Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société AREVA NP a demandé au Tribunal administratif de Montreuil la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés, à la contribution sur cet impôt et à la contribution sociale sur le même impôt, ainsi que des intérêts de retard, auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2004, 2005 et 2006.
Par un jugement n° 1207390 en date du 1er juillet 2014, le Tribunal administratif de Montreuil a, d'une part, jugé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société AREVA NP à concurrence d'une somme globale de 180 934 euros, et a, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 3 septembre 2014 et le 29 avril 2015, la société AREVA NP, représentée par MeA..., demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement précité ;
2° de la décharger des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés, à la contribution sur cet impôt et à la contribution sociale sur le même impôt, ainsi que des intérêts de retard, auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2004, 2005 et 2006, pour un montant de 2 542 960 euros, majoré des intérêts moratoires.
La société AREVA NP soutient que :
- le contrat conclu en octobre 2002 entre la société en participation Technicatome et le Commissariat à l'énergie atomique au titre de la maîtrise d'oeuvre pour les phases de définition et de développement du réacteur Jules Horowitz porte sur une prestation unique, et non sur des prestations discontinues à échéances successives ;
- le règlement des factures selon un plan échelonné de paiement ne révèle ni l'achèvement d'études finalisées ni le transfert de résultats de recherche au client ;
- les notes et rapports sur lesquels se fonde l'administration ne peuvent être considérés comme des prestations individualisables, dès lors qu'ils sont régulièrement actualisés au cours de l'exécution du contrat ;
- le contrat, qui est relatif à un prototype, constitue un ensemble indissociable tant pour des raisons techniques que pour des raisons tenant au déroulement du projet ;
- la méthode retenue par l'administration, qui consiste à inférer des paiements effectués au cours de chaque exercice la livraison d'une prestation individualisable, conduit à des résultats déconnectés de la réalité économique.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Errera,
- et les conclusions de M. Delage, rapporteur public.
1. Considérant que la société en participation (SEP) Technicatome, gérée par la société AREVA NP, a conclu en octobre 2002 avec le Commissariat à l'énergie atomique un contrat lui confiant une mission de maîtrise d'oeuvre pour les phases de définition et de développement du réacteur Jules Horowitz, réacteur de recherche expérimental devant être construit à Cadarache (Bouches-du-Rhône) ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de la SEP Technicatome, l'administration a estimé que le mode de comptabilisation des recettes tirées de ce marché méconnaissait les dispositions du 2 bis de l'article 38 du code général des impôts, et conduisait à une minoration des bases imposables de la société AREVA NP ; que l'administration a donc mis à la charge de cette société des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et à la contribution sur cet impôt et à la contribution sociale sur le même impôt au titre des exercices clos les 31 décembre 2004, 2005 et 2006 ;
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Considérant qu'aux termes du 2 bis de l'article 38 du code général des impôts, applicable à la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " (...) les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison des biens pour les ventes ou opérations assimilées et l'achèvement des prestations pour les fournitures de services. / Toutefois, ces produits doivent être pris en compte : / a. Pour les prestations continues rémunérées notamment par des intérêts ou des loyers et pour les prestations discontinues mais à échéances successives échelonnées sur plusieurs exercices, au fur et à mesure de l'exécution (...) " ;
3. Considérant, d'une part, que, pour déterminer si l'activité d'une entreprise relève du champ d'application des dispositions relatives aux prestations discontinues mais à échéances successives, il convient de rechercher si les conditions d'activité de cette entreprise permettent d'identifier des phases distinctes correspondant à des prestations individualisables et effectivement exécutées ; que si le fait que les prestations de cette entreprise ont fait l'objet d'une facturation spécifique et de paiements distincts peut être considéré comme un indice de l'existence de prestations discontinues à échéances successives, cette circonstance ne saurait être considérée comme une condition nécessaire de leur existence ;
4. Considérant, d'autre part, que, en cas de prestation unique au titre de laquelle la société prestataire a choisi la méthode comptable de l'avancement, et pour le rattachement de la rémunération de la prestation aux exercices au fur et à mesure de son exécution, il convient de comptabiliser les produits correspondants en fonction des échéances contractuellement convenues entre le contribuable et le bénéficiaire de la prestation, sauf s'il résulte de l'instruction, notamment des justifications apportées par les parties, que la répartition contractuelle de cette rémunération ne rend pas compte correctement des avantages économiques procurés au bénéficiaire de la prestation au cours des différents exercices en cause et que le rattachement des produits au fur et à mesure de l'exécution de la prestation implique que leur comptabilisation s'écarte de l'échéancier contractuel ;
En ce qui concerne la qualification de la prestation fournie par la société AREVA NP :
