REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 1er décembre 2005Mme Roselyne LASSUS-IGNACIO, conseillère à la Cour d'Appel de Papeete, assistée de Mme Maeva TEVERO, greffier ;En audience publique tenue au Palais de Justice ;A prononcé l'arrêt dont la teneur suit :Entre :1- La Société Mara'amu Stock, SARL inscrite au registre du commerce Papeete sous le numéro 2785-B, BP 3909 PAPEETE, dont le siège social est à Papeete passage Cardella, agissant poursuites et diligences de son gérant, M. Frédéric X..., domicilié en cette qualité de droit audit siège ;2- La Société MAKETE SURF, inscrite au RCS PAPEETE sous le no 3770-B, BP 3909 PAPEETE, rue du 22 septembre, prise en la personne de M. Frédéric X..., liquidateur de ladite société selon assemblée générale extraordinaire du 14 juin 2000 ;Appelantes par requête en date du 18 juin 2003, déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'Appel le 11 du même mois, sous le numéro de rôle no 336/CIV/03, des décisions no 93/01103 du Tribunal Civil de première instance de Papeete en date du 22 janvier 2003 et d'un avant dire droit no 12/12 du 10 janvier 2006 ;Représentées par Me QUINQUIS, avocat à Papeete ;
d'une part ;Et :1- Monsieur Claude Y..., né le 27 septembre 1948 à Pointe à Pitre, de nationalité française, exerçant la profession de photographie, demeurant à ... ;Représenté par Me MAISONNIER, avocat à Papeete ;2- Madame Dorothy Z... veuve A..., née le 31 janvier 1949 à ORANGE, CALIFORNIE, USA, commerçante à l'enseigne Bar Vakalele inscrite en cette qualité au RCS de PAPEETE sous le no XXX, et dont le principal établissement se
trouve à Huahine, aéroport de Fare û Huahine ;3- La Société REVA REVA, SARL inscrite au RCS PAPEETE sous le numéro 3492-B, BP 3338 PAPEETE, et dont le siège social se trouve rue Lagarde no 36, prise en la personne de Mme Laurence B..., prise en sa qualité de liquidateur amiable selon assemblée générale extraordinaire du 26 juin 2001 ;Représentés par Me Des ARCIS, avocat à Papeete ;Intimés,
d'autre part ;Après que l'affaire ayant été plaidée en audience publique du 20 octobre 2005 devant M. ELLUL, président de chambre, Mme LASSUS-IGNACIO et Mme PINET-URIOT, conseillères, assistés de Mme TEVERO, greffier, le prononcé de l'arrêt ayant été renvoyé à la date de ce jour ;Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
A R R E T,LES FAITS ET LA PROCEDURE :Robert C..., dit "Bobby", peintre et musicien renommé en POLYNESIE FRANOEAISE est décédé en 1991, en laissant une importante .uvre picturale, qui a fait l'objet, de mars à mai 1991, d'une rétrospective au musée de Tahiti et des Iles.A cette occasion un éditeur australien, la société Pacific Bridge Publition, a demandé à Claude Y..., photographe, de réaliser des clichés de toutes les .uvres exposées en vue d'éditer un ouvrage intitulé "Bobby, Polynesian visions".Le 19 Juillet 1993 le Président du Tribunal de Première Instance a autorisé Claude Y... à faire procéder à la saisie contrefaçon des tee shirts, débardeurs et posters reproduisant, selon ses dires, les photos prises par lui des tableaux de "Bobby", et commercialisés par la SARL MARAAMU STOCK, la société MAKETE SURF et la SARL REVA REVA.Le 25 Août 1993 Claude Y... a assigné Dorothy A..., légataire universelle des droits de "Bobby", les trois sociétés ci-dessus, pour faire juger que les défenderesses commercialisent des effets reproduisant certaines de ses photographies, alors qu'il n'a cédé ses droits de reproduction des photos qu'à l'éditeur du livre "Bobby, Polynesian visions", et se sont rendues coupables du délit de contrefaçon.Il demandait la
validation saisies contrefaçon, et la condamnation des défenderesses à lui payer une rémunération au titre des droits d'auteur, à déterminer par expertise.Par jugement du 10 Janvier 1996, le Tribunal de Première Instance de PAPEETE, statuant pour partie au fond et pour partie avant dire droit a :- dit que les photos des tableaux de "Bobby" prises par Claude Y... étaient des .uvres protégées au sens de l'article L 111-2 du code de la propriété intellectuelle et qu'il en était seul propriétaire ;- constaté qu'il n'avait pas consenti à leur reproduction autrement que dans le livre "Bobby, Polynesian visions" ;- dit que Dorothy A..., et les sociétés MARAAMU