Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SA " Beauté Nutrition Succès " (BNS) a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 851 497,60 euros, augmentée des intérêts moratoires à compter du 14 juin 2016.
Par un jugement n° 1610973 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 janvier 2020 et 24 novembre 2021, la SA " Beauté Nutrition Succès ", représentée par Me Korkmaz, avocat, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de faire droit à sa demande ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SA BNS soutient que :
- dès lors que la créance litigieuse de 1 851 497,60 euros n'était ni liquide, ni exigible, le comptable public ne pouvait valablement procéder d'office à la compensation fiscale contestée ;
- la prétendue créance du Trésor n'a jamais été admise à son passif lors de la procédure collective dont elle a fait l'objet ;
- la créance était prescrite le 15 mai 2012.
Vu :
- le procès-verbal d'audience,
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bouzar, premier conseiller,
- les conclusions de M. Met, rapporteur public, via un moyen de télécommunication audiovisuelle,
- et les observations de Me Pra, substituant Me Korkmaz, pour la SA " Beauté Nutrition Succès ".
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée " Beauté Nutrition ", devenue par la suite la société anonyme " Beauté Nutrition Succès " (SA BNS), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a mis à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés assorties d'intérêts de retard et de majorations et pénalités au titre de ses exercices clos en 1992 et 1993, mises en recouvrement le 31 octobre 1997. Après avoir successivement saisi le tribunal administratif de Paris, la cour administrative d'appel de Paris et le Conseil d'État aux fins d'obtenir la décharge de ces impositions, majorations et pénalités, la SA BNS est restée redevable de la somme de 1 851 497,60 euros et disposait d'une créance sur le Trésor public de 2 213 962,11 euros. Par un avis de compensation du 14 juin 2016, la SA BNS a été informée qu'en application des dispositions de l'article L. 257 B du livre des procédures fiscales, le comptable public de la trésorerie de Courbevoie avait affecté au paiement de la somme de 1 851 497,60 euros dont elle restait redevable, le remboursement de la somme de 2 213 962,11 euros constatée à son bénéfice et que, par conséquent, le remboursement de sa créance sur le Trésor serait limité à la somme de 362 464,51 euros. La contestation formée par la SA BNS le 4 août 2016 contre les effets de cette compensation a été rejetée implicitement par l'administration. La SA BNS relève appel du jugement du 7 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à condamner l'Etat à lui restituer la somme de 1 851 497,60 euros, augmentée des intérêts moratoires à compter du 14 juin 2016.
Sur l'exception d'incompétence opposée par le ministre :
2. En vertu de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, la juridiction administrative est compétente pour connaître des contestations relatives au recouvrement des impositions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 199 du même livre lorsqu'elles portent sur l'existence de l'obligation de payer, le montant de la dette, l'exigibilité de la somme réclamée ou tout autre motif ne remettant pas en cause l'assiette et le calcul de l'impôt. Pour sa part, le tribunal de la procédure collective est, quelle que soit la nature des créances en cause, seul compétent pour connaître des contestations relatives à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective.
3. La requête de la SA BNS, qui tend à ordonner à l'Etat de lui restituer la somme de 1 851 497,60 euros correspondant principalement aux cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés dont elle a été constituée redevable et qui a été l'objet de la compensation effectuée le 14 juin 2016 par le comptable public de la trésorerie de Courbevoie, est relative à l'exigibilité de cette somme et n'appelle à connaître d'aucune contestation relative à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître des conclusions de cette requête.
Sur les conclusions à fin de restitution à la SA BNS de la somme de 1 851 497,60 euros :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 257 B du livre des procédures fiscales : " Le comptable public compétent peut affecter au paiement des impôts, droits, taxes, pénalités ou intérêts de retard dus par un redevable les remboursements, dégrèvements ou restitutions d'impôts, droits, taxes, pénalités ou intérêts de retard constatés au bénéfice de celui-ci. / Pour l'application du premier alinéa, les créances doivent être liquides et exigibles ". Aux termes de l'article R. 257 B-1 du même livre : " Lorsqu'il a exercé la compensation prévue à l'article L. 257 B, le comptable public compétent notifie au redevable un avis lui précisant la nature et le montant des sommes affectées au paiement de la créance qu'il a prise en charge à sa caisse. / Les effets de cette compensation peuvent être contestés dans les formes et délais mentionnés aux articles L. 281 et R. 281-1 à R. 281-5 ".
