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28/06/2022 | FRANCE | N°22VE00438

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 28 juin 2022, 22VE00438


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 30 novembre 2021 par lequel le préfet des Yvelines lui a refusé un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de l'éloignement, d'enjoindre au préfet de lui délivrer une autorisation de séjour au titre de l'asile à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de prononcer son admissio

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 30 novembre 2021 par lequel le préfet des Yvelines lui a refusé un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de l'éloignement, d'enjoindre au préfet de lui délivrer une autorisation de séjour au titre de l'asile à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de prononcer son admission provisoire à l'aide juridictionnelle et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2111053 du 2 février 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 25 février 2022 et le 31 mai 2022, M. B... représenté par Me Beressi, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté, en tant qu'il lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de l'éloignement ;

3°) d'enjoindre au préfet des Yvelines, à lui délivrer une autorisation de séjour au titre de l'asile sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté méconnait les articles 41, 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;

- il est entaché d'un défaut de motivation ;

- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ;

- il méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

-le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience dans la présente instance.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- et les observations de Me Diallo, substituant Me Berressi, pour M. A....

Une note en délibéré a été présentée pour M. B... après l'audience, le 9 juin 2022 à 16h06.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant bangladais né le 1er février 1998, est entré sur le territoire français le 25 août 2020. Par arrêté du 30 novembre 2021, le préfet des Yvelines a refusé de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des articles L. 424-9 et L. 424-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de l'éloignement en cas d'exécution d'office. Il relève appel du jugement du 2 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 novembre 2021 en tant qu'il lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de l'éloignement en cas d'exécution d'office.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", aux termes de l'article 47 de cette même charte : " Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice " et de l'article 48 : " 1. Tout accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 2. Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé. ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que l'article 41 ne s'adresse non pas aux États membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. Une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie.

3. M. B... soutient que son droit d'être entendu a été méconnu dès lors que l'accès à la préfecture est impossible hors la procédure dématérialisée de demande de rendez-vous, que les courriers ou mails adressés au préfet via l'adresse de courrier électronique dédiée aux étrangers de la préfecture ne sont pas suivis d'effet et que le préfet ne justifie pas de la mise en place d'une procédure spécifique de communication pour les étrangers qui relève de cette administration, ce qui l'a empêché de faire valoir ses craintes en cas de retour au Bangladesh du fait de la survenance d'éléments nouveaux et sa vie privée en France. Toutefois il ne résulte d'aucune pièce du dossier que M. B... aurait sollicité en vain un entretien auprès des services du préfet, et il n'est pas établi que des courriers ou mails adressés au préfet n'auraient pas été suivis d'effet. La circonstance que la préfecture des Yvelines ne dispose pas d'une procédure spécifique de communication pour les étrangers qui relèvent de cette administration ne constitue pas une atteinte au droit d'être entendu, M. B... n'est donc pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué méconnait les dispositions des articles 41, 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne qui sous-tendent le droit à la défense comprenant lui-même le droit d'être entendu, par suite ce moyen doit être écarté.

4. En deuxième lieu, si M. B... soutient que l'arrêté du préfet des Yvelines est entaché d'un défaut de motivation, il ressort des pièces du dossier que la décision contestée vise les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les dispositions des articles L. 424-9, L. 424-1, L. 611-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les dispositions des articles L. 121-1 et L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. En outre elle mentionne que la demande d'asile de M. B... a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides par une décision du 30 avril 2021, ainsi que par la Cour nationale du droit d'asile le 15 septembre 2021, que n'a pas été portée une atteinte excessive à la vie privée et familiale de M. B... et qu'en l'espèce il y avait une absence de droit au séjour opposable à la décision. Il en résulte que la décision portant obligation de quitter le territoire français étant suffisamment motivée, ce moyen doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

6. M. B... fait valoir qu'il vit en France depuis le 11 novembre 2020, qu'il justifie d'une vie commune avec M. C..., d'une bonne intégration dans l'univers familial et amical de son compagnon et qu'il souhaite réaliser des études d'art en France. Toutefois il ressort des pièces du dossier que la relation qu'entretient le requérant avec M. C..., qu'il a rencontré en novembre 2020, présentait comme l'ont considéré à juste titre les premiers juges un caractère récent à la date de l'arrêté. En outre il n'est pas dénué d'attaches familiales au Bengladesh, pays dans lequel réside notamment sa mère et où il a vécu jusqu'à son arrivée récente en France. Dans ces circonstances, il n'est pas fondé à soutenir qu'en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet des Yvelines aurait porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation ne peut qu'être écarté.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

7. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article L.721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

8. M. B... fait valoir les risques que son homosexualité et des conflits fonciers impliquant sa famille font peser sur lui en cas de retour au Bengladesh. S'il résulte des pièces du dossier que sa demande d'asile a été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et des apatrides le 30 avril 2021 et par la Cour nationale du droit d'asile le 15 septembre 2021, le fait que M. B... a déposé une demande de réexamen de sa demande d'asile le 23 février 2022 étant en outre sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, les risques que lui feraient courir son homosexualité et sa vie commune avec un ressortissant français à la date de la décision en litige sont fondés sur des éléments circonstanciés et probants. Par suite, en fixant le Bangladesh, pays dont M. B... a la nationalité, comme pays de destination de l'éloignement en cas d'exécution forcée, le préfet des Yvelines a méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L.721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a donc lieu d'en prononcer l'annulation, dans cette mesure, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet des Yvelines fixant le Bangladesh, comme pays de destination de l'éloignement en cas d'exécution forcée.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

10. Le présent arrêt n'implique pas nécessairement, eu égard à ses motifs, qu'il soit enjoint au préfet des Yvelines de délivrer à M. B... une autorisation de séjour au titre de l'asile. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par l'appelant doivent ainsi être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Dès lors, ses conclusions en annulation doivent être rejetées, ainsi, par voie de conséquence, que ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2111053 du 2 février 2022 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision du préfet des Yvelines fixant le Bangladesh, comme pays de destination de l'éloignement en cas d'exécution forcée.

Article 2 : La décision du 30 novembre 2021 du préfet des Yvelines est annulée en tant qu'elle a fixé le Bangladesh comme pays de destination de l'éloignement de M. B... en cas d'exécution forcée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Yvelines.

Délibéré après l'audience du 9 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Mauny, président assesseur,

Mme Moulin-Zys, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2022.

Le président-assesseur,

O. MaunyLe président-rapporteur

P.-L. D...La greffière,

F. PETIT-GALLAND

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 22VE00438 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE00438
Date de la décision : 28/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Paul-Louis ALBERTINI
Rapporteur public ?: Mme BOBKO
Avocat(s) : BERESSI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-06-28;22ve00438 ?
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