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05/10/2021 | FRANCE | N°20VE01876

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 05 octobre 2021, 20VE01876


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge et la restitution des contributions sociales auxquelles elle a été assujettie à raison de la plus-value qu'elle a réalisée en 2014 lors de la vente d'un bien immobilier situé dans le département des Yvelines, pour un montant global de 37 597 euros, assortie des intérêts moratoires.

Par un jugement n° 1803177 du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant

la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 juillet 2020 et 18 décembr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge et la restitution des contributions sociales auxquelles elle a été assujettie à raison de la plus-value qu'elle a réalisée en 2014 lors de la vente d'un bien immobilier situé dans le département des Yvelines, pour un montant global de 37 597 euros, assortie des intérêts moratoires.

Par un jugement n° 1803177 du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 juillet 2020 et 18 décembre 2020, Mme A..., représentée par Me Ladreyt et Me Chantérac, avocats, demande à la cour :

1° de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne deux questions préjudicielles concernant la conformité au principe de libre circulation des capitaux de l'assujettissement aux contributions sociales en France d'un investisseur non-résident et affilié à un régime de sécurité sociale dans un Etat tiers à l'Union européenne, à l'Espace économique européen et à la Confédération suisse ;

2° d'annuler le jugement attaqué ;

3° de prononcer la décharge demandée et le remboursement de la somme correspondante assortie des intérêts moratoires ;

4° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5° de condamner l'Etat aux dépens de l'instance.

Mme A... soutient que :

- les règles européennes de coordination sociale issues en dernier lieu du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans ses arrêts C-623/13 et C-45/17, ne concernent que les ressortissants européens qui font usage de la libre circulation des personnes entre Etats membres et ne s'appliquent pas à des investisseurs, de sorte qu'elles ne peuvent justifier une différence de traitement entre un investisseur résidant dans un Etat membre de l'Union européenne et affilié au régime de sécurité sociale de cet Etat et un investisseur résidant dans un Etat tiers et affilié au régime de sécurité sociale de cet autre Etat ;

- alors que prélèvements sociaux en litige ayant la nature de cotisations sociales, le principe de libre circulation des capitaux interdit le versement de cotisations sociales à fonds perdus ;

- à titre subsidiaire, son assujettissement aux prélèvements sociaux en litige méconnaît les stipulations de l'accord de sécurité sociale du 2 mars 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- l'accord de sécurité sociale du 2 mars 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique ;

- le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;

- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 février 2015, Ministre de l'économie et des finances contre de Ruyter (C-623/13);

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 18 janvier 2018, Jahin contre Ministre de l'économie et des finances (C-45/17);

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bouzar,

- et les conclusions de M. Met, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante des Etats-Unis d'Amérique qui y résidait le 25 août 2014, a cédé à cette dernière date un bien immobilier situé dans les Yvelines. Par une réclamation du 21 décembre 2016, Mme A... a demandé la décharge des prélèvements sociaux (contribution sociale généralisée, contribution au remboursement de la dette sociale, prélèvement social, contribution additionnelle au prélèvement social, prélèvement de solidarité) auxquels elle a été assujettie à hauteur de 37 597 euros à raison de la plus-value réalisée à l'occasion de cette cession immobilière. Par une décision du 26 février 2018, l'administration fiscale a rejeté sa réclamation. Mme A... interjette appel du jugement du 9 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à prononcer la décharge de cette somme ainsi qu'à sa restitution.

2. En premier lieu et d'une part, par un arrêt du 26 février 2015, Ministre de l'économie et des finances contre Gérard de Ruyter, C-623/13, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998, devait être interprété en ce sens que des prélèvements sur les revenus du patrimoine, tels que la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, la contribution pour le remboursement de la dette sociale assise sur ces mêmes revenus, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle à ce prélèvement, présentaient, lorsqu'ils participaient au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale, ce qui n'était pas le cas du prélèvement de solidarité prévu par l'article 1600-0 S du code général des impôts, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 de ce règlement et relevaient donc du champ d'application de ce règlement, alors même qu'ils étaient assis sur les revenus du patrimoine des personnes assujetties, indépendamment de l'exercice par ces dernières de toute activité professionnelle. Ces prélèvements sur les revenus du patrimoine étaient alors soumis au principe d'unicité de législation prévu par l'article 13 du règlement du Conseil du 14 juin 1971, dont les dispositions sont reprises à l'article 11 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, et selon lequel les personnes auxquelles le règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul Etat membre.

3. D'autre part, aux termes du paragraphe 1er de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites ". Aux termes du paragraphe 1er de l'article 65 du même traité : " L'article 63 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : / a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis (...) ". Est au nombre de ces mouvements de capitaux la cession d'un investissement immobilier, comme en a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-322/11 du 7 novembre 2013, K. Il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice, en particulier de son arrêt C-156/17 du 30 janvier 2020, Köln-Aktienfonds Deka, que les mesures interdites par l'article 63, paragraphe 1, du TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de procéder à des investissements dans un État membre, qu'elles introduisent une différence de traitement entre résidents et non-résidents (restriction directe), ou que, bien qu'indistinctement applicables aux résidents et aux non-résidents, elles défavorisent, de fait, les situations transfrontalières (restriction indirecte). De telles restrictions peuvent néanmoins être justifiées, et partant compatibles avec la liberté de circulation des capitaux, lorsqu'elles s'appliquent à des situations qui ne sont pas objectivement comparables, ainsi qu'il résulte de l'article 65, paragraphe 1, du même traité, tel qu'interprété par une jurisprudence constante de la Cour de justice, notamment les deux arrêts mentionnés ci-dessus.

4. Enfin, les règles relatives à l'assujettissement aux prélèvements sociaux des plus-values de cession immobilière sont indistinctement applicables, sans considération de leur nationalité, aux résidents des États-Unis d'Amérique, tels que Mme A..., et aux résidents de France, si bien qu'aucune restriction directe à la liberté de circulation des capitaux ne peut en l'espèce être constatée. Aucune restriction indirecte entre résidents de France et résidents d'un État tiers à l'Union européenne échappant au champ d'application du règlement du 29 avril 2004 ne saurait davantage résulter de la circonstance que l'assujettissement aux prélèvements sociaux des seconds ne leur permet pas de bénéficier en France des prestations sociales généralement offertes aux premiers, dès lors que ces prélèvements n'ont pas le caractère d'une cotisation contributive ouvrant vocation au bénéfice des prestations et avantages servis par les régimes français obligatoires de sécurité sociale, mais celui d'une imposition de toute nature. Enfin, si les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne affiliés à un régime de sécurité sociale d'un autre État membre, d'un État membre de l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse sont exonérés de ces prélèvements, alors qu'y sont soumis les ressortissants américains qui résident aux États-Unis et y sont affiliés à un régime de sécurité sociale, il existe entre ces deux situations une différence objective, qui tient à ce qu'un ressortissant américain résidant aux États-Unis, qui n'entre pas dans le champ d'application personnel du règlement du 29 avril 2004, n'est pas susceptible de bénéficier du principe d'unicité de la législation en matière de sécurité sociale prévu à son article 11, de sorte que cette différence de traitement ne porte pas, en tout état de cause, une atteinte injustifiée à la liberté de circulation des capitaux.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 45 du TFUE : " 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union. / 2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. / 3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique : / a) de répondre à des emplois effectivement offerts, / b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres, / c) de séjourner dans un des États membres afin d'y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux, / d) de demeurer, dans des conditions qui feront l'objet de règlements établis par la Commission, sur le territoire d'un État membre, après y avoir occupé un emploi. / 4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique ".

6. Si le droit primaire de l'Union ne saurait garantir à un assuré qu'un déplacement dans un autre État membre soit neutre en matière de sécurité sociale, notamment en matière de prestations de maladie et de pensions de vieillesse, un tel déplacement, compte tenu des disparités existant entre les régimes et les législations des États membres, pouvant, selon le cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour la personne concernée sur le plan de la protection sociale, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que, dans le cas où son application est moins favorable, une réglementation nationale n'est conforme au droit de l'Union que pour autant que, notamment, cette réglementation nationale ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l'État membre où elle s'applique et qu'elle ne conduit pas purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus.

7. Il en résulte que Mme A..., qui n'a pas la qualité de travailleur au sein de l'Union européenne, ne saurait utilement invoquer le bénéfice des dispositions précitées de l'article 45 du TFUE relatives à la libre circulation des travailleurs qui interdisent à une règlementation sur la protection sociale d'un Etat membre de désavantager, par rapport aux travailleurs qui exercent la totalité de leurs activités dans cet Etat, le travailleur d'un autre Etat membre et conduit purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus. Par suite, son moyen doit être écarté, sans qu'il y ait lieu pour la cour d'adresser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article 5 de l'accord de sécurité sociale du 2 mars 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique : " Sauf dispositions contraires du présent accord, une personne occupée sur le territoire de l'un des États contractants est, en ce qui concerne cet emploi, soumise uniquement à la législation de cet État contractant, même si cette personne réside sur le territoire de l'autre État contractant ou si le siège de l'employeur de cette personne se trouve sur le territoire de l'autre État contractant ". Aux termes de l'article 7 du même accord : " 1. Une personne exerçant une activité non salariée sur le territoire d'un Etat contractant est soumise uniquement à la législation de cet Etat contractant même si cette personne réside sur le territoire de l'autre Etat contractant ".

9. Il ressort de ces stipulations que l'accord de sécurité sociale du 2 mars 1987 conclu entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique a pour objet de régler les difficultés liées à la détermination de la législation sociale applicable à raison de l'exercice d'une activité professionnelle dans l'un ou l'autre des Etats parties à cet accord. En l'espèce, les prélèvements sociaux en litige ne procèdent pas de l'exercice par Mme A... d'une activité professionnelle. Par suite, celle-ci ne peut utilement soutenir que les prélèvements sociaux qu'elle conteste méconnaissent les stipulations de cet accord. En tout état de cause, aucun texte ni aucun principe ne justifie que cet accord soit interprété ou appliqué selon la la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne issue de son arrêt C-623/13 du 26 février 2015 susvisé.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

11. L'Etat n'étant ni la partie tenue aux dépens, ni la partie perdante, les conclusions de Mme A... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées, ainsi que les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens, au surplus dépourvues d'objet.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

4

N° 20VE01876


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20VE01876
Date de la décision : 05/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01 Contributions et taxes. - Généralités.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: M. Mohammed BOUZAR
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : CABINET DE GAULLE FLEURANCE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-10-05;20ve01876 ?
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