5. Considérant, en premier lieu, que tant les premiers juges que l'administration se sont appuyés sur les termes de l'échéancier contractuel pour regarder comme établie l'existence de phases distinctes caractérisant des prestations discontinues mais à échéances successives ; que la société requérante fait valoir toutefois, sans être utilement contredite sur ce point, que, s'il permet de satisfaire le besoin de financement de la prestataire, notamment au début du marché, cet échéancier n'est pas révélateur des données économiques réelles d'exécution du contrat ; qu'il résulte en effet des pièces versées au dossier que la réalisation de ce projet industriel expérimental se caractérise par une concomitance partielle des missions de définition, de développement, de qualification des produits et des composants critiques, dans le cadre de processus itératifs et interdépendants, comme en atteste le calendrier d'une partie de la phase de définition, qui comporte plus de 3 000 lignes, relatives chacune à différentes études, analyses, et évaluations ; que le dossier fait également apparaître que la prestation litigieuse qui s'inscrit dans le long terme, a nécessité à plusieurs reprises la révision de travaux et études déjà effectués, afin de les actualiser, de les compléter ou de les modifier ; que, par suite, l'échéancier décrit des stades au cours desquels cette prestation, dans ses différents aspects réglementaires, de conception, de développement, et de qualification des composants critiques, est suffisamment aboutie pour que le client en soit informé et soit en mesure d'effectuer ses arbitrages et de donner au projet ses orientations ; qu'en particulier, les revues de définitions et de programmes, les remises de spécifications, ne sont pas assimilables à des transferts définitifs de prestations effectivement exécutées ; qu'ainsi, le règlement des factures tel qu'il résulte de l'échéancier contenu à l'annexe III du contrat ne pouvait être regardé comme la rémunération de prestations individualisables et effectivement exécutées ;
6. Considérant, en second lieu, qu'en vertu des stipulations de l'article 20 du contrat, relatif à la réception : " la réception des prestations de maîtrise d'oeuvre (dans la limite des levées d'options effectuées par le CEA) est prononcée après : - constatation par le CEA de l'achèvement de l'ensemble des prestations dues par Technicatome au titre du présent contrat et des éventuels avenants ultérieurs. Le constat est prononcé à l'acceptation des prestations selon conditions définies dans le CCTP et le document "spécification de management" précités à l'article 2, - constatations à la revue de qualité, de la conformité du RJH aux exigences fonctionnelle et contraintes définies dans le CdCF et le document "état initial" précités à l'article 2, - levée de la dernière réserve émise au cours des réceptions de travaux de préparation du site (lot aménagement du site) " ; qu'il découle pareillement de ces stipulations prévoyant une réception unique qu'elles excluent des prestations discontinues, mais à échéances successives ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que le contrat relatif à la réalisation du réacteur Jules Horowitz, ne se décompose pas en phases distinctes correspondant à des prestations individualisables et effectivement exécutées, au sens du a du 2 bis de l'article 38 du code général des impôts, mais porte sur une prestation unique qui n'entre pas dans le champ d'application de ces dispositions ;
En ce qui concerne les modalités de comptabilisation des produits :
8. Considérant que la société AREVA NP qui ne revendique pas le rattachement des produits à l'exercice au cours duquel le contrat viendra à son terme, et, partant, leur imposition en totalité en fin de contrat, a eu recours, comme elle était en droit de le faire, à la méthode comptable de l'avancement ; que l'administration n'a, en l'espèce, pas remis en cause le bien-fondé de cette seconde méthode, mais conteste que certaines recettes versées au cours des exercices litigieux aient été extournées des bases imposables de la société et neutralisées dans un compte de produits constatés d'avance ;
9. Considérant qu'il est constant que les missions incombant à la SEP Technicatome se décomposent, aux termes de l'article 6 du chapitre II du contrat, en une tranche ferme, consistant essentiellement en des études de définition, et en cinq tranches optionnelles prédéfinies, dont l'activation est laissée à la discrétion du Commissariat à l'énergie atomique ; qu'en ce qui concerne la tranche ferme, l'article 15 du contrat renvoie à l'annexe III, qui détermine un échéancier de paiement ; que, pour chaque tranche, l'échéancier mentionne un agenda prévisionnel, une clé exprimée en pourcentage avec le montant correspondant en euros, et une rubrique " clé de paiement " indiquant la nature de la recherche dont la réalisation permet de considérer que l'étape déterminée a été achevée, déclenchant la facturation et le passage à l'étape suivante ;
10. Considérant que, pour enregistrer en comptabilité les produits correspondant au contrat, la société AREVA NP s'est écartée de cet échéancier contractuel, et a établi une distinction entre le chiffre d'affaires facturé selon les stipulations du contrat, d'une part, et le chiffre d'affaires résultant de l'avancement effectif du marché, d'autre part ; que, pour calculer ce dernier chiffre d'affaires, la société AREVA NP a apprécié le degré d'avancement de la réalisation du contrat en déterminant le rapport existant entre le nombre d'hommes/jours réels effectués et le nombre total de jours/hommes estimés nécessaires pour la réalisation complète du contrat ; que la requérante a également calculé la marge prévisionnelle du contrat, en se fondant sur la différence entre le chiffre d'affaires total cumulé en fin de contrat et le montant du coût de revient technique prévisionnel ; qu'à la fin de chaque exercice, la société AREVA NP a comparé le chiffre d'affaires facturé selon les stipulations du contrat au chiffre d'affaires à l'avancement cumulé, qui est égal aux coûts réels cumulés au 31 décembre de chaque année auxquels venait s'ajouter la marge prévisionnelle calculée au prorata de l'avancement ; que ces opérations ayant révélé que le chiffre d'affaires facturé était systématiquement supérieur au chiffre d'affaires issu de la méthode de l'avancement, la société a, au terme de chaque exercice et selon la méthode de l'avancement qui est expressément prévue aux points III et IV de l'article 380-1 du plan comptable général, enregistré en produits constatés d'avance le montant correspondant à la différence entre le chiffre d'affaires facturé selon les stipulations du contrat et le chiffre d'affaires à l'avancement ; qu'ainsi, le ministre de l'économie et des finances n'est pas fondé à soutenir que la société requérante aurait comptabilisé les produits de manière erronée au cours des exercices litigieux ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société AREVA NP est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1207390 rendu par le Tribunal administratif de Montreuil le 1er juillet 2014 est annulé.
Article 2 : La société AREVA NP est déchargée des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés, à la contribution sur cet impôt et à la contribution sociale sur le même impôt, ainsi que des intérêts de retard, auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2004, 2005 et 2006.
N° 14VE02672 5