STOCK, MAKETE SURF et REVA REVA s'étaient rendues coupables de contrefaçon ;- validé les saisies ;- interdit à Dorothy A... et aux sociétés MARAAMU STOCK, MAKETE SURF et REVA REVA de reproduire les photographies litigieuses et d'en commercialiser les produits dérivés ;- sursis à statuer sur l'indemnisation du préjudice de Claude Y..., et avant dire droit, a ordonné une expertise ;- condamné in solidum Dorothy A..., et les sociétés MARAAMU STOCK, MAKETE SURF et REVA REVA à payer à Claude Y... 12 000 FCFP pour frais et honoraires non compris dans les dépens ;- a ordonné l'exécution provisoire.L'appel formé contre ce jugement a été jugé tardif et donc irrecevable par la cour, par arrêt du 6 Juin 1997.Le Premier Président de la Cour d'Appel de PAPEETE a ordonné la consignation de la somme de 2 000 000 FCFP pour éviter l'exécution provisoire.Le 13 Octobre 1998, l'expert a déposé un rapport dans lequel il faisait connaître qu'il lui avait été impossible de remplir sa mission, faute pour la SARL MARAAMU STOCK et la société MAKETE SURF d'avoir produit les documents comptables nécessaires.Le juge de la mise en état a alloué à Claude Y... une provision de 2 000 000 FCFP le 13 Octobre 1999.Par jugement du 22 Janvier 2003, le Tribunal de Première Instance a rappelé que si l'appel du jugement du 10 Janvier 1996
restait possible avec le jugement au fond, ce jugement avait l'autorité de la chose jugée jusqu'à la décision de la cour sur le tout.Le Tribunal a, notamment, - condamné in solidum Dorothy A... et la SARL REVA REVA à payer à SARL MARAAMU STOCK 100 000 FCFP de dommages et intérêts.- condamné in solidum Dorothy A..., la SARL MARAAMU STOCK et la société MAKETE SURF à payer à Claude Y... 8 000 000 FCFP de dommages et intérêts dont à déduire la provision de 2 000 000 FCFP ;- condamné Dorothy A..., et les sociétés MARAAMU STOCK, MAKETE SURF et REVA REVA à payer à Claude Y... 200 000 FCFP pour frais et honoraires non compris dans les dépens.La SARL MARAAMU STOCK et la société MAKETE SURF ont relevé appel des deux jugements des 10 Janvier 1996 et 22 Janvier 2003.Claude Y... a relevé appel incident.LES MOYENS DES PARTIES DEVANT LA COUR :Les sociétés MARAAMU STOCK et MAKETE SURF soulèvent au préalable une exception d'irrecevabilité ; selon elles, en effet, Claude Y... ne détient aucun droit d'auteur sur les clichés pris par lui, Dorothy A... ne lui ayant concédé aucune licence d'exploitation de l'.uvre de "Bobby".Subsidiairement, au fond :Les appelantes font valoir que si les photos du livre sont pour la plupart celles de Claude Y..., l'ouvrage spécifie que certains clichés sont de Claire LEIMBACH et Christian D.... S'agissant de la fabrication des vêtements portant les reproductions d'.uvres de "Bobby", les appelantes affirment qu'elle a été faite d'après des négatifs fournis par Dorothy A..., qui avait pris l'initiative d'une telle fabrication, et qui leur avait fourni les clichés émanant de multiples personnes non identifiables sur les seuls clichés.Ainsi selon elles Claude Y... ne peut se prétendre seul photographe de l'.uvre de "Bobby" et il leur était impossible de justifier des reproductions qui provenaient des clichés de celui-ci.Elles rappellent qu'elles avaient sollicité un complément d'expertise, qui leur a été refusé, afin de vérifier si
les tableaux reproduits sur les vêtements provenaient bien de clichés dont Claude Y... s'attribuait la paternité.Les appelantes reprochent au premier juge (jugement de 1996) d'avoir dit que les clichés pris par Claude Y... étaient des .uvres intellectuelles protégées, l'auteur y ayant exprimé son originalité, par le choix de la pellicule, du chiffre, des objectifs, de l'angle de prise de vue, de l'éclairage et du "bracketing", ces choix caractérisant un effort personnel et un apport en qualitéà Or selon elles, Claude Y... ne rapporte pas la preuve du caractère original de ces photographies, et notamment de celles dont il reproche la reproduction aux sociétés MARAAMU STOCK et MAKETE SURF, de même qu'il ne rapporte pas la preuve que ce sont ses propres clichés qui ont été utilisés par elles, et le premier juge ne les a pas identifiés.Subsidiairement, les sociétés MARAAMU STOCK et MAKETE SURF contestent les sommes allouées à Claude COIRAULT.Dans le