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24/05/2022 | FRANCE | N°20VE03336

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 24 mai 2022, 20VE03336


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 14 août 2020 par lequel la préfète d'Indre-et-Loire a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de soixante jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit.

Par un jugement n° 2003093 du 25 novembre 2020, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le pays à destination duquel M. A... pourra être

renvoyé.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2020, la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 14 août 2020 par lequel la préfète d'Indre-et-Loire a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de soixante jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit.

Par un jugement n° 2003093 du 25 novembre 2020, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le pays à destination duquel M. A... pourra être renvoyé.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2020, la préfète d'Indre-et-Loire demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il annule sa décision portant fixation du pays de destination ;

2° de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif d'Orléans.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales avaient été méconnues ; l'article 2 de l'arrêté attaqué ne fixe pas comme seul pays de destination la Guinée, mais également tout autre pays dans lequel M. A... serait légalement admissible ; ces stipulations n'ont pas vocation à protéger les auteurs de crimes graves de droit commun ; M. A... ne prouve pas qu'il ferait l'objet de la part des autorités guinéennes de poursuites judiciaires ; le pays à destination duquel M. A... doit être éloigné n'a pas encore été choisi ;

- c'est à tort que le tribunal a mis à sa charge la somme de 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, alors que le conseil de M. A... n'a pas justifié de ses frais.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 mai 2021 et le 21 avril 2022, M. C... E... A..., dont le nom est devenu Abraham D... depuis son adoption simple prononcée le 9 décembre 2021, représenté par Me Leperlier-Roy, avocate, demande à la cour :

1° de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire ;

2° de rejeter la requête de la préfète d'Indre-et-Loire ;

3° d'enjoindre à la préfète d'Indre-et-Loire de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours suivant la notification du jugement à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que les moyens soulevés par la préfète d'Indre-et-Loire ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 8 avril 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 22 avril 2022, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er décembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pham, première conseillère,

- et les observations de Me Leperlier-Roy pour M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... E... A..., né le 5 juin 1999, de nationalité guinéenne, dont le nom est désormais Abraham D... depuis son adoption simple prononcée le 9 décembre 2021, déclare être entré en France le 25 juin 2017 pour y déposer une demande d'asile. Sa demande a été rejetée le 12 novembre 2018 par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 24 juin 2020. Le 14 août 2020, la préfète d'Indre-et-Loire a pris à son encontre l'arrêté contesté portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de soixante jours et fixant la Guinée ou tout autre pays dans lequel M. A... serait légalement admissible comme pays de destination de cette mesure d'éloignement. Par un jugement n° 2003093 du 25 novembre 2020, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le pays à destination duquel M. A..., aujourd'hui D..., pourra être renvoyé. La préfète d'Indre-et-Loire fait appel de ce jugement.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. M. D... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er décembre 2021, il n'y a plus lieu de se prononcer sur ses conclusions tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'annulation de la décision fixant le pays de destination :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

4. Pour annuler la décision contestée, fixant la Guinée comme pays à destination duquel M. D..., alors dénommé A..., pourra être reconduit, le premier juge a considéré qu'il existe un risque grave que celui-ci soit soumis à des traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de renvoi dans son pays d'origine, en raison de son appartenance au groupe social des personnes homosexuelles. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, que s'il existe un faisceau d'indices significatifs et concordants permettant de penser que M. D... a participé, au sein de l'école coranique que dirigeait son père, à la commission de crimes graves de droit commun au sens de l'article 1Fb de la convention de Genève ayant justifié son exclusion du bénéfice de la protection prévue par les stipulations de cette convention, les craintes de persécutions et personnelles de l'intéressé en cas de retour en République de Guinée à raison de son orientation sexuelle sont réelles. Dans ces conditions, M. D... établit qu'en cas de retour dans son pays d'origine, il serait exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La circonstance qu'il ait obtenu une carte nationale d'identité guinéenne n'est pas, à elle seule, de nature à remettre en cause la réalité de ces risques, alors qu'il soutient devant la cour que cette carte a été obtenue par le biais des autorités consulaires, sans qu'il se soit rendu en Guinée. Si la préfète d'Indre-et-Loire soutient que M. D... ne prouve à aucun moment qu'il ferait l'objet de la part des autorités guinéennes de poursuites judiciaires dans son pays d'origine, cette circonstance est sans incidence, dès lors que les risques de persécutions dont il se prévaut résulteraient, non pas de poursuites judiciaires pour les viols qu'il reconnaît avoir commis, mais de persécutions personnelles du fait de son homosexualité. Il s'ensuit que la décision désignant notamment comme pays de renvoi la Guinée doit être annulée, quels que soient les agissements dont il a été coupable.

5. En deuxième lieu, si l'article 2 de l'arrêté attaqué indique que M. D... pourra être reconduit d'office, non seulement en Guinée, mais également à destination de tout autre pays dans lequel il est légalement admissible, il n'est pas établi, ni même allégué, que M. D... serait légalement admissible dans un autre pays que la Guinée. En tout état de cause, il est constant que ces dispositions permettent son éloignement vers la Guinée, et sont donc contraires à l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales, même si elles n'ont pas encore été exécutées.

En ce qui concerne les frais accordés en première instance :

6. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". Le paragraphe 2 de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 dispose : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat pouvant être rétribué, totalement ou partiellement, au titre de l'aide juridictionnelle, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

7. Ces dispositions laissent à l'appréciation du juge le soin de fixer le montant de la somme due au requérant et ne subordonnent nullement la fixation de ce montant à la présentation de justificatifs. Par suite, la préfète d'Indre-et-Loire n'est pas fondée à contester le montant de 800 euros accordé à l'avocate de M. D... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 au seul motif que celle-ci n'aurait produit aucun justificatif.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète d'Indre-et-Loire n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a annulé son arrêté du 20 août 2020 en tant qu'il fixe la Guinée comme pays à destination duquel M. D... pourra être renvoyé et a fixé les frais de l'instance à la somme de 800 euros.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ".

10. Le présent arrêt, qui rejette la requête d'appel du ministre, et qui a donc pour effet de confirmer l'annulation de la décision fixant le pays à destination duquel M. D... pourra être renvoyé sans pour autant annuler la décision l'obligeant à quitter le territoire français, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la préfète d'Indre-et-Loire de délivrer à M. D... une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte, dans le délai de quinze jours, doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

11. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Leperlier-Roy, avocate de M. D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Leperlier-Roy de la somme de 1 000 euros.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de se prononcer sur les conclusions de M. D... tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle.

Article 2 : La requête de la préfète d'Indre-et-Loire est rejetée.

Article 3 : L'État versera à Me Leperlier-Roy, avocate de M. D..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Leperlier-Roy renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. D... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... E... D... et à Me Leperlier-Roy. Copie en sera adressée à la préfète d'Indre-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 10 mai 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Dorion, présidente assesseure,

Mme Pham, première conseillère,

M. Bouzar, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mai 2022.

La rapporteure,

C. PHAM La présidente,

O. DORION

La greffière,

C. FAJARDIE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 20VE03336


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20VE03336
Date de la décision : 24/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme DORION
Rapporteur ?: Mme Christine PHAM
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : SELARL EQUATION AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-05-24;20ve03336 ?
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