Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner la commune d'Aubervilliers à lui verser la somme de 50 000 euros, augmentée des intérêts légaux et de leur capitalisation, en réparation de préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa situation administrative du 1er octobre 2014 au 3 octobre 2016 et de mettre à la charge de la commune d'Aubervilliers la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1802684 du 29 avril 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 1er juillet 2019 et le 5 février 2020, M. B..., représenté par Me Arvis, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune d'Aubervilliers à lui verser la somme de 50 000 euros, augmentée des intérêts légaux et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Aubervilliers le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'immixtion du 16ème adjoint au maire dans la gestion du personnel de la collectivité constitue une faute de la commune de nature à engager sa responsabilité ; le tribunal administratif a commis une erreur de fait, une erreur dans la qualification juridique des faits et une erreur d'appréciation ;
- la responsabilité sans faute de la commune est engagée du fait de sa suspension ; la circonstance qu'aucune sanction n'a été finalement prononcée à son encontre révèle qu'il a subi du fait de sa suspension une charge anormale qu'il incombe à la commune de réparer ; le tribunal administratif a commis une erreur de droit, une erreur dans la qualification juridique des faits et a entaché sa décision de contradiction dans ses motifs ;
- la responsabilité pour faute de la commune est engagée du fait de son maintien sans affectation entre le 4 février 2015 et le 3 octobre 2016 ; aucun partage de responsabilité ne peut être retenu à son encontre ; le tribunal administratif a commis des erreurs dans la qualification juridique des faits et une erreur de droit ;
- son préjudice financier, consistant en une perte de rémunération, doit être évalué à la somme de 25 000 euros, son préjudice de carrière, du fait d'un retard de deux ans, à la somme de 5 000 euros et son préjudice moral et ses troubles dans les conditions d'existence, à la somme de 20 000 euros.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de Me Clot, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., pour la commune d'Aubervilliers.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., adjoint technique employé par la commune d'Aubervilliers a été suspendu de ses fonctions par un arrêté du 3 octobre 2014 à la suite d'une altercation avec un adjoint au maire survenue le 1er octobre. Du 4 au 6 février 2015, M. B... a été placé en " congés exceptionnels " puis a été maintenu sans affectation jusqu'au 3 octobre 2016, date de son affectation en qualité de responsable du service roulage. Il a sollicité, par un courrier du 21 novembre 2017, l'indemnisation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait de la gestion fautive de sa situation administrative. En l'absence de réponse de la part de la commune, M. B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner la commune d'Aubervilliers à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de ses préjudices. Il relève appel du jugement du 29 avril 2019 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, si M. B... soutient que le jugement attaqué est entaché d'erreurs de droit, d'erreurs dans la qualification juridique et d'erreurs d'appréciation, ces moyens, qui se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal administratif, ne sont pas de nature à entacher ce jugement d'irrégularité.
3. En second lieu, M. B... soutient que le jugement en litige est entaché d'une contradiction de motifs dès lors que les premiers juges ont retenu tout à la fois qu'il n'avait commis aucune faute justifiant sa suspension et que sa demande d'indemnisation à raison de sa suspension devait être rejetée. Toutefois, et alors au demeurant qu'il ne résulte pas des termes du jugement attaqué que les premiers juges se seraient prononcés sur le point de savoir si la mesure de suspension était justifiée par des fautes commises par le requérant, ce moyen a également trait au bien-fondé du jugement attaqué et n'est pas susceptible d'en affecter la régularité.
Au fond :
En ce qui concerne la responsabilité sans faute :
4. La responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, lorsqu'une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner, au détriment d'une personne physique ou morale, un préjudice grave et spécial, qui ne peut être regardé comme une charge lui incombant normalement.
5. M. B... soutient que la responsabilité sans faute de l'administration est engagée du fait de sa suspension dès lors qu'il n'a pas fait l'objet d'une sanction disciplinaire et que la plainte déposée à son encontre a été classée sans suite par le procureur de la République. Toutefois, alors que la rémunération de M. B... a été maintenue durant les quatre mois de suspension, la seule circonstance que la procédure de suspension n'a pas été suivie d'une sanction n'est pas de nature à caractériser l'existence d'un préjudice grave et spécial et, par suite, à entraîner l'engagement de la responsabilité sans faute de la commune.
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
6. En premier lieu, M. B... soutient que la responsabilité pour faute de la commune d'Aubervilliers est engagée pour avoir laissé M. C..., 16ème adjoint au maire, titulaire d'une délégation de fonctions dans le domaine des sports et des pratiques sportives, s'immiscer de manière irrégulière dans la gestion du personnel du pôle de la jeunesse et des sports. Toutefois, si M. B... soutient que cet élu, qui tenait de cette délégation compétence pour intervenir dans la gestion du service des sports de la commune, le tenait à l'écart et le discréditait auprès des agents, il ne l'établit pas. En outre, si M. B... soutient également que M. C..., de manière habituelle, contactait directement les agents sans passer par leurs responsables hiérarchiques, le seul fait dont il se prévaut à cet égard est l'échange qui a eu lieu le 1er octobre 2014 entre un agent et M. C... et qui a finalement conduit à l'altercation objet de la suspension. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la responsabilité de la commune d'Aubervilliers serait engagée du fait d'un comportement fautif du 16ème adjoint au maire.
7. En second lieu, d'une part, sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade. D'autre part, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un fonctionnaire qui a été irrégulièrement maintenu sans affectation a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de son maintien illégal sans affectation. Pour déterminer l'étendue de la responsabilité de la personne publique, il est tenu compte des démarches qu'il appartient à l'intéressé d'entreprendre auprès de son administration, eu égard tant à son niveau dans la hiérarchie administrative que de la durée de la période pendant laquelle il a bénéficié d'un traitement sans exercer aucune fonction.
8. Il résulte de l'instruction que M. B... a été maintenu sans affectation du 4 février 2015 au 3 octobre 2016. La commune d'Aubervilliers soutient que cette situation procède en partie du refus de M. B... de rejoindre le poste qui lui était proposé à l'issue de la période de suspension. Toutefois, s'il résulte de l'instruction que la commune a envisagé d'affecter l'intéressé au poste de " responsable du magasin central " et qu'elle a d'ailleurs annoncé, le 28 février 2015, à M. B... la consultation de la commission paritaire administration à cette fin, il est constant qu'elle n'a pas donné suite à ce projet. Si elle soutient que M. B... aurait implicitement mais certainement refusé le projet d'affectation, cette assertion ne peut être déduite du courrier du 17 février 2015 adressé par M. B... et dans lequel ce dernier se borne à indiquer que " le pouvoir de nomination appartient à l'autorité territoriale et il ne m'appartient pas d'interférer dans un telle décision quand bien même je désapprouve ma nomination sur un poste dans de telles conditions ". En revanche, si l'abandon de ce projet d'affectation ne peut être imputé au requérant, il résulte de l'instruction que, de mars 2015 à octobre 2016, M. B... n'a accompli aucune démarche auprès de la commune d'Aubervilliers pour solliciter sa réintégration, n'a pas sollicité de rendez-vous, ni proposé de candidature. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il y avait lieu d'exonérer la commune de sa responsabilité à hauteur d'un tiers des conséquences dommageables de l'absence d'affectation.
En ce qui concerne les préjudices :
9. En premier lieu, lorsqu'est engagée la responsabilité de l'administration en raison de l'absence d'affectation d'un fonctionnaire dans un délai raisonnable, sont indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause qui débute à la date d'expiration du délai raisonnable dont disposait l'administration pour lui trouver une affectation, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions.
10. M. B... sollicite la condamnation de la commune à lui verser la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice financier. Il produit à cette fin une attestation du directeur des ressources humaines de la commune faisant état de ses revenus annuels pour les années 2012 à 2017 et dont il déduit une perte de revenus annuels d'environ 10 000 euros. Il résulte de l'examen des bulletins de paie que cette perte de revenus procède de l'absence de versement de l'indemnité de frais kilométriques mais également des sommes correspondant à des heures supplémentaires et à des astreintes de week-end et de jours fériés. Toutefois, s'agissant des frais kilométriques, il est constant que le requérant n'a exposé aucun frais de déplacement pour le compte de la commune lors de la période litigieuse. Par ailleurs, M. B... n'établit ni même n'allègue qu'il aurait eu une chance sérieuse d'effectuer des heures supplémentaires et des astreintes de weekend entre mars 2015 et octobre 2016. Dans ces conditions, et alors qu'il est constant que M. B... a perçu la totalité de son traitement et des primes qu'il percevait avant de se trouver sans affectation, la réalité du préjudice financier allégué n'est pas établie. Par suite, les conclusions présentées à ce titre par le requérant ne peuvent être accueillies.
11. En deuxième lieu, si M. B... allègue un retard de carrière de deux ans et demi, il n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il aurait subi un préjudice de carrière et notamment qu'il aurait été privé ou retardé dans l'obtention d'un avancement. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à demander la condamnation de la commune à ce titre.
12. Enfin, M. B... est fondé à obtenir l'indemnisation du préjudice moral résultant de la faute commise par la commune d'Aubervilliers à l'avoir privé d'affectation durant vingt mois. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. B... en l'évaluant à la somme de 3 000 euros tous intérêts compris. Compte tenu du partage de responsabilité indiqué au point 8, il y a lieu de condamner la commune d'Aubervilliers à verser la somme de 2 000 euros au requérant.
13. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande et à demander la condamnation de la commune d'Aubervilliers à lui verser la somme de 2 000 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune d'Aubervilliers demande à ce titre. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune d'Aubervilliers une somme de 2 000 euros à verser à M. B... sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°1802684 du 29 avril 2019 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : La commune d'Aubervilliers est condamnée à verser à M. B... la somme de 2 000 euros tous intérêts compris.
Article 3 : La commune d'Aubervilliers versera à M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la commune d'Aubervilliers sur le fondement de l'article L. 761-1 du code justice administrative sont rejetées.
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N° 19VE02393