbanisme négatif, en date du 21 février 1989, précise que cette propriété est située à l'intérieur d'une Zone NA (zone d'urbanisation future) "qui compte tenu du niveau d'équipement et de la situation nécessite des procédures de mises en oeuvre telles qu'il en résulte un aménagement coordonné et d'une Zone ND (zone
inconstructible) à l'intérieur de laquelle l'édification de toute construction est interdite.";
-le même jour, la SADOVAR a emprunté à la SCI, en formation, domaine de FABREGAS, une somme de 25.000.000 F et consenti à cette même SCI une promesse de vente au prix de 27.900.000 F sous la condition résolutoire de la non obtention d'un permis de construire autorisant la réalisation d'un programme de construction de logements à usage de résidence principale, de résidences secondaires, d'activités commerciales et d'activités hôtelières, d'une superficie de 44.000 m de SHON, à la date du 15 novembre 1989;
- la SADOVAR a confié à la SCP d'architectes une mission d'étude de faisabilité architecturale pour la réalisation de cette opération moyennant un forfait d'honoraires de 1.000.000 F HT;
- dès la première phase de l'étude de faisabilité, les administrations concernées ont fait connaître à la SADOVAR et à la SCP d'architectes, l'impossibilité de faire aboutir le projet par la procédure des permis d'aménagement de lotissements et de construire et la nécessité de recourir à la procédure de ZAC, (zone d'aménagement concerté);
- un règlement de 300.000 F a été effectué par la SADOVAR à la SCP d'architectes, la mission d'étude de faisabilité interrompue et les parties ont décidé de recourir à la procédure de la ZAC;
- le 14 février 1989 la SCI domaine de FABREGAS a signé avec la SCP d'architectes un contrat de mission complète d'architectes dont les phases " Etudes préliminaires" et "Avant - projet" correspondent au dossier de ZAC; Ce contrat est établi sur la base du programme de mission d'études de faisabilité confié par la SADOVAR, à savoir des constructions SHON de 44.000 m , un montant prévisionnel des travaux de 215.000.000 F HT et un taux d'honoraires de 6%;
- cette première procédure de ZAC, prévoyait, sur un périmètre de ZAC
de 30 hectares la réalisation de construction SHON de 58.000 m ou 800 logements répartis entre 2 zones urbanisables, un "village haut" (construction SHON 20.000 m ou 340 logements), et un "village bas" (construction SHON 45.000m ou 460 logements) et 10.000 m de constructions disséminées, pour un honoraire total de 12.900.000 F HT;
- le contrat prévoit, en cas de résiliation sur l'initiative du maître de l'ouvrage, non justifiée par le comportement fautif des architectes, le versement, outre les honoraires liquidés au jour de la résiliation, d'une indemnité égale à 20% de la partie des honoraires qui auraient été versés si la mission n'avait pas été interrompue;
- le 9 mars 1990 le conseil municipal de la SEYNE sur MER a décidé la création de la ZAC DOMAINE de FABREGAS et en a approuvé le projet le 6 juillet de la même année;
- le 23 octobre 1990 le Préfet du Var a transmis des éléments relatifs au plan d'occupation des sols et demandé que ses services soient associés à l'élaboration du plan d'aménagement de zone;
- le 2 avril 1991 la SCI domaine de FABREGAS s'est transformée en société à responsabilité limitée avec effet au 1er janvier 1991;
- le 20 juin 1991 le plan d'occupation des sols a été annulé;
- le 17 octobre 1991 le Préfet a demandé que le nouveau POS ne comprenne pas le village haut;
- le 25 octobre 1991 un nouveau POS a été approuvé et annulé courant 1992;
- le 28 juin 1993 le conseil municipal a décidé la création d'une deuxième ZAC, dont le périmètre a été ramené à 26 hectares, qui ne comprenait plus le "village haut" et dont la densité du village bas était augmentée et qui avait pour objectif la réalisation en construction d'une SHON de 35.000 m , dont 30.500 m ou 625 logements
et 4.500 m d'équipements;
- par lettre du 12 août 1993 le Préfet a demandé au maire de la SEYNE sur MER de reprendre et de compléter le dossier de création de cette seconde ZAC pour tenir compte de ses précédentes observations, notamment sur le respect de la loi du littoral et de la loi d'orientation pour la ville du 13 juillet 1991;
- le 16 septembre 1993 le conseil municipal de la SEYNE sur MER a décidé d'annuler la procédure en cours;
- le 28 janvier 1994 le conseil municipal de la SEYNE sur MER a décidé la reprise de la création d'une ZAC,
- le 30 octobre 1994 la promesse de vente a été prorogée jusqu'au 31 décembre 1994,
Le projet de création de la ZAC a ensuite été progressivement abandonné;
Considérant que M. Y..., dans son rapport d'expertise déposé le 20 février 1998:
- précise, la SCP d'architecte n'ayant pas demandé le règlement de l'indemnité de rupture de mission lors de l'arrêt des études de la première ZAC, avoir évalué le montant de cette indemnité par rapport à l'interruption de la mission de la seconde ZAC;
- évalue à 4.250.742 F TTC, déduction faite des acomptes déjà versés, le montant des honoraires restant dus à la SCP d'architectes par la société domaine de FABREGAS;
- fait observer, en réponse à un dire de la société domaine de FABREGAS qui soutenait que les autorisations administratives n'ayant pas été obtenues par la société SADOVAR, la SCI domaine de FABREGAS n'avait pu acquérir le terrain et que de ce fait le contrat d'architecte avait perdu sa cause, qui était de permettre la réalisation d'un programme immobilier avec acquisition du terrain par
la société domaine de FABREGAS après obtention des autorisations administratives, que le contrat en cause a pour objet " les prestations concourant à l'étude, à l'élaboration et au suivi du dossier ZAC ainsi qu'à la réalisation de 700 logements environ et d'équipements d'accueil.", et précise que l'architecte n'est pas responsable des décisions administratives et qu'il "n'a pas et ne peut avoir d'obligation de résultat à ce sujet.";
Considérant que la Mutuelle du Mans et la SCP d'avocats qui contestent l'existence d'une chance sérieuse de réformation du jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 16 juin 1999 soutiennent, en premier lieu, que les architectes ne pouvaient pas ignorer, au moment de la conception du projet, les contraintes d'urbanismes spécifiques résultant de la loi littoral, qui ont fait l'objet de réserves du Préfet dans sa lettre du 23 octobre 1990 et que leur devoir de conseil et de prudence leur commandaient, dès lors, à tout le moins de faire des réserves sur les chances de mener le projet à bonne fin, alors que les terrains étaient en l'état inconstructibles, en second lieu, que c'est à juste titre que le tribunal de Nanterre, dans son jugement du 16 juin 1999, a relevé que les deux abandons de ZAC par le conseil municipal de la SEYNE sur MER sont en relation, à tout le moins pour partie, avec les insuffisances du dossier constitué par le cabinet d'architecte, (délibération du 16 septembre 1993 constatant l'impossibilité de respecter le calendrier des opérations légales de la création de la ZAC du fait des délais nécessaires au complément d'études);
Considérant qu'il ressort toutefois des constatations, non discutées, de l'expert, d'une part, que le maire de la SEYNE sur MER en ses qualités tant de maire, que de président de la société d'économie mixte SADOVAR avait, une parfaite connaissance des termes du plan d'occupation des sols et de la loi littoral et que ce sont les
administrations et la Mairie qui ont décidé de recourir à la procédure de ZAC, d'autre part, que c'est sur la demande du Préfet que le village haut, compris dans la ZAC no1 a été abandonné et que le principe de la ZAC no2 (village bas et équipements) a été accepté par le Préfet qui a pris en compte les contraintes d'urbanisme dont celles résultant de la loi littoral;
Considérant par ailleurs que le Préfet du VAR, dans sa lettre du 12 août 1993, relative à la ZAC du domaine de FABREGAS, adressée au maire de la SEYNE sur MER, a, en premier lieu, demandé, sur la forme, un complément de l'étude d'impact, pour la rendre conforme au décret du 25 février de la même année, sur le fond, un approfondissement de l'impact, en termes d'équipements, de l'accueil de 2.000 personnes supplémentaires sur le site et notamment sur les plages de FABREGAS et de la VERNE, en second lieu, rappelé le caractère impératif des mesures d'accompagnement prévues pour sauvegarder la faune et la flore et demandé la modification du plan d'un des lotissements, en troisième lieu, préconisé la solution avec bassin de rétention pour le réseau fluvial, en quatrième lieu, réclamé un engagement de l'aménageur sur la gestion des équipements sportifs et de loisirs, le chiffrage des mesures compensatoires, et l'estimation des places de parking nécessaires pour la fréquentation des équipements ludiques ouverts au public;
Considérant que le contenu de cette lettre n'établit pas un manquement du cabinet d'architecte à son devoir de renseignement et de conseil et qu'il ressort au demeurant du rapport d'expertise, que postérieurement à cette lettre, et après concertation avec les services de l'Etat une maquette du projet a été réalisée et des réponses aux observations du Préfet préparées, que la maquette et des documents graphiques ont été présentés au Préfet, que le projet a été présenté à l'architecte conseil de l'Etat et que le dossier de
présentation à la commission des sites a été mis au point;
