Grosses délivrées
REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
1ère Chambre - Section A
ARRET DU 26 SEPTEMBRE 2006
(no , 4 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 05/11061 Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Mars 2005 -Tribunal de Grande Instance de PARIS. (1ère chambre, 1ère section) RG no 03/14253 APPELANT Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR représentant l'Etat Français Bâtiment Condorcet - TELEDOC 353 6, rue Louise Weiss 75703 PARIS CEDEX 13 représenté par Me Frédéric BURET, avoué à la Cour assisté de Me Jean-Marc DELAS, avocat au barreau de PARIS, toque A 82 INTIMEES Madame Amina X... épouse Y... ... Madame Sonia Y... épouse Z... ... représentées par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoué à la Cour assistées de Me Francis TRIBOULET, avocat au barreau de PARIS, toque P110 COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 juin 2006, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du nouveau code de procédure civile devant la Cour composée de :
M. GRELLIER, président
Mme HORBETTE, conseiller
Mme MOUILLARD, conseiller
qui ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Mme RIGNAULT Ministère public :
représenté lors des débats par Mme TERRIER-MAREUIL, avocat général, qui a fait connaître son avis ARRET :
- contradictoire
- prononcé en audience publique par M.GRELLIER, président.
- signé par M.GRELLIER, président et par Mme RIGNAULT, greffier présent lors du prononcé.
Le 27 mai 1991, A'ssa Y..., âgé de 18 ans, est décédé des suites d'une crise d'asthme alors qu'il était en garde à vue au commissariat de Mantes la Jolie.
Une information pour recherche des causes de la mort a d'abord été ouverte sur le fondement de l'article 74 du Code de procédure pénale puis s'est poursuivie des chefs d'homicide involontaire et de non assistance à personne en péril à la suite de la constitution de partie civile, le 12 juin 1991, de son père, M. Hammad Y....
Le 28 février 1996, le juge d'instruction a renvoyé devant le tribunal correctionnel M. Michel A..., médecin intervenu lors de la garde à vue, sous la prévention d'homicide involontaire.
Sur appel de M. Hammad Y..., la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles a, par arrêt du 25 juin 1996, infirmé cette décision et ordonné un supplément d'information aux fins, notamment, de notification à deux policiers de leur mise en examen pour violences volontaires avec armes n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail de plus de huit jours commises par une personne dépositaire de l'autorité publique puis, le 23 juin 1999, a renvoyé
devant le tribunal correctionnel le docteur A... et les policiers Jean B..., Eric C... et Bruno D....
Le 10 mai 2000, la Chambre criminelle de la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt.
Par jugement du 20 mars 2001, le tribunal correctionnel de Versailles, devant lequel Mme Amina X... épouse Y... et Mme Sonia Y... épouse Z..., respectivement mère et soeur de A'ssa Y..., s'étaient constituées parties civiles, a condamné Michel A..., Jean B... et Eric C..., renvoyant Bruno D... des fins de la poursuite.
Ce jugement a été confirmé sur la culpabilité mais réformé sur les peines par un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 6 février 2002 et le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté le 4 février 2003.
C'est dans ces conditions que, le 15 juillet 2003, M. Hammad Y..., Mme Amina X... épouse Y... et Mme Sonia Y... épouse Z..., se plaignant du fonctionnement défectueux du service de la justice, ont assigné l'agent judiciaire du Trésor sur le fondement de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 23 mars 2005, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la fin de non recevoir prise du défaut de qualité de Mme Amina X... épouse Y... et de Mme Sonia Y... épouse Z... et a condamné l'agent judiciaire du Trésor à payer 10 000 euros à chacune des parties demanderesses. LA COUR :
Vu l'appel interjeté par l'agent judiciaire du Trésor le 17 mai 2005 ;
Vu les conclusions de désistement d'appel de l'agent judiciaire du Trésor envers M. Hammad Y... en date du 27 septembre 2005 ;
Vu l'ordonnance du magistrat de la mise en état, en date du 10
octobre 2005, donnant acte à l'agent judiciaire du Trésor de son désistement partiel et constatant l'extinction de l'instance à l'égard de M. Hammad Y..., l'affaire se poursuivant entre les autres parties ;
Vu les conclusions déposées le 27 septembre 2005 par lesquelles l'agent judiciaire du Trésor poursuit l'infirmation du jugement et demande à la cour de déclarer irrecevables pour défaut d'intérêt à agir Mmes Y... en leurs demandes indemnitaires, faute de justifier de leur qualité d'usagers du service public de la Justice lors de la procédure devant le juge d'instruction, et, à titre subsidiaire, de réduire sensiblement le montant des indemnisations allouées au regard de celle accordée à M. Hammad Y... ;
Vu les conclusions déposées le 13 juin 2006 par lesquelles Mmes Y... poursuivent la confirmation du jugement, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts, et demandent à la cour de condamner l'agent judiciaire du Trésor à leur payer à chacune une indemnité de 50 000 euros ainsi que la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; SUR CE :
Considérant que, selon l'article L 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le dysfonctionnement défectueux du service de la justice lorsque ce dysfonctionnement résulte soit d'une faute lourde soit d'un déni de justice ; que constitue un déni de justice tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle, lequel a pour objet de garantir le droit de tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable ; qu'une telle obligation suppose que la juridiction dont l'inertie est alléguée ait été effectivement saisie de ces prétentions ;
Considérant qu'en l'espèce, Mmes Y... réclament l'indemnisation du préjudice qu'elles prétendent avoir subi du fait de la longueur
anormale de l'ensemble de la procédure pénale ouverte à la suite du décès de leur fils et frère, soutenant que la qualité d'usager du service de la justice ne peut leur être déniée dès lors qu'elles sont directement concernées par la procédure alléguée de dysfonctionnement ;
Mais considérant qu'eu égard aux principes sus-rappelés, Mmes Y... -dont la qualité d'usagers du service de la justice ne peut être contestée dès lors qu'elles se sont constituées parties civiles devant la juridiction correctionnelle - ne sont recevables à se plaindre de la durée anormale de la procédure qu'à partir du moment où elles-mêmes ont revêtu la qualité de partie à cette procédure ; que c'est donc à juste titre que l'agent judiciaire du Trésor leur oppose l'irrecevabilité de leurs demandes, dès lors qu'elles n'invoquent aucun manquement postérieur à leurs constitutions de partie civile, se bornant à se retrancher derrière l'appréciation des premiers juges, qui n'ont retenu que la durée anormale de l'instruction préparatoire ;
Qu'il suit de là que leurs demandes doivent être déclarées irrecevables et le jugement infirmé ; PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement déféré mais seulement en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de Mme Amina X... épouse Y... et de Mme Sonia Y... épouse Z... et leur a alloué à chacune une indemnité de 10 000 euros ;
Et statuant à nouveau de ce chef,
Déclare irrecevables les demandes de Mme Amina X... épouse Y... et de Mme Sonia Y... épouse Z... ;
Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne Mme Amina X... épouse Y... et Mme Sonia Y... épouse Z... aux dépens de première instance et d'appel et dit que ces
derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT