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07/07/2023 | FRANCE | N°21VE03103

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 07 juillet 2023, 21VE03103


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du 4 septembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société JC Decaux France à le licencier pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1908351 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 novembre 2021, 13 février 2023, 7 mars 2023, 27 mars 2023 et 19 avril 202

3, M. D..., représenté par Me Bellanger, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugeme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du 4 septembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société JC Decaux France à le licencier pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1908351 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 novembre 2021, 13 février 2023, 7 mars 2023, 27 mars 2023 et 19 avril 2023, M. D..., représenté par Me Bellanger, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société JC Decaux France le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. D... soutient que :

- la minute du jugement n'est pas signée ;

- la décision du 4 septembre 2019 est insuffisamment motivée ;

- elle a été prisé à l'issue d'une procédure méconnaissant le principe du contradictoire ;

- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis ;

- ils ne constituent pas une faute de nature à justifier un licenciement ;

- le licenciement présente un lien avec ses fonctions ;

- c'est à tort que les premiers juges ont mis à sa charge une somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 octobre 2022 et 30 mars 2023, la société JC Decaux France, représentée par Mes Lagoutte et Aunis, avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. D... la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du président de la 6ème chambre du 3 avril 2023 la clôture d'instruction a été fixée au 24 avril 2023 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Villette,

- les conclusions de Mme Moulin-Zys, rapporteure publique,

- et les observations de Me Cortes pour M. D... et de Me Aunis pour la société JC Decaux France.

Une note en délibéré présentée pour M. D... a été enregistrée le 16 juin 2023.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... D... exerçait depuis le 13 juillet 2006 les fonctions de médecin du travail salarié au sein de la société JC Decaux France aux termes d'un contrat à durée indéterminée. Par une décision du 4 septembre 2019, l'inspecteur du travail a autorisé la société JC Decaux France à le licencier pour motif disciplinaire. M. D... relève appel du jugement du 23 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cette décision.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé conformément à ces prescriptions. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée à M. D... ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la décision du 4 septembre 2019 :

3. Aux termes de l'article L. 4623-5 du code du travail : " Le licenciement d'un médecin du travail ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend le service de prévention et de santé au travail, après avis du médecin inspecteur du travail. Toutefois, en cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé dans l'attente de la décision définitive. En cas de refus de licenciement, la mise à pied est annulée et ses effets supprimés de plein droit ". Il résulte de ces dispositions que les médecins du travail bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs et sous le contrôle du juge, d'une protection particulière en cas de licenciement. Lorsque le licenciement d'un de ces médecins est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec l'exercice normal de ses fonctions de médecin du travail. Lorsque la demande d'autorisation de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale des fonctions dont il est investi.

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 4623-22 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée ". La décision attaquée rappelle les faits reprochés à M. D..., leur matérialité et l'existence d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Il se déduit nécessairement de cette motivation que l'inspecteur du travail a estimé que le licenciement ne présentait pas de lien avec l'exercice normal des fonctions de médecin du travail de M. D.... S'agissant du licenciement d'un médecin du travail, l'inspecteur n'avait pas à spécifier que la demande d'autorisation ne présentait pas de lien avec un mandat détenu par le salarié. Dès lors, le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision doit, en tout état de cause, être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 4623-21 du code du travail " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le médecin du travail peut, sur sa demande, se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel du service de prévention et de santé au travail ou de l'entreprise ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le médecin du travail concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le médecin du travail soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le médecin du travail est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le médecin du travail, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. D... a été informé par l'inspecteur du travail de l'identité des personnes interrogées par lui, de la teneur de leurs propos et des faits qui lui étaient reprochés, notamment par un courriel du 30 juillet 2019. Si le témoignage de M. A... a été obtenu le 30 août 2019 et n'a été communiqué à M. D... que le 2 septembre 2019, ce témoignage était préalablement connu de M. D... comme en témoigne le courrier de l'inspecteur du travail du 30 août 2019. M. D... avait en outre été informé que la décision de l'inspecteur du travail était susceptible d'intervenir au plus tard le 4 septembre 2019 et était ainsi en mesure de présenter des observations à la réception de cette attestation. En tout état de cause, M. A... a déclaré ne pas avoir été témoin de l'altercation entre M. D... et M. B..., de telle sorte que ce témoignage n'a pu que rester sans incidence sur la décision de l'inspecteur du travail. Enfin, si M. D... soutient qu'un autre salarié n'a pu être auditionné en raison de ses congés, il n'établit ni même n'allègue que son témoignage aurait eu une incidence sur le sens de la décision attaquée ou que l'employeur aurait fait obstacle à son audition. Dès lors, le moyen tiré du vice de procédure doit, en tout état de cause, être écarté.

