Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL REM CONSULTING a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des retenues à la source et des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre de ses exercices clos en 2010 et 2011.
Par un jugement n° 1405025 du 19 octobre 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 18 décembre 2015, le 20 juillet 2016, le 5 septembre 2016 et le 6 novembre 2016, la SARL REM CONSULTING demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la décharge de ces impositions et majorations ;
3° de mettre à la charge de l'État les dépens de l'instance, ainsi qu'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SARL REM CONSULTING soutient que :
- c'est à tort que l'administration, pour lui refuser la déduction de la perte comptabilisée sur l'exercice clos en 2010 à hauteur de 760 000 euros, correspondant au paiement de marchandises facturées par la société HetR Trading établie à Hong Kong et jamais livrées, lui a reproché d'avoir commis un acte anormal de gestion en prenant un risque manifestement excessif ; l'administration s'immisce ainsi dans la gestion de l'entreprise, au mépris du principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; elle a simplement été victime, malgré ses diligences, d'une escroquerie bien organisée, à l'occasion d'une opération qui relevait de son objet social et dont elle escomptait un profit important ; la jurisprudence du Conseil d'Etat refuse désormais la prise en compte du risque pour caractériser l'acte anormal de gestion ; c'est en vain que l'administration, à l'encontre de cette jurisprudence, invoque un " comportement du gérant contraire aux intérêts de l'entreprise " ;
- c'est également à tort que l'administration a refusé la déductibilité de charges représentées par des prestations de services rendues par la société Maw International ; il est établi que cette société, immatriculée en 2009 aux Etats-Unis, est intervenue, sur sa demande, dans le cadre de contrats liant les sociétés EuroMédia France, du groupe Bolloré, et Axialease, pour le paramétrage et la configuration de caméras 3D de nouvelle génération ;
- les sommes versées à la société Maw International qualifiées de revenus distribués ne peuvent être soumises à la retenue à la source en France en application des dispositions de l'article 10 de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994, dès lors qu'elles ne constituent pas des dividendes au sens de cet article, et qu'il résulte des autres stipulations de cette convention que les revenus non traités dans la convention ne sont imposables que dans l'Etat de résidence du bénéficiaire ;
- les pénalités pour manquement délibéré ne peuvent qu'être déchargées, dès lors que la perte comptabilisée provient d'une escroquerie, et que la réalité des prestations de services dont la déductibilité a été refusée est établie.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention franco-américaine du 31 août 1994 modifiée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bergeret,
- les conclusions de M. Coudert, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour la SARL REM CONSULTING.
1. Considérant qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, la SARL REM CONSULTING s'est vu notifier, par proposition de rectification du 31 janvier 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, et des cotisations de retenues à la source sur des revenus réputés distribués en 2010 et 2011 à deux entreprises étrangères, assorties de pénalités de 40 % pour manquement délibéré ; que, par jugement du 19 octobre 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces retenues à la source et des pénalités correspondantes ; qu'elle relève régulièrement appel de ce jugement ;
Sur les conclusions aux fins de décharge :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises (...) " ; qu'aux termes de l'article 39 du même code applicable en matière d'impôts sur les sociétés, en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges (...) " ; qu'aux termes du 1 de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) " ; qu'aux termes du 2 de l'article 119 bis du même code : " Sous réserve des dispositions de l'article 239 bis B, les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) " ;
En ce qui concerne la retenue à la source afférente à la perte comptabilisée à hauteur du paiement de marchandises non livrées par la société HetR Trading :
3. Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale ; que c'est au regard du seul intérêt propre de l'entreprise qu'il convient d'apprécier si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d'une gestion commerciale normale, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par l'entreprise, et notamment sur l'ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats ; que, cependant, lorsque l'administration établit que des détournements de fonds ont été rendus possibles par le comportement délibéré ou la carence manifeste des dirigeants, elle est fondée à refuser, au vu de cet acte anormal de gestion, la comptabilisation de la perte correspondante ; que tel n'est pas le cas lorsqu'une entreprise, à l'occasion d'une opération entrant dans le cadre de son objet social, est victime d'une escroquerie causée par les agissements d'un tiers, alors même que ses dirigeants, par leur carence manifeste, ont exposé leur entreprise à un risque élevé de perte ;
4. Considérant que la SARL REM CONSULTING a comptabilisé au titre de son exercice clos en 2010 une perte définitive de 760 000 euros, à raison du règlement d'une commande effectuée auprès de la société HetR Trading, établie à Hong-Kong, pour des marchandises qui ne lui ont jamais été livrées et qu'elle escomptait revendre, moyennant une marge très importante, en exécution d'un bon de commande signé le 29 octobre 2009 par une personne s'étant présentée comme membre du personnel de la société L'Oréal USA Products Inc, et qui s'est avéré être un faux ; que l'administration fait valoir que le gérant de la SARL REM CONSULTING a procédé au règlement de la marchandise commandée avant sa livraison effective, par un premier virement de 228 000 euros le 8 décembre 2009, sur la base de la présentation de la facture, puis par un second virement, de 532 000 euros, le 19 avril 2010, au seul vu d'un document de transport émanant prétendument des douanes de Hong-Kong, non signé, incomplet, non conforme aux mentions portées sur la facture quant au mode de transport, et qui s'est avéré également être un faux, ce qu'une vérification même rapide aurait pu faire apparaître ; que la société chinoise bénéficiaire de ces paiements, en outre, avait été créée peu auparavant sous forme d'entreprise individuelle, n'avait aucune notoriété établie, et n'avait jamais commercé avec la SARL REM CONSULTING ; qu'ainsi, le gérant de cette dernière aurait commis un acte anormal de gestion, non seulement en faisant courir un risque excessif à son entreprise, mais aussi en rendant possible l'escroquerie par son comportement révélant, à tout le moins, une carence manifeste ;
5. Considérant, toutefois, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la circonstance qu'un dirigeant fasse prendre des risques élevés à son entreprise, fût-ce par sa carence manifeste à opérer les contrôles que le contexte impose avant de procéder à un important paiement lors d'une opération commerciale qui n'est pas, comme en l'espèce, exclue de l'objet social de l'entreprise même si elle ne relevait pas de son activité habituelle, n'est pas de nature à caractériser un acte anormal de gestion ; qu'ainsi, et dès lors que l'administration n'établit pas, ni même ne soutient que le gérant de la SARL REM CONSULTING, qui indique n'avoir pas porté plainte suite à l'escroquerie sur les conseils d'un avocat local lui ayant fait connaître que des poursuites seraient onéreuses et n'auraient aucune chance de succès, aurait procédé aux paiements litigieux en toute connaissance de l'escroquerie en cours, la SARL REM CONSULTING est fondée à soutenir qu'elle doit être déchargée des retenues à la source litigieuses, procédant du refus de l'administration d'admettre en perte, sur l'exercice clos en 2010, la somme de 532 000 euros, qui, par suite, ne pouvait être qualifiée de revenus distribués au profit de la société HetR Trading en application des dispositions précitées du 1 de l'article 109 du code général des impôts, ni, par conséquent, soumise à la retenue à la source en application des dispositions précitées du 2 de l'article 119 bis du même code ;
En ce qui concerne la retenue à la source afférente aux prestations de services facturées par la société Maw International :
6. Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 39 précitées du code général des impôts, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information, en sa possession, susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis ; que la seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense ; que le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration ;
7. Considérant que la SARL REM CONSULTING a comptabilisé en charge l'achat de prestations de services auprès de la société américaine Maw International pour un montant de 91 872,37 euros au titre de l'exercice clos en 2010 et 180 000 euros au titre de l'exercice clos en 2011 ; que l'administration a refusé l'imputation de ces charges au motif que la réalité de ces prestations de service, prétendument rendues par une entreprise dépourvue de moyens d'exploitation, n'était pas établie ; que la SARL REM CONSULTING soutient que ces prestations de services étaient relatives au paramétrage et à la configuration de caméras 3D nouvelle génération de la société Euro Media, qu'elle était intervenue dans ce cadre en tant qu'intermédiaire et que ces prestations avaient été refacturées à la société Axialease qui les avait elle-même refacturées à la société Euro Media dans le cadre d'un contrat de leasing de matériel cinématographique ; qu'elle produit, à l'appui de ses allégations, la facture qu'elle a adressée à Axialease faisant apparaître la refacturation des prestations, le contrat de leasing liant la société Axialease et la société Euro Media, faisant apparaître les prestations de services, et deux attestations de dirigeants de la société Euro Media confirmant que la société Maw International intervenait pour le paramétrage et la configuration des caméras 3D ; qu'il résulte cependant des informations transmises par les autorités fiscales américaines sur la demande des services fiscaux, qui ne sont pas discutées, et des précisions données au vérificateur par la société, que la société Maw International, sans salariés ni moyens d'exploitation, disposant d'une simple adresse de domiciliation à New York et immatriculée dans le Delaware, n'était pas en capacité de réaliser elle-même les prestations de services qu'elle facturait ; que l'administration, à la suite de l'exercice de son droit de communication auprès de l'agence des Médias numériques, a établi que le gérant de la SARL REM CONSULTING avait lui-même déposé le nom de domaine du site internet de la société Maw International et payé l'hébergement de ce site ; qu'au surplus, la SARL REM CONSULTING ne conteste pas que la comptabilisation en charge, le 22 décembre 2009, d'une facture adressée personnellement à son gérant pour un montant de 2 000 dollars, émise par le cabinet comptable américain KVB Partners Inc pour l'immatriculation d'une société, correspondait à l'immatriculation dans le Delaware de la société Maw International, faite par l'associé dirigeant du cabinet KVB Partners Inc le 29 décembre 2009, qui a, par ailleurs, domicilié... ; que les attestations produites par la société Euro Média, confirmant les prestations de service prétendument effectuées par la société Maw International, ont été établies postérieurement aux exercices vérifiés et ne sont accompagnées d'aucune pièce justificative probante quant à la réalité de prestations de service rendues par la société Maw International à la SARL REM CONSULTING ; que, dès lors, c'est à bon droit que l'administration a refusé la déduction des charges représentées par le paiement de ces prestations de service ;
8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 10 de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 : " 1. Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat contractant à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l'Etat contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet Etat, mais si le bénéficiaire effectif est un résident de l'autre Etat contractant, l'impôt ainsi établi ne peut excéder : (...) b) 15 pour cent du montant brut des dividendes dans tous les autres cas (...) 6. a) Le terme " dividendes " désigne les revenus provenant d'actions, actions ou bons de jouissance, parts de mine, parts de fondateur ou autres parts bénéficiaires à l'exception des créances, ainsi que les revenus soumis au régime des distributions par la législation fiscale de l'Etat contractant dont la société distributrice est un résident (...) " ; qu'aux termes des stipulations du 1 de l'article 22 de la même convention : " Les éléments du revenu d'un résident d'un Etat contractant, d'où qu'ils proviennent, dont ce résident est bénéficiaire effectif et qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente convention, ne sont imposables que dans cet Etat " ;
9. Considérant que les revenus réputés distribués, en application des dispositions du 1 de l'article 109 du code général des impôts, entrent dans le champ d'application des stipulations du 6 de l'article 10 de la convention fiscale franco-américaine précitée ; que, dès lors, les sommes relatives aux prestations de services facturées par la société Maw International dont l'administration a, à juste titre, rejeté la déductibilité ont été à bon droit soumises à la retenue à la source en application des dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, au taux de 15 % résultant des stipulations précitées de l'article 10 de cette convention, se substituant au taux de 25 % prévu par l'article 187 du code général des impôts ; que les stipulations précitées du 1 de l'article 22 de la convention fiscale franco-américaine étant ainsi sans application en l'espèce, la société requérante ne peut s'en prévaloir à l'appui de ses conclusions en décharge ;
Sur les pénalités pour manquement délibéré :
10. Considérant qu'aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) " ;
11. Considérant, en premier lieu, que dès lors que la SARL REM CONSULTING doit être déchargée des retenues à la source afférentes à la perte qu'elle avait comptabilisée à hauteur de 532 000 euros sur son exercice clos en 2010, la pénalité pour manquement délibéré qui lui a été assignée sur cette base au taux de 40 % en application des dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts doit également être déchargée ;
12. Considérant, en second lieu, que dès lors que la SARL REM CONSULTING, ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 7, ne pouvait ignorer que la société Maw International qui été créée à l'initiative de son gérant aux Etats-Unis dans le Delaware, État réputé pour ses facilités fiscales, ne disposait d'aucun moyen pour réaliser les prestations de service qu'elle lui facturait, l'administration établit la volonté délibérée d'éluder l'impôt et, par suite, doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, du bien-fondé de l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par les dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts sur la retenue à la source réclamée à la société sur la base des revenus réputés distribués correspondant aux charges non déductibles représentées par le paiement de ces prestations de services ;
Sur les dépens de l'instance et l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que, dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions par lesquelles la SARL REM CONSULTING demande l'application à son bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en l'absence de dépens dans la présente instance, ses conclusions tendant à ce qu'ils soient mis à la charge de l'État ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La SARL REM CONSULTING est déchargée des retenues à la source qui lui ont été réclamées sur le fondement des revenus distribués à hauteur de 532 000 euros sur son exercice clos en 2010, et des pénalités correspondantes.
Article 2 : Le jugement n° 1405025 du 19 octobre 2015 du Tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL REM CONSULTING est rejeté.
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N° 15VE03890