Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SA Bouygues a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie en sa qualité de société mère intégrante au titre de l'exercice clos en 2009.
Par un jugement n° 1904452 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 septembre 2020 et 1er septembre 2021, la SA Bouygues, représentée par Me Rostaing, avocate, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009, résultant de la remise en cause de la déductibilité de la moins-value de cession d'une immobilisation ;
2° de prononcer la décharge de ces impositions supplémentaires ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a insuffisamment motivé son jugement ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé qu'elle ne faisait pas la démonstration de ce que la moins-value supportée par la SA Colas Rail lors de l'opération d'achat-revente d'un camion-fraiseur de sa filiale autrichienne, était justifiée par l'intérêt de sa propre exploitation ; à titre subsidiaire, la précarité financière de la filiale autrichienne aurait eu pour conséquence, eu égard à l'ampleur de la moins-value, l'ouverture d'une procédure judiciaire qui aurait été préjudiciable à la réputation de la SA Colas Rail.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 7 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 septembre 2021, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bouzar, premier conseiller,
- les conclusions de M. Met, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SA Colas Rail, anciennement dénommée Seco-Rail, société spécialisée dans la réalisation et la maintenance des voies ferrées, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a notamment regardé la moins-value qu'elle avait réalisée à la suite de la cession d'un camion fraiseur préalablement racheté à sa filiale autrichienne Seco-Rail Gmbh devenue Colas Rail Gmbh, comme un acte anormal de gestion constitutif d'un transfert de bénéfices à l'étranger. La SA Bouygues, société mère du groupe fiscalement intégré auquel appartient la SA Colas Rail, relève appel du jugement du 17 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009 résultant de la réintégration de cette moins-value de cession d'immobilisation dans les résultats de sa filiale.
Sur les conclusions à fin de décharge, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement :
2. D'une part, en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Les avantages accordés par une entreprise au profit d'un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages l'entreprise a agi dans son propre intérêt. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'un avantage consenti par une entreprise à un tiers constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.
3. D'autre part, aux termes de l'article 57 du code général des impôts : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France ". Cet article n'institue de présomption de l'existence d'un transfert indirect de bénéfices par une société assujettie à l'impôt sur les sociétés en France vers l'étranger que lorsque l'administration fiscale a établi, d'une part, l'existence de liens de contrôle ou de dépendance entre cette société et des entreprises situées hors de France, sauf dans l'hypothèse, pour laquelle cette condition n'est pas exigée, où ces dernières sont établies dans un Etat étranger ou dans un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié au sens du deuxième alinéa de l'article 238 A du code général des impôts, et, d'autre part, l'octroi d'avantages consentis par cette société à ces entreprises. Il s'agit d'une présomption simple, que la société contribuable peut combattre en apportant la preuve que ces avantages ont été justifiés par l'obtention de contreparties favorables à sa propre exploitation et ne constituent pas un transfert indirect de bénéfices.
4. Pour regarder la moins-value de cession en cause comme ne relevant pas d'une gestion normale, le service vérificateur a relevé que la SA Seco-Rail, devenue Colas Rail, a racheté le 24 novembre 2009 à sa filiale autrichienne Seco-Rail Gmbh qu'elle détient à 100%, pour un montant de 2 811 494,60 euros, un camion fraiseur qu'elle a cédé le même jour à la société Linsinger Maschinenbau Gmbh pour la somme de 1 487 725 euros, soit une moins-value à court terme d'un montant de 1 323 770 euros supportée en lieu et place de sa filiale autrichienne, sans que la SA Colas Rail ne justifie d'aucun intérêt commercial à l'opération.
5. Cependant, la SA Bouygues soutient et établit par des pièces produites pour la première fois en appel, que la société Seco-Rail Gmbh était une simple filiale de portage créée aux seules fins de résoudre des contingences pratiques liées à l'immatriculation du véhicule, dont la SA Colas Rail devait disposer dans les meilleurs délais pour des travaux à effectuer en Allemagne, et que la revente à la société Linsinger Maschinenbau Gmbh du camion fraiseur prototype que cette société lui avait livré en 2007, a été décidée par la voie transactionnelle avec ce fournisseur, après que des essais effectués en 2008 ont révélé que cet engin ne répondait pas aux besoins de la SA Colas Rail. Dans ces conditions, la société requérante établit que la moins-value résultant de l'opération ne pouvait être supportée que par la SA Colas Rail et non par sa filiale autrichienne, créée ainsi pour les besoins de l'opération de l'immatriculation du véhicule. Cette société n'a d'ailleurs pas exercé d'autre activité économique et n'avait aucun actif à la clôture de l'exercice en 2009, hormis des disponibilités à hauteur de 15 000 euros. Enfin, il apparaît que la SA Colas Rail a toujours décidé seule de chaque étape des opérations, depuis l'acquisition du camion fraiseur jusqu'à sa revente au fabricant. Au regard de ces éléments, la SA Bouygues justifie que l'avantage consenti par la SA Colas Rail à sa filiale l'a été dans le seul intérêt de sa propre exploitation.
6. Il résulte de ce qui précède que la SA Bouygues est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009 résultant de la remise en cause de la déductibilité de la moins-value de cette cession d'immobilisation.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
8. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SA Bouygues et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La SA Bouygues est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009 résultant de la remise en cause de la déductibilité de la moins-value de cession d'immobilisation.
Article 2 : Le jugement n° 1904452 du 17 juillet 2020 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la SA Bouygues une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Bouygues et ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 5 juillet 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Dorion, présidente-assesseure,
Mme Pham, première conseillère,
M. Bouzar, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2022.
Le rapporteur,
M. A...La présidente,
O. DORIONLa greffière,
C. FAJARDIE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 20VE02406