Considérant qu'il ressort également de ce rapport que le maire de la SEYNE sur Mer a démissionné courant 1994 et que son remplaçant, puis son successeur n'ont pas donné suite au dossier ZAC;
Considérant dans ces conditions que "les manquements caractérisés" des architectes à leurs obligations d'information, de conseil et d'assistance et à leurs obligations de présenter des dossiers de nature à rendre possible l'opération immobilière dans les délais imposés à leur client, retenus par le tribunal de grande instance de Nanterre dans son jugement du 19 juin 1999, ne sont pas démontrés;
Considérant qu'il y lieu dès lors de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a dit que la faute commise par son avocat a fait perdre à la SCP d'architectes une chance sérieuse d'obtenir en appel la réformation de ce jugement sur la résiliation aux torts partagés du contrat du 14 février 1989 et l'application de la clause prévue dans le cas d'une résiliation imputable au maître d'ouvrage;
Sur l'évaluation du préjudice:
Considérant que la SCP d'architectes fait grief au jugement querellé d'avoir évalué son préjudice à la somme de 72.600 ç alors que son préjudice est égal à la somme de 685.596,64 ç HT, majorée des intérêts légaux avec capitalisation à compter du 24 juin 1996, soit une somme de 1.063.600 ç TTC arrêtée à la date du 21 mai 2003, correspondant à l'estimation de son préjudice retenu par l'expert;
Considérant que pour s'opposer à cette demande la Mutuelle du Mans et la SCP d'avocats soutiennent, en premier lieu, que l'éventuelle condamnation en appel de la société domaine de FABREGAS, qui n'a plus d'existence légale depuis 2003 et qui, en août 1994, avait perdu la moitié de son capital n'aurait jamais reçu exécution en raison de l'incapacité de cette société à payer quoi que ce soit, en second lieu, que des poursuites engagées contre le CDR, qui n'a pris aucun
engagement à l'égard de la SCP d'architectes, n'auraient jamais pu aboutir;
Considérant toutefois que la SCP d'architectes justifie, par la production d'une lettre en date du 20 décembre 2002 et la copie d'un chèque bancaire, que le Consortium de Réalisation, intervenant pour le compte des sociétés des ORTEAUX, TRAKTIR, domaine de FABREGAS et FONCIÈRE MAC CORMICK, a procédé au règlement de l'intégralité des condamnations mises à la charge de ces sociétés;
Considérant que l'expert judiciaire Y... évalue, dans son rapport du 20 février 1998, le montant de la somme restant due par la société domaine de FABREGAS à la SCP d'architectes à la somme de 4.250.742 F TTC, soit 648.021,44 ç, déduction faite des acomptes reçus;
Considérant que son calcul, qui n'est discuté par aucune des parties, sera entériné;
Considérant que la société domaine de FABREGAS a été condamnée par jugement définitif du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 16 juin 1999 à payer à la SCP d'architectes à une somme de 476.370 F TTC, soit 72.617,56 ç, réglée par le CDR;
Considérant que le préjudice résultant pour la SCP d'architecte de la perte d'une chance sérieuse de réformation de ce jugement sera fixé donc à la somme de 550.000 ç, que la SCP d'avocat sera condamnée à lui payer, en deniers ou quittances compte tenu de l'exécution provisoire du jugement entrepris;
Sur les dépens et l'article 700 du nouveau code de procédure civile:
Considérant que la SCP d'avocats et la Mutuelle du Mans Assurances seront condamnées in solidum aux dépens de l'appel et à verser à la SCP d'architectes une indemnité de procédure dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt;
Sur la garantie de la Mutuelle du Mans Assurance:
Considérant que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la Mutuelle du Mans Assurances à garantir la SCP d'avocats des condamnations mises à sa charge;
Par ces motifs:
Confirme le jugement querellé sauf sur le montant de l'indemnité de la SCP d'architectes pour perte d'une chance sérieuse,
Réformant et statuant à nouveau sur ce chef de demande,
Condamne la SCP d'avocats LE SOURD - DESFORGES - POPINEAU - FREMY - HAYAUX du TILLY à payer, en deniers ou quittances, à la SCP d'architectes GIRAUD HECKLY la somme de CINQ CENT CINQUANTE MILLE Euro (550 000 ç), avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2005,
Condamne la SCP d'avocats LE SOURD - DESFORGES - POPINEAU - FREMY - HAYAUX du TILLY aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile,
Condamne la SCP d'avocats LE SOURD - DESFORGES - POPINEAU - FREMY - HAYAUX du TILLY, sur le fondement de l'article 700 du même code, à payer à la SCP d'architectes GIRAUD HECKLY une indemnité de procédure d'un montant de CINQ MILLE Euro (5.000 ç).
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT