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12/07/2021 | FRANCE | N°21VE00661

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 12 juillet 2021, 21VE00661


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 17 novembre 2020 par lequel le préfet de l'Essonne a décidé son transfert aux autorités maltaises.

Par un jugement n° 2008013 du 5 février 2021, le magistrat désigné par le président par intérim du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 mars 2021, M. E..., représenté par Me B..., avocate, demande à la cour :>
1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° d'annuler l'arrêté contesté ;

3° de mettre à la charge de l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 17 novembre 2020 par lequel le préfet de l'Essonne a décidé son transfert aux autorités maltaises.

Par un jugement n° 2008013 du 5 février 2021, le magistrat désigné par le président par intérim du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 mars 2021, M. E..., représenté par Me B..., avocate, demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° d'annuler l'arrêté contesté ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à Me B..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté est insuffisamment motivé, dès lors qu'il ne permet pas de comprendre les critères retenus pour la détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile ;

- il n'a pas été destinataire de la brochure d'information relative à l'Etat responsable de sa demande d'asile et l'application du règlement Dublin, en méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement UE n° 604/2013 ;

- il n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations préalablement à l'arrêté contesté, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le publics et l'administration ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que Malte connaît des défaillances systématiques dans l'accueil des migrants ; il a été retenu pendant trois mois dans un centre pour migrants sous autorité militaire, avant d'être transféré dans un camp ouvert où il devait pointer trois fois par jour et où il était hébergé dans des conditions insalubres ; ses problèmes psychiatriques n'ont jamais fait l'objet d'un suivi ;

- sa remise aux autorités maltaises l'expose à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il a épuisé toutes les voies de recours suite au rejet de sa demande d'asile par les autorités maltaises qui risquent de le renvoyer au Bangladesh où il est susceptible de subir des mauvais traitements.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2021, le préfet de l'Essonne conclut au rejet de la requête.

Il s'en remet à ses écritures de première instance.

Par une ordonnance du 17 mai 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 4 juin 2021, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... E..., ressortissant bangladais, né le 5 janvier 1991, a présenté une demande d'asile enregistrée en guichet unique le 15 octobre 2020. Par un arrêté du 17 novembre 2020, le préfet de l'Essonne a prononcé le transfert de M. E... aux autorités maltaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile. M. E... relève appel du jugement du 5 février 2021, par lequel le magistrat désigné par le président par intérim du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Essonne du 17 novembre 2020.

Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Selon l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président. (...) ".

3. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu de prononcer l'admission de M. E..., à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle en application des dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 précité.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

5. L'arrêté attaqué, qui vise le règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013, précise que la consultation du fichier Eurodac a révélé que M. E... avait sollicité l'asile auprès des autorités maltaises, préalablement à l'introduction de sa demande d'asile auprès du préfet de l'Essonne. Une telle motivation fait apparaître que l'Etat responsable de sa demande d'asile a été désigné en application du critère énoncé au d du § 1de l'article 18 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait insuffisamment motivé faute de préciser les critères retenus pour la détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile doit être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où sa demande de protection internationale est introduite, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus à l'article 4 dudit règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative des brochures prévues par lesdites dispositions constitue pour le demandeur d'asile une garantie. Cette obligation d'information doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes.

8. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la " brochure commune " prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, dont le contenu est établi conformément aux modèles figurant à l'annexe X du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003, a été remise au requérant le 15 octobre 2020, ainsi que le guide du demandeur d'asile, en langue bengalie, langue qu'il a déclaré comprendre, ainsi qu'il ressort notamment des copies, signées de la main de M. E... et datées, des pages de garde de la partie A et de la partie B de la brochure commune. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit, par suite, être écarté.

9. En troisième lieu, si M. E... soutient ne pas avoir pu présenter d'observations préalablement à l'arrêté attaqué, il fonde ce moyen sur les dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, tout comme il le faisait en première instance, sans critique du jugement. Il y a, par suite, lieu, d'écarter ce moyen par adoption des motifs exposés au point 8 du jugement, non discutés en appel.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 742-7 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ".

11. Malte est un État membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complété par le protocole de New York, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cependant, cette présomption peut être renversée s'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

12. Au soutien de ses allégations selon lesquelles la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs souffriraient, à Malte, de défaillances systémiques, M. E... se borne à produire l'extrait d'un article publié sur le site " forum des réfugiés " ainsi que des photos du camp de réfugiés dans lequel il aurait séjourné, qui semblent révéler que des bureaux auraient été saccagés, et à faire valoir qu'il avait pour obligation de pointer trois fois par jour au cours des mois qu'il a passés dans ce camp ouvert. Il soutient, en outre, avoir été retenu pendant trois mois dans un centre de détention sous autorité militaire, structure régulièrement dénoncée par les organisations non gouvernementales, sans produire aucun commencement de preuve. Enfin, s'il se prévaut des troubles psychiatriques dont il souffrirait et qui n'auraient pas été pris en charge par les autorités maltaises, la seule production d'un document justifiant d'un rendez-vous auprès d'un " espace d'accueil et d'écoute psy " de médecins du monde, est insuffisant à établir son état de santé, pas plus qu'il ne permet de démontrer que les autorités maltaises auraient été informées de ses problèmes psychiatriques ou ne les auraient pas pris en charge. Dans ces conditions, M. E... ne démontre pas qu'il existerait des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile à Malte. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit, par suite, être écarté.

13. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

14. En se bornant à faire valoir, sans l'établir, qu'il a épuisé toutes les voies de recours suite au rejet de la demande d'asile qu'il a déposée à Malte, M. E... ne démontre pas que sa demande de protection internationale y sera nécessairement rejetée sans examen des risques qu'il soutient encourir en cas de retour dans son pays d'origine. Il ne démontre pas davantage, en tout état de cause, être exposé à des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président par intérim du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 novembre 2020 par lequel le préfet de l'Essonne a ordonné son transfert aux autorités maltaises. Par voie de conséquence ses conclusions tendant à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera dressée au préfet de l'Essonne.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2021, à laquelle siégeaient :

Mme Dorion, présidente-assesseure,

Mme A..., première conseillère,

Mme C..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 juillet 2021.

La rapporteure,

C. A...La présidente,

O. DORION La greffière,

C. FAJARDIE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 21VE00661 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21VE00661
Date de la décision : 12/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : Mme DORION
Rapporteur ?: Mme Catherine BOBKO
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : KWEMO

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-07-12;21ve00661 ?
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