cas où leur condamnation serait confirmée, elles demandent que Dorothy A... soit condamnée à les garantir, dès lors qu'elle est à l'initiative de la reproduction litigieuse.Les sociétés MARAAMU STOCK et MAKETE SURF forment une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts, en raison de l'action téméraire entreprise contre elles par Claude Y..., qui les a privées de la commercialisation des vêtements et leur a fait perdre 16 294 980 FCFP de marge commerciale, en sus des 2 000 000 FCFP de provision qu'elles ont dû payer.Elles en demandent le remboursement, outre 1 000 000 FCFP pour chacune d'entre elles en raison du préjudice résultant de la saisie, et 1 000 000 FCFP sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure Civile de la Polynésie française.Claude Y... proteste qu'il est l'initiateur des clichés destinés au livre, et qu'il était lié à l'éditeur en vertu de conventions internationales aux termes desquelles le photographe est seul propriétaire des clichés.Il rappelle que la jurisprudence reconnaît la propriété
intellectuelle aux photographes d'.uvres d'art, ce dernier ne s'effaçant pas derrière le peintre et faisant preuve d'une démarche de créateur.Il fait observer que Dorothy A... elle-même, dans un courrier de 1993, reconnaît la nécessité d'avoir son accord pour commercialiser les photos de Claude COIRAULT.Il sollicite donc la confirmation du jugement du 10 Janvier 1996 ; en revanche, il demande à la cour de réformer le jugement du 22 Janvier 2003 sur le montant des condamnations et de lui allouer 26 600 000 FCFP de dommages et intérêts, outre 1 000 000 FCFP sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure Civile de POLYNESIE FRANOEAISE.Dorothy A... et la SARL REVA REVA ont adopté les écritures des appelantes et n'ont jamais conclu.MOTIFS DE LA DECISION,La recevabilité de l'appel des deux jugements n'est pas discutée. En effet, le premier jugement étant partiellement avant dire droit, l'appel en est possible avec le jugement rendu sur le fond, en application de l'article 331 du Code de Procédure Civile de Polynésie.Sur l'irrecevabilité de l'action de Claude Y... :Contrairement à ce que soutiennent les appelantes , Claude Y... agit pour faire valoir ses droits personnels de créateur photographe, et non comme titulaire des droits de reproduction des .uvres de Robert C... dit "Bobby", lesquels appartiennent à Dorothy LEVY.Son action est recevable.Sur le droit pour Claude Y... de se prévaloir de la propriété intellectuelle :Pour faire juger que les vêtements et posters reproduisant l'.uvre de "Bobby" sont des contrefaçons de ses propres photographies, et obtenir un dédommagement, Claude Y... doit démontrer, conformément à la lettre de l'article L 112-2 du code de la propriété intellectuelle, que ses photographies constituent des .uvres de l'esprit.D'autre part il lui appartient de rapporter la preuve qu'elles ont été effectivement utilisées contre son gré.* sur l'existence d'une .uvre de l'esprit pouvant être protégée :Il n'est
pas contestable que les personnes qui achètent des vêtements ou posters représentant des tableaux de "Bobby" n'ont nulle intention de se rendre acquéreur d'une photo de Claude COIRAULT.En effet, ce qui fait l'originalité des reproductions, et les rend commercialisables, c'est l'.uvre picturale de "Bobby" et non les photos qui ont servi à la reproduction.Pour être protégée, l'.uvre photographique de Claude Y... doit donc présenter une originalité, des particularités, qui en font une .uvre à part entière et non une simple reproduction comme le serait une photocopie.Là encore Claude Y... doit rapporter la preuve de la recherche qu'il a apportée dans son travail, des techniques mises en .uvre, de la touche personnelle qu'il affirme avoir ajoutée, et en tout cas donner à la cour tous les éléments lui permettant de se faire sa propre opinion.Or la cour ne dispose d'aucun moyen pour différencier une photo artistique d'une toile de "Bobby" d'une photo banale, par rapport à un tableau de l'artiste.Les clichés prétendument contrefaits ne sont pas produits, et la cour dispose seulement de photocopies de mauvaise qualité du livre lui-même, reproduites dans le procès verbal de saisie, communiqué en copie par les appelantes, et non par Claude Y... lui-même.Dès lors la cour est dans l'incapacité de vérifier elle-même (ou de mandater un expert pour le faire) de quelle touche créatrice Claude Y... pourrait être crédité en comparaison avec un tableau original de "Bobby".Claude Y... ayant préféré se contenter d'affirmations péremptoires sur son talent, sa créativité, justifier de son curriculum vitae, et citer des extraits de jurisprudence plutôt que de produire les pièces nécessaires au soutien de ses prétentions, il ne peut prétendre à la protection de la propriété intellectuelle pour des clichés qu'il n'a pas remis aux débats.