5. La SA BNS soutient que, dès lors que la créance litigieuse de 1 851 497,60 euros n'était ni liquide, ni exigible, le comptable public ne pouvait valablement procéder d'office à la compensation fiscale contestée. Il résulte de l'instruction que, par jugement du 25 novembre 1997, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert une procédure de redressement judiciaire, dans le cadre de laquelle la SA BNS a bénéficié d'un plan de redressement par voie de continuation en vertu d'un jugement du 24 juin 1999, d'une durée de six ans portée à dix ans. La trésorerie de Courbevoie a déclaré à ce tribunal la créance de l'Etat le 1er octobre 1998. En raison du contentieux d'assiette engagé par la SA BNS devant le tribunal administratif de Paris, puis la cour administrative d'appel de Paris et enfin devant le Conseil d'Etat, la créance déclarée par l'Etat a été inscrite sur la liste des créances contestées, avec la mention " procédure en cours ". Pour ce motif, alors que la Trésorerie de Courbevoie avait demandé les 3 septembre 2008 et 19 septembre 2011 l'admission définitive de sa créance, le juge-commissaire a sursis à statuer sur sa demande par ordonnance du 29 décembre 2011. Si, par une ordonnance du 5 mai 2014, le président du tribunal de commerce de Versailles a déclaré " irrecevable " la même demande d'admission de la créance de l'Etat à titre définitif, c'est uniquement au motif pris de l'incompétence du président du tribunal pour statuer sur cette demande. C'est également pour le même motif que, par un jugement du 6 mai 2015, le tribunal a débouté la Trésorerie de Courbevoie de sa demande formulée le 21 novembre 2008 tendant au demeurant à la résolution du plan de continuation. Enfin, par un jugement du 21 juillet 2016 du tribunal de commerce de Versailles, la procédure de redressement a été clôturée. Il ne résulte d'aucun de ces actes, ni même de la mention portée manuellement par le greffe sur la liste des créances n° 2, dépourvue au demeurant de valeur juridique, que la créance déclarée par la Trésorerie de Courbevoie a été jugée irrecevable ou inopposable, contrairement à ce que soutient la SA BNS. Au contraire, la créance de l'Etat est demeurée inscrite sur la liste des créances pour lesquelles une instance juridictionnelle était en cours, conformément aux dispositions de l'article 101 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises alors en vigueur, dont la teneur a été reprise à l'article L. 624-2 du code de commerce, aux termes duquel le juge-commissaire non seulement décide de l'admission ou du rejet des créances mais peut aussi constater qu'une instance est en cours. Dans ces conditions, la SA BNS n'est pas fondée à soutenir que la créance litigieuse de 1 851 497,60 € n'était ni liquide, ni exigible et que, par suite, le comptable public ne pouvait valablement procéder d'office à la compensation fiscale contestée.
6. En second lieu, en vertu de l'article L. 274 du livre procédures fiscales, les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives, à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement, sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable, le délai de quatre ans étant interrompu par tous actes interruptifs de la prescription. De plus, aux termes de l'article 33 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises alors en vigueur : " Le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture ". Aux termes de l'article 50 de la même loi : " A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au représentant des créanciers ". Aux termes de l'article 100 de cette même loi : " Dans le délai fixé par le tribunal, le représentant des créanciers établit, après avoir sollicité les observations du débiteur, la liste des créances déclarées avec ses propositions d'admission, de rejet ou de renvoi devant la juridiction compétente. Il transmet cette liste au juge-commissaire ". En vertu, enfin, de son article 101, dont la teneur a été reprise à l'article L. 624-2 du code de commerce, le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la déclaration de ses créances par le comptable auprès du représentant des créanciers interrompt le délai de quatre ans par lequel se prescrit son action en recouvrement à compter de l'émission d'un avis de mise en recouvrement.
7. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la créance litigieuse a été mise en recouvrement le 31 octobre 1997, déclenchant ainsi le délai de prescription de quatre ans. Ce délai a d'abord été suspendu par l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire décidée par jugement du 25 novembre 1997 du tribunal de commerce de Versailles, puis interrompu le 1er octobre 1998, date à laquelle le comptable public de la Trésorerie de Courbevoie a déclaré la créance de l'Etat au représentant des créanciers. Ce dernier a demandé les 3 septembre 2008 et 19 septembre 2011 l'admission définitive de la créance de l'Etat. Enfin, la SA BNS a été destinataire d'une mise en demeure de payer le 27 juillet 2012. Par suite, la SA BNS n'est pas fondée à soutenir qu'à la date de l'avis de compensation du 14 juin 2016, qui n'a en tout état de cause pas eu pour effet de faire disparaître rétroactivement la mise en demeure du 27 juillet 2012, le délai de prescription de quatre ans prévu à l'article L. 274 précité du livre des procédures fiscales était expiré.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par le ministre, que la SA BNS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SA " Beauté Nutrition Succès " est rejetée.
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N° 20VE00119