COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT DU 21 Janvier 2014
ARRÊT N AD/ JC
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 02018.
Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de MAINE ET LOIRE, décision attaquée en date du 03 Avril 2012, enregistrée sous le no 10283 Assuré : Senturk X...
APPELANTE :
LA SAS TECHNI DESOSS ZAC Les Fousseaux 12 rue du Déry 49480 SAINT SYLVAIN D'ANJOU
représentée par Maître BOURMAUD Yann substituant Maître Morgane COURTOIS-D'ARCOLLIERES de la SA MICHEL LEDOUX et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS
INTIMEE :
LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE (CPAM) DE L'ORNE 34 Place du Général Bonet 61012 ALENCON CEDEX
représentée par Monsieur Y..., muni d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Novembre 2013 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne DUFAU, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne DUFAU, président Madame Laure-Aimé GRUA, conseiller Madame Anne-Catherine MONGE, conseiller
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier
ARRÊT : prononcé le 21 Janvier 2014, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne DUFAU, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE :
M. Senturk X... était employé en qualité de désosseur par la société Techni Desoss depuis 1991, lorsque le 7 août 2007 il fit parvenir à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne (la caisse) une déclaration de maladie professionnelle à laquelle était joint un certificat médical dressé le 29 juin 2007 ainsi libellé : " canal carpien gauche + épitrochléite bilatérale invalidante ", certificat qui sera, le 13 août 2007, complété par un certificat médical mentionnant " tendinite du poignet gauche ".
Le 7 décembre 2007, la caisse a reconnu l'origine professionnelle de la maladie dont était atteint M. X..., en référence au tableau no 57 intitulé " Affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail " avec la précision " association de plusieurs syndromes du tableau ".
L'état de M. X... a été déclaré consolidé le 31 octobre 2008, son taux d'incapacité permanente étant fixé à 10 %.
La société Techni Desoss, après l'échec, le 19 mai 2010, d'un recours amiable en commission, a saisi le 15 juin 2010, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Maine-et-Loire aux fins de faire reconnaître l'inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la maladie de M. X... faute, à titre principal, de respect des dispositions de l'article R. 441-11 alinéas 1 et 3 du code de la sécurité sociale et, à titre subsidiaire, de preuve du caractère professionnel de la maladie.
Par jugement du 3 avril 2012, le tribunal a débouté la société Techni Desoss des fins de son recours et déclaré opposable à son endroit des conséquences financières de la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'affection dont était atteint M. X....
Selon déclaration enregistrée le 28 septembre 2012, la société Techni Desoss a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 30 août précédent.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de ses écritures déposées au greffe le 18 novembre 2013, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il conviendra de se référer et qui peuvent se résumer ainsi qu'il suit, la société Techni Desoss demande à la cour, à titre principal, de dire que la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel des maladies déclarées par M. X... lui est inopposable en raison du défaut de pouvoir du signataire de la décision, à titre subsidiaire, de dire que cette décision lui est inopposable faute de respect des dispositions de l'alinéa 3 de l'article R. 441-11 ancien du code de la sécurité sociale, à titre infiniment subsidiaire, de dire que cette décision lui est inopposable faute de respect des dispositions de l'alinéa 1er de ce même article R. 441-11 ancien du code de la sécurité sociale, plus subsidiairement encore, de dire que cette décision lui est inopposable, le caractère professionnel de ces pathologies n'étant pas établi.
Elle fait valoir que la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle étant un pouvoir propre du directeur de la caisse, celui-ci ne peut le déléguer qu'à certains agents par une délégation expresse et précise quant à la nature des opérations qui peuvent être effectuées. Elle estime qu'en l'espèce, Mme Jocelyne A..., qui a signé la décision de prise en charge du 7 décembre 2007, ne disposait pas d'une délégation de pouvoir suffisante au regard des textes et de la jurisprudence qui en a fait application, en particulier celle de notre cour. Elle ajoute que le plafond annuel de la Sécurité sociale pour l'année 2004 étant de 29 712 euros, la reconnaissance du caractère professionnel des maladies déclarées par M. X... excédait, de toute évidence, ce montant.
