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23/01/2024 | FRANCE | N°23VE02042

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 23 janvier 2024, 23VE02042


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 15 juin 2023 par lequel le préfet des Yvelines lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé en cas d'exécution d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, en l'informant qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information

Schengen, d'enjoindre au préfet des Yvelines de lui délivrer un titre de séjour " salar...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 15 juin 2023 par lequel le préfet des Yvelines lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé en cas d'exécution d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, en l'informant qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, d'enjoindre au préfet des Yvelines de lui délivrer un titre de séjour " salarié " ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2304899 du 3 août 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 août 2023, M. B..., représenté par Me Raad, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet d'examiner sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil, Me Raad, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire est insuffisamment motivée en fait et en droit et cette insuffisance révèle un défaut d'examen complet de sa situation personnelle ; le préfet n'a pas pris en compte son entrée régulière en France, ses attaches familiales et sa situation de concubinage ; le préfet n'a pas non plus justifié qu'il aurait déclaré qu'il n'entendait pas quitter le territoire français et, à supposer que cette déclaration soit conforme à ses dires, le préfet aurait dû vérifier les raisons de cette déclaration ; il n'a plus de contact avec les membres de sa famille demeurés à Madagascar et envisage de contracter mariage ; le centre de ses intérêts est en France et il envisage de demander la régularisation de sa situation au titre de l'admission exceptionnelle au séjour par le travail ;

- elle est aussi entachée d'erreurs d'appréciation des éléments de sa situation personnelle ; il justifie de sa résidence stable et continue sur le territoire français pendant cinq ans et a été employé en qualité de chauffeur-livreur ; il travaille en dernier lieu dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, conclu le 2 mai 2023 avec la société MCK Transport, produit des fiches de paie et justifie de son intégration professionnelle ;

- le préfet puis le tribunal se sont fondés uniquement sur des signalements par les services de police, or une des infractions signalées a donné lieu à une peine d'amende, et non à une peine privative de liberté ; il ne ressort pas non plus des trois signalements le concernant que son comportement constituerait une menace à l'ordre public justifiant une décision d'éloignement ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement ;

- il conteste la décision fixant le pays de renvoi par les mêmes moyens que ceux invoquées à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience dans la présente instance.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Albertini,

- et les observations de Me Raad pour M. B....

Une note en délibéré présentée pour M. B... a été enregistrée le 2 janvier 2024.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant malgache, né le 17 avril 1994 à Antananarivo, est entré en France le 12 juillet 2018, sous couvert d'un visa de type " C " valable du 5 au 25 juillet 2018. Par un arrêté du 15 juin 2023, le préfet des Yvelines l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé en cas d'exécution d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, en l'informant de son signalement à fin de non-admission dans le système d'information Schengen pendant la durée de cette interdiction. M. B... relève appel du jugement du 3 août 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, la décision en litige vise les textes dont il est fait application, expose les circonstances de fait propres à la situation personnelle de M. B..., ainsi que les éléments sur lesquels le préfet s'est fondé pour l'obliger à quitter le territoire français. Dès lors, cet arrêté comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement des décisions attaquées et permet ainsi au requérant d'en contester utilement le bien-fondé. Contrairement à ce que soutient M. B..., le préfet n'avait pas à faire état de l'ensemble des éléments de fait à raison desquels il a estimé que sa décision ne méconnaissait pas les textes visés. Il ne ressort non plus pas des termes de cet arrêté, ni des autres pièces du dossier, que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B... avant de l'obliger à quitter le territoire français. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisante motivation de l'arrêté et du défaut d'examen sérieux de la situation de l'intéressé doivent être écartés.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. M. B... soutient que la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, dès lors qu'il vit en concubinage avec Mme C..., de nationalité française. Si le requérant verse au dossier un avis d'échéance de loyer du mois de janvier 2023 pour un bien situé à Viry-Châtillon et ses fiches de paie, à compter de mai 2023, qui mentionnent également cette adresse, ces pièces ne sont toutefois pas de nature à établir une communauté de vie suffisamment ancienne et stable à la date de la décision attaquée. En outre, si le requérant verse aussi au dossier une attestation d'hébergement rédigée par Mme C..., ce document ne saurait davantage, à lui seul, permettre d'établir l'ancienneté et la stabilité de la communauté de vie dont il se prévaut. Enfin, l'intéressé n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où résidaient, à la date de la décision contestée, ses parents, ainsi que sa sœur, et où il a lui-même vécu au moins jusqu'à l'âge de 24 ans. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.

5. En troisième lieu, M. B... fait valoir que la décision attaquée est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que le préfet n'aurait pas tenu compte de la circonstance qu'il est entré de façon régulière en 2018 sur le territoire français et qu'il justifie d'une résidence continue depuis près de cinq années à la date de la décision en litige. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a fait l'objet de trois signalements par les services de police, entre le 30 janvier et le 17 août 2022, pour différentes infractions dont des faits de violences, destruction ou dégradation de véhicule privé et conduite de véhicule sous l'emprise d'un état alcoolique. Par ailleurs, la circonstance que l'intéressé justifie exercer une activité professionnelle dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée depuis le 2 mai 2023 ne saurait constituer une circonstance humanitaire ou un motif exceptionnel de nature à justifier la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni en tout état de cause, sur celles de la circulaire du 28 novembre 2012, au demeurant non invocable par l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation ne peut qu'être écarté.

6. En quatrième lieu, la mention erronée figurant dans la décision attaquée, selon laquelle l'intéressé est entré " sans être en possession des documents et visa exigés " est, en l'espèce, sans incidence sur la légalité de cette décision dès lors que compte tenu de ce qui a été dit au point 5 du présent arrêt, la seule justification d'une entrée régulière sur le territoire français ne saurait, dans les circonstances de l'espèce, caractériser une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ni davantage une erreur dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

7. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas illégale. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la première décision, doit être écarté.

8. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Et aux termes de l'article L. 612-10 : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...)".

9. Il résulte de ces dispositions que, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ, ou lorsque l'étranger n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour satisfaire à cette obligation, il appartient au préfet d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle. Seule la durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés à l'article L. 612-10, à savoir la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire.

10. Il suit de ce qui a été dit aux points 4 et 5 du présent arrêt que M. B... n'établit pas l'ancienneté et la stabilité de la communauté de vie dont il se prévaut et n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où résidaient, à la date de la décision contestée, ses parents ainsi que sa sœur et où il a lui-même vécu jusqu'à l'âge de 24 ans. Par ailleurs, et alors même que le préfet n'a pas fait état d'une précédente mesure d'éloignement prononcée à son encontre, à laquelle il n'aurait pas déféré, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a fait l'objet de trois signalements par les services de police entre le 30 janvier et le 17 août 2022, pour différentes infractions, dont des violences, destructions ou dégradation de véhicule privé et conduite de véhicule sous l'emprise d'un état alcoolique. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet des Yvelines.

Délibéré après l'audience du 21 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.

Le président-assesseur,

J.-E. PILVENLe président-rapporteur,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 23VE02042 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE02042
Date de la décision : 23/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Paul-Louis ALBERTINI
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : RAAD

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-23;23ve02042 ?
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