7. En troisième lieu, les coups portés par M. D... à M. B... le 12 avril 2019 sont établis par trois témoignages : celui de la victime, celui d'un salarié en consultation dans son cabinet et celui d'un salarié se trouvant sur le pas de la porte du cabinet. A cet égard, si M. E... avait déclaré devant le CHSCT ne pas souhaiter faire de déclaration officielle, il avait dès cette date indiqué que M. D... avait essayé de frapper M. B... au visage de telle sorte que ses déclarations ne peuvent être regardées comme contradictoires. Si M. D... soutient que ces salariés auraient un " passé pénal " et se seraient rendus coupables de collusion, il ne produit aucun élément au soutien de ses allégations. En outre, si le médecin de l'unité médico-judiciaire d'Argenteuil n'a relevé le 18 avril 2019, soit six jours plus tard, aucune lésion cutanée ou douleurs à l'ouverture de la bouche chez M. B..., son compte-rendu fait état d'un choc psychologique léger patent. Dès lors les faits doivent être regardés comme établis.

8. En quatrième lieu, il est constant que M. B... a fait preuve d'un comportement irrespectueux et s'est introduit, sans autorisation, dans le cabinet de M. D.... Néanmoins, cela ne saurait justifier les coups qui lui ont été portés par M. D.... Eu égard aux missions du médecin du travail, ces coups présentent le caractère d'une faute grave. Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier qu'à la date des faits, les conditions d'exercice du requérant auraient présenté le caractère de circonstances atténuantes, dès lors que, notamment, le retard pris par M. D... dans ses consultations résulte d'un bouleversement de celles-ci opéré par lui-même. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que les faits qui lui ont été reprochés ne constituaient pas une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

9. En dernier lieu, M. D... soutient que son licenciement serait lié à l'exercice normal de ses fonctions de médecin du travail et notamment à ses alertes à l'égard d'un manager et des risques que faisait peser sur les salariés le recyclage de l'eau des sanitaires exploités par la société JC Decaux France en 2017. Néanmoins, il ressort du jugement rendu le 28 janvier 2019 et devenu définitif que le conseil de prud'hommes de Versailles a rejeté la demande de résiliation judiciaire de son contrat présentée par M. D... au motif que ses avis étaient respectés, que ses alertes étaient prises en compte par la direction de la société JC Decaux France et que ses échanges avec la direction présentaient un caractère professionnel et poli. Aucun élément produit par le requérant ne témoigne de relations conflictuelles entre les parties depuis ces alertes et jusqu'au 12 avril 2019, date des faits en litige, et de nature à faire présumer un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'exercice normal de ses fonctions par M. D.... Dès lors, le moyen doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

En ce qui concerne l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". Il est constant que M. D... était la partie perdante en première instance. Il ne justifie, pas plus en appel qu'en première instance, d'une situation de précarité justifiant que, dans les circonstances de l'espèce, les frais prévus par les dispositions précitées ne soient pas mis à sa charge par les premiers juges. La seule circonstance qu'il ne présenterait pas des moyens financiers équivalents à la société JC Decaux France est à cet égard sans incidence. Enfin, il n'apparaît pas qu'en allouant à la société JC Decaux France la somme de 1 500 euros, les premiers juges aient fait une appréciation exagérée des montants exposés par celle-ci pour la défense de ses intérêts. Dès lors, M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a mis à sa charge le versement de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions précitées.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société JC Decaux France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. D... demande à ce titre. Par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. D... la somme demandée par la société JC Decaux France sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société JC Decaux France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société JC Decaux France.

Délibéré après l'audience du 8 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Mauny, président assesseur,

Mme Villette, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juillet 2023.

La rapporteure,

A. VILLETTELe président,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

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N° 21VE03103


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