Subsidiairement, elle soutient que la caisse n'a pas respecté l'alinéa 3 de l'article R. 441-11 ancien du code de la sécurité sociale en ce qu'elle ne lui a pas adressé un double de la déclaration de maladie professionnelle de M. X... ni précisé le tableau au titre duquel elle diligentait son instruction. Elle en déduit qu'elle n'a pu participer utilement à l'enquête et que le principe du contradictoire n'a pas été observé. Elle rappelle qu'il incombe à la caisse de prouver qu'elle s'est acquittée de son obligation d'information et considère qu'elle ne rapporte pas cette preuve en l'espèce. Elle expose, encore, que la caisse aurait dû ouvrir trois dossiers différents, la déclaration portant sur trois maladies.
Infiniment subsidiairement, elle explique que la caisse n'a pas satisfait aux exigences du premier alinéa de l'article R. 441-11 ancien du code de la sécurité sociale pour ne lui avoir pas transmis le colloque médico-administratif prévu par la Charte AT/ MP mise à jour en juin 2006, de sorte qu'elle n'a pas mis à sa disposition l'intégralité des pièces sur lesquelles elle s'est déterminée.
Plus subsidiairement encore, elle soutient que le caractère professionnel des pathologies n'est pas démontré, l'adéquation parfaite entre ces pathologies et le tableau no 57 invoqué n'étant pas établie, puisque plusieurs pathologies ont été prises en compte sans correspondre à aucune pathologique spécifique du tableau, et rien ne permettant de retenir que M. X... avait effectué les travaux limitativement énumérés dans le tableau.
Dans des écritures déposées au greffe le 13 novembre 2013 et reprises oralement, la caisse demande à la cour de débouter la société Techni Desoss de son recours et de lui déclarer opposables les conséquences financières de la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'affection dont est atteint M. X....
Elle estime que l'identification de la caisse suffit à assurer la validité de l'acte et que l'absence de signature n'entraîne pas la nullité de celui-ci. Elle ajoute que l'annulation de la décision rend implicite la décision de reconnaissance du caractère professionnel du sinistre en vertu de l'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale. Elle précise que Mme A... est une salariée de la caisse qui bénéficie d'une délégation régulière de signature pour la détermination du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie qui lui est dénoncé.
Elle rappelle que la présomption d'origine professionnelle est expressément prévue à l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale dès lors qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles et a été contractée dans les conditions mentionnées dans ce tableau. Elle indique que tant le syndrome du canal carpien que l'épitrochléite ou la tendinite du poignet figurent au tableau no 57 et que les activités de M. X... qui découpait 5 à 6 tonnes de viande par jour, faisait des mouvements d'avant en arrière pour contourner les os, utilisait une hache, effectuait des mouvements répétitifs et serrait fort le couteau entre ses mains répondent également aux activités visées par le tableau. Elle en déduit qu'il appartient à l'employeur qui conteste l'imputabilité de la maladie aux activités de son salarié de rapporter la preuve qu'elles n'ont joué aucun rôle dans le développement de la maladie.
Elle considère que le principe du contradictoire a été parfaitement respecté, la déclaration de maladie professionnelle ayant été transmise à la société Techni Desoss avec le code syndrome de la pathologie déclarée " 57 ". Elle observe que l'entreprise a d'ailleurs répondu de façon pertinente au questionnaire qui lui avait été adressé sans lui reprocher un défaut de transmission de la déclaration de maladie professionnelle et conteste avoir eu l'obligation d'effectuer une instruction pour chacune des pathologies. Elle explique qu'en réponse à la demande de la société Techni Desoss formulée le 26 novembre 2007, elle lui a transmis le lendemain les pièces du dossier sans soulever d'observation de la part de celle-ci et soutient qu'elle n'avait pas à transmettre la fiche du colloque médico-administratif qui n'avait pas encore été mise en place, alors qu'elle communiquait les fiches de liaison médico-administratives confirmant les pathologies de M. X... et leur relation avec les pathologies du tableau. Enfin elle rappelle qu'elle n'était pas tenue d'envoyer les pièces mais uniquement de les mettre à la disposition de l'entreprise pour consultation.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Attendu qu'aux termes de l'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale, c'est " la caisse " qui statue sur le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie qui lui a été déclaré ;
Qu'en l'absence de dispositions particulières contraires, la seule mention de " la caisse " dans ce texte a pour effet de confier le pouvoir de reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie à son seul directeur, lequel, en vertu de l'article R. 122-3 du code de la sécurité sociale, " assure le fonctionnement de l'organisme sous le contrôle du conseil d'administration " et se trouve ainsi compétent, par principe, pour prendre l'ensemble des décisions émises au nom de l'organisme de sécurité sociale ;
Attendu qu'en application des dispositions combinées des articles R. 122-3 et D. 253-6 du code de la sécurité sociale, le directeur de la CPAM peut, d'une part, déléguer, sous sa responsabilité, une partie de ses pouvoirs à certains agents de l'organisme, d'autre part, déléguer à titre permanent, sa signature au directeur adjoint de la caisse ou à un ou plusieurs agents de l'organisme ;
Qu'aux termes de l'alinéa 3 du second de ces textes, " Cette délégation doit préciser, pour chaque délégué, la nature des opérations qu'il peut effectuer et leur montant maximum s'il y a lieu. " ;
Que cette exigence de précision des délégations de signature données par un directeur à ses collaborateurs est rappelée par la circulaire CNAMTS du 9 juillet 2001 ;
Qu'il résulte de ces dispositions claires que, contrairement aux allégations de la caisse, la délégation de pouvoir ou de signature doit être expresse quelles que soient la ou les opérations concernées, précise et interprétée limitativement ;
Attendu que la caisse verse aux débats (pièce no 17 de la caisse) la délégation de signature donnée, le 19 juillet 2004, par le directeur de la caisse à Mme Jocelyne A..., agent 129-5, en sa qualité de technicien AT libellée dans les termes suivants : " L'engagement et l'ordonnancement des dépenses et recettes de prestations toutes gestions confondues et quel que soit le support, dans la limite de la valeur du plafond annuel de la Sécurité sociale par mouvement mais sans limitation de somme pour les factures aux établissements de soins (A4) " ;
Attendu qu'au regard de l'exigence de précision posée par l'article D. 253-6 du code de la sécurité sociale quant à la nature des opérations pouvant être effectuées par le délégataire, la délégation de la décision intellectuelle de prise en charge ne s'induit pas des termes " engagement " ou " ordonnancement " dans la mesure où ces opérations, réalisées en aval, procèdent de l'exécution de la décision de prise en charge sans se confondre avec elle ;
Qu'en raison des limites dans lesquelles elle est ainsi enfermée, la délégation de signature consentie à Mme A... ne lui permettait donc pas, à la date du 7 décembre 2007, de prendre la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par M. X... ;
Que, dans les rapports employeur/ caisse, ce défaut de pouvoir, sans rapport avec l'hypothèse de la simple absence de signature invoquée par la caisse, constitue une irrégularité de fond qui justifie, par voie d'infirmation du jugement déféré et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés par la société Techni Desoss, de déclarer la décision litigieuse inopposable à cette dernière ;
Sur les demandes accessoires
Attendu qu'en application des dispositions de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale, la procédure est gratuite et sans frais ;
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement
INFIRME le jugement déféré,
Statuant de nouveau et y ajoutant,
DECLARE inopposable à la société Techni Desoss la décision du 7 décembre 2007 par laquelle la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne a pris en charge, au titre de la législation professionnelle, les maladies déclarées par M. Senturk X... le 7 août 2007,
RAPPELLE que la procédure est gratuite et sans frais.