* surabondamment, sur les photographies reproduites sur les vêtements et posters :Il est constant que Claude Y... a photographié
l'intégralité des .uvres de "Bobby" lors de l'exposition de 1993, pour le compte de l'éditeur australien et qu'il a été rémunéré pour ce travail.Bien que l'ouvrage ne soit pas produit, il n'est pas contesté que ce livre contient des photographies réalisées par d'autres photographes.Il n'est pas contesté non plus que les tableaux de "Bobby" ont été abondamment photographiés, notamment de son vivant, comme l'affirme Dorothy A... dans des courriers non contredits, et reproduits avec l'accord de cette dernière, avant le présent litige.Au soutien de ses prétentions, Claude Y... affirme que plusieurs de ses clichés ont été contrefaits, mais il ne produit pas les clichés originaux, ni les négatifs, ni même le livre qui les reproduit ; il s'ensuit qu'aucune comparaison n'est possible, d'autant qu' il n'a pas produit pas non plus le moindre tee shirt, débardeur ou poster comportant un des clichés litigieux, alors que ces articles ont fait l'objet d'une saisie contrefaçon et que les exemplaires saisis doivent être en sa possession.Il est donc impossible de vérifier si les clichés utilisés par les appelantes sont bien ceux de Claude Y... et non ceux d'autres photographes.Les demandes de Claude Y... ne sont donc pas justifiées par des éléments de preuve pertinents et doivent être rejetées.Les deux jugements sont donc réformés.Sur les demandes reconventionnelles des sociétés MARAAMU STOCK et MAKETE SURF :Les appelantes sollicitent la réparation du préjudice que leur a causé la saisie contrefaçon d'une part, et d'autre part l'arrêt de la commercialisation des vêtements reproduisant les .uvres de "Bobby" de 1993 à 2003.Pour cela elles se livrent à une extrapolation des ventes de ces produits avant l'arrêt de la fabrication.Or d'une part, il résulte des documents émanant de leur comptable que les sociétés ont d'abord écoulé leurs stocks jusqu'en 1995. D'autre part, rien ne permet de juger, sur leur seule affirmation, que les ventes de 1996 à
2003 auraient eu la même amplitude qu'en 1993 ou 1994.En effet, à cette époque le souvenir de "Bobby" était vif parmi les gens qui l'avaient connu de son vivant, et le marché a pu naturellement se saturer par suite de l'évolution de la mode, les clients potentiels de ce type de produit, plus jeunes, n'ayant pas connu "Bobby" et ne lui vouant pas nécessairement la même admiration que ses contemporains.Quant au préjudice qui leur aurait été causé par la saisie elle-même, elles ne produisent ni explication ni document justifiant la réalité de ce préjudice.Dès lors les sociétés MARAAMU STOCK et MAKETE SURF ne rapportent pas la preuve du préjudice que leur ont causé l'arrêt de la commercialisation et la saisie contrefaçon, et leurs demandes sont rejetées.Sur les demandes annexes :L'équité ne commande pas de faire droit à la demande des parties sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure Civile local.PAR CES MOTIFS,La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort ;Réforme les jugements rendus les 10 Janvier 1996 et 22 Janvier 2003 par le Tribunal de Première Instance de PAPEETE dans toutes leurs dispositions ;Statuant à nouveau, Déboute Claude Y... de l'intégralité de ses demandes ;Déboute les sociétés MARAAMU STOCK et MAKETE SURF de leurs demandes ;Condamne Claude Y... à l'intégralité des dépens, comprenant les frais d'expertise, dont distraction au profit de la SELARL PIRIOU-QUINQUIS-BAMBRIDGE. BABIN-LAMOURETTE qui affirme en avoir fait l'avance.Prononcé à Papeete le 1er décembre 2005.Le Greffier,
Le Président,M. TEVERO
J